Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Commentaire
- Chapitre premier
- Récit de voyage et réflexions philosophiques
- Chapitre II
- Le Français, l'Anglais, le Noir et le sauvage
- Chapitre III
- Les réflexions d'un Français sur la religion en Amérique
- Chapitre IV
- Une tentative d'analyse de l'économie américaine
- Chapitre V
- L'épineuse question de la révolution et de l'armée : vision de l'auteur et réalité
- Deuxième partie
- Édition
- Chapitre premier
- Introduction à l'édition
- Chapitre II
- Édition
- Conclusion
- Annexes
Introduction
Le récit dont cette thèse constitue l'édition s'inscrit à la fois dans le genre littéraire des récits de voyage, très utilisé par les auteurs et apprécié des lecteurs au xviiie siècle, et dans l'intérêt qui est porté par l'opinion française aux événements qui se déroulent dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord après le début de la Guerre d'indépendance des États-Unis en 1775. Le Voyage au continent américain par un François en 1777, et réflexions philosophiques sur ces nouveaux républicains est un manuscrit anonyme et en exemplaire unique, conservé par le département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France sous la cote français 17695. On y trouve deux écritures : celle du rédacteur, ainsi qu’une autre main qui apporte des corrections et quelques modifications. Le parcours de ce manuscrit reste malheureusement en grande partie non élucidé. Il ne fut jamais publié, et la seule trace ancienne qui en a été conservée est son inscription à la date du 25 mars 1778 dans un registre de permissions tacites de la Chambre syndicale de la librairie et imprimerie de Paris, lui aussi conservé au département des Manuscrits. Ce registre ne mentionne pas le nom de l'auteur, mais seulement qu'il fut présenté à la Censure par le garde des Sceaux, à l'époque Thomas Hue de Miromesnil. Il fut confié pour examen à Jean-Baptiste Suard, mais ne reçut ni permission ni refus pour sa publication. Sa date d'entrée dans les fonds est également incertaine : on sait seulement qu'il fut intégré au supplément du fonds français, de par l'ancienne cote qu'il porte (supplément français 1814). Il est probable qu'il ait été intégré aux archives de la Chambre syndicale ou à celle de Jean-Baptiste Suard, et ait rejoint ainsi les collections de la Bibliothèque nationale.
Le manuscrit fit pour la première fois l'objet d'un article et d'une édition très partielle par Eugène Griselle en 1918. L'étude la plus approfondie sur ce récit jusqu'à aujourd'hui fut celle menée par le chercheur américain Durand Echeverria, qui y consacra deux articles. Le premier, publié en 1959 dans le William and Mary Quarterly, s'intéresse surtout à la description que l'auteur fait de Philadelphie et des mœurs américaines ; le second, publié en association avec Orville T. Murphy en 1964 dans la revue Military Affairs, se consacre aux développements sur l'armée américaine présents dans le texte. Enfin, le manuscrit fut présenté lors de l'exposition consacrée à La Fayette aux Archives nationales en 1957.
Dans son premier article, Durand Echeverria avançait que l'auteur de ce manuscrit aurait pu être un officier d'artillerie français du nom de Louis de Récicourt de Ganot. Cette identification ne semble toutefois pas juste : en effet, Récicourt de Ganot a servi dans l'armée américaine, alors que l'auteur du manuscrit ne fait montre d'aucune intention dans ce sens, et s'enfuit même à l'approche des combats ; de plus, l'auteur semble avoir quitté l'Amérique peu après la bataille de Saratoga et être revenu en Europe vers la fin de l'année 1777, ce que corrobore l'entrée du manuscrit à la Censure à Paris en mars 1778. Récicourt de Ganot se trouvait encore en Amérique en 1778 et au début de 1779 d'après des indications présentes dans les papiers de Benjamin Franklin.
Au cours du récit, l'auteur aborde sans division aucune de son texte une multitude de sujets liés à ses observations de la société américaine, avec des passages particulièrement développés consacrés à la religion, à l'armée et au commerce.
Sources
Le manuscrit français 14695 de la Bibliothèque nationale de France est à ce jour l'unique exemplaire connu de ce texte. L'édition et le commentaire portent donc tous les deux exclusivement sur ce manuscrit. Les manuscrits français 21983 et français 22016, qui appartiennent aux archives de la Chambre syndicale de la librairie et imprimerie de Paris aux xviie et xviiie siècles, également conservés à la Bibliothèque nationale de France, ont été consultés dans le cadre des recherches sur son parcours.
Première partie
Commentaire
Chapitre premier
Récit de voyage et réflexions philosophiques
Le Voyage au continent américain est un texte qui appartient à la fois au genre du récit de voyage et à celui du voyage philosophique, et où l'auteur privilégie visiblement l'aspect philosophique du texte.
Un voyage sans paysage. — L'auteur considère que les paysages américains ont déjà fait à son époque l'objet de nombreuses descriptions et occulte cet aspect pourtant essentiel du genre du récit de voyage. Les seuls paysages qu'il prend le temps de détailler sont des paysages urbains, à savoir Charleston, Philadelphie et Boston. Il est possible que l'auteur ait voulu par ce biais éviter d'aborder un exercice littéraire dans lequel il manque d'expérience, et ait donc volontairement choisi d'accorder une importance minimale à ces descriptions, les reportant en début et en fin de texte.
Un aventurier sans aventures. — L'absence presque totale de péripéties dans la narration est un autre indice montrant que l'auteur manque d’expérience en matière de récits de voyage. Il a systématiquement recours aux ellipses lors des passages concernant ses pérégrinations sur le continent américain, accordant à son lecteur quelques lignes et détails lorsque le trajet fut mouvementé, mais se contentant dans le cas contraire de rapides listes de villes traversées. Même lors de ses séjours dans de grandes villes américaines, il ne fait que peindre celles-ci sans préciser aucunement ce qu'il y a fait. L'auteur se met systématiquement en retrait de son récit, même lorsqu'il relate son départ d'Amérique, dont l'aspect de fuite précipitée aurait pu constituer un ressort comique s'il avait été exploité.
Les réflexions philosophiques sur un pays de liberté. — Ce récit de voyage, par l'importance accordée aux réflexions philosophiques qu'il développe en plus de la narration du voyage en lui-même, s'apparente également au genre du voyage philosophique.
Un éloge des Américains. — L'auteur ne tarit pas d'éloges pour les Américains, un peuple auquel il prête beaucoup de qualités, tout en soulignant que beaucoup d'entre elles leur viennent de leurs racines britanniques. Par contraste, il se montre très critique envers les Français, en particulier les officiers français venus combattre en Amérique. Les qualités qu'il prête aux Américains lui servent à montrer qu'ils sont un modèle pour les sociétés du Vieux Monde. Il n'est cependant pas aveuglément élogieux dans sa description de ce peuple : il n'hésite pas à montrer qu'ils possèdent eux aussi des défauts, lorsque certaines de ces qualités sont poussées au-delà du raisonnable. Ainsi, lorsqu'il décrit le culte et les églises américaines, il en admire la sobriété, tout en soulignant que trop poussée, cette sobriété tourne au ridicule, diminuant le sérieux de la religion et faisant ressembler leurs églises à des tribunaux français.
Une critique des sociétés européennes. — L'auteur utilise l'exemple américain pour déprécier par contraste de nombreux aspects de la société française et des sociétés européennes en général. Il s’en prend ainsi à la société coloniale française, notamment à la violence avec laquelle elle traite ses esclaves noirs, et l'hypocrisie des bons sentiments européens envers ces derniers. Il utilise également dans son récit l'anecdote de l'officier amoureux éconduit pour juger sévèrement les mœurs françaises et dénoncer la fausseté et la légèreté des manières en vigueur dans son pays d'origine.
Une démonstration des effets de la liberté sur les civilisations. — L'exemple américain ne sert toutefois pas seulement à la critique des sociétés européennes. L'auteur cherche à travers ses observations et ses réflexions à démontrer une idée qui constitue le fil de sa réflexion : celle que l'homme devient meilleur lorsqu'il vit dans une société de liberté. Dans ce but, il soutient que l'arrivée massive de colons de confessions différentes dans un temps court a contribué à l'émergence d'une société où une Église n'a pu prendre le pas complètement sur les autres. De plus, ces colons étaient pour la plus grande partie originaires des îles britanniques et donc profondément empreints des idées politiques qui y avaient cours, notamment celles de John Locke, à travers l'héritage de la Glorieuse Révolution de 1688-1689. Enfin, le fait que le continent ait été peuplé des exclus et persécutés de l'Ancien Monde a contribué à forger une société où les individus sont habitués à se battre pour leurs droits. L'auteur, après avoir ainsi analysé l'origine de ce qu'il appelle « l'esprit de liberté » particulier aux Américains, en expose les conséquences sur les mœurs – le patriotisme notamment –, mais aussi sur le commerce, l'économie, et, surtout, sur l'armée et le conflit d'indépendance en cours en 1777.
Chapitre II
Le Français, l'Anglais, le Noir et le sauvage
La fascination française pour les Treize Provinces : un laboratoire des idées des Lumières. — L'intérêt de l'auteur pour les Américains illustre l’attrait qu'ils exercent sur l'opinion française de son époque. Les Français sont à la fois fascinés par l'Histoire en marche sous leurs yeux, avides de connaître les développements du conflit, ravis de voir l'Angleterre ennemie subir des revers après la perte des colonies françaises d'Amérique du Nord à la fin de la guerre de Sept Ans, mais aussi et surtout intrigués par la naissance d'un nouvel État sous l'égide de principes que les philosophes européens des Lumières appellent de leurs vœux depuis de nombreuses années.
Américains et Français : quelle amitié ? — Même si l'auteur porte une admiration toute particulière aux Américains et se félicite des secours que ceux-ci peuvent recevoir de la part de la France, il se montre tout de même dubitatif sur la possibilité d'une amitié à long terme entre la nouvelle nation et les Français, alors qu'il s'agissait là d'un des espoirs de l'opinion française et des dirigeants ayant mené à ces mêmes secours. L'auteur souligne particulièrement le fait que les Américains sont avant tout Anglais par leur héritage, leur religion, leur pensée et leurs manières, ce qui empêcherait toute entente durable avec les Français. Cet aspect est illustré selon lui par le fait que de nombreux officiers français venus combattre en Amérique sont peu appréciés voire détestés pour leur arrogance et leur opportunisme. Par conséquent, il estime que l'amitié franco-américaine ne saurait durer que le temps durant lequel les deux peuples auront un ennemi commun, la Grande-Bretagne. Il estime qu'une fois le conflit terminé, les Américains se rapprocheront naturellement de la nation anglaise, et que les ambitions de la France de retrouver ses territoires en Amérique du Nord créeront de nouvelles oppositions.
La question de l'esclavage en Amérique. — La question de l'esclavage des Noirs n'est pas développée de manière particulièrement exhaustive : elle sert surtout à établir un contraste entre le traitement des esclaves noirs en Amérique du Nord et celui qui a cours dans les colonies insulaires françaises. Il dénonce fermement la cruauté inutile contre les esclaves et met en lumière le « bon » traitement que les Américains réservent à leurs esclaves noirs – il se montre sans doute partiellement aveugle en la matière –, qui aboutit chez eux à une sorte de « dignité naturelle », autre effet selon lui de l'esprit de liberté qui règne en Amérique. Il considère les Noirs avec bienveillance, sans toutefois les traiter comme de potentiels égaux.
En ce qui concerne les esclaves blancs en Amérique, la vision de l'auteur se montre assez imprécise, puisqu'il semble confondre dans cette catégorie toutes les différentes circonstances par lesquels des Blancs pouvaient tomber en esclavage. Il les classe tous parmi les condamnés de la justice anglaise ou les prisonniers pour dettes. En réalité, s'il y a bien eu un envoi de plusieurs dizaines de milliers de prisonniers du système judiciaire britannique, la plus grande majorité des esclaves blancs sont arrivés en Amérique sous le statut d'indentured servant, qui correspondait à une servitude volontaire de quelques années utilisée comme prix de la traversée entre l'Europe et le Nouveau Monde.
Le sauvage, oublié de ce tableau de l'Amérique. — Alors qu'en Europe les philosophes développent depuis des années le « mythe du bon sauvage » et que cette figure prend de plus en plus une connotation positive – comme un état originel pur avant les méfaits de la civilisation et de la vie en société –, l'auteur ignore presque totalement les peuples indiens, ne les citant qu'occasionnellement et n'y faisant référence que comme des obstacles à la vie des colons. Il semble reporter les qualités philosophiques du « bon sauvage » sur les colons américains, comme s'ils avaient réussi, au contact de ce dernier, à retrouver une forme de civilisation plus simple et moins corrompue, alliant les bénéfices de la civilisation européenne à l'enracinement dans la nature américaine.
Chapitre III
Les réflexions d'un Français sur la religion en Amérique
L'auteur fait preuve d'une vision assez cynique de la religion, quelle que soit la confession évoquée. Il se situe toutefois dans une certaine mesure dans la continuité des idées des Lumières sur la question : il prône à travers l'exemple américain la tolérance entre les religions.
Une nation peuplée des exclus de l'Ancien Monde. — L'auteur décrit la diversité religieuse des colons américains issus pour la majorité de communautés protestantes de différents courants, venues des îles britanniques. Il décrit ce peuplement comme la cause de la situation américaine, inverse de celle de l'Europe : ce sont en effet les catholiques qui sont persécutés dans le Nouveau Monde, car ils sont bien souvent à l'origine des départs de communautés protestantes dans leur pays d'origine.
Une vision curieuse et cynique de la diversité religieuse américaine. — L'auteur se montre admiratif de la diversité des confessions religieuses en Amérique et de leur cohabitation. Il l'applaudit, sans toutefois manquer de préciser que cette cohabitation n'empêche pas les sentiments de rivalité et les tentatives de manipulation politique de la part de ces Églises. Il souligne également que les protestants ne sont pas immunisés contre les préjugés et le fanatisme. Il refuse de présenter les réfugiés religieux américains comme des victimes permanentes et place toutes les confessions sur un pied d'égalité, sauf les quakers, qui font l’objet d’une véritable attaque.
La question des quakers. — Le traitement que l'auteur réserve aux quakers contraste avec le ton tolérant mais cynique de sa réflexion sur toutes les autres communautés religieuses. Il s'en prend directement au « mythe de la Pennsylvanie », en particulier aux écrits de l'abbé Raynal sur le sujet. Parti de France convaincu des bienfaits du quakerisme, l’auteur a changé entièrement d'avis après son passage en Amérique, et sa critique est d’autant plus violente que le tableau qu'il en avait lu avant son départ était idyllique : il y règne la même hypocrisie que dans toutes les autres communautés, aggravée par la lâcheté qu'il attribue à leur refus de contribuer à l'effort d'indépendance du pays.
Chapitre IV
Une tentative d'analyse de l'économie américaine
L'auteur entreprend d'expliquer à son lecteur les principaux ressorts de l'économie américaine et de son système monétaire, et se montre bien informé en la matière.
La monnaie-papier américaine. — La situation monétaire du pays est analysée en commençant par les raisons de la faible circulation de monnaie métallique dans les colonies avant l'indépendance, puis la conséquence de cette faiblesse monétaire, à savoir que les colonies ont toujours dû utiliser une monnaie-papier, vue d'un mauvais œil par la Couronne britannique. Après le déclenchement du conflit, les monnaies propres à chaque colonie, qui auraient pu suffire aux besoins de l'économie, furent remplacées par une monnaie-papier émise par le nouveau Congrès destinée à couvrir les besoins de l'État pour le financement de la guerre contre la mère-patrie. Cette monnaie unifiée, le « continental », avait cours partout dans les Treize Colonies. L’auteur insiste sur la fragilité du système, mais aussi sur sa capacité à fonctionner, bon gré mal gré, grâce au patriotisme américain selon lui.
Une description du mercantilisme et des flux du commerce américain. — Pour dépeindre à son lecteur l'économie américaine, l’auteur commence par expliquer la profonde différence économique entre les colonies du Nord, dont l'économie est diversifiée et basée sur une agriculture produisant des denrées de subsistance, et les colonies du Sud, davantage fondées sur des monocultures de luxe destinées à l'exportation, comme le tabac ou le riz. Puis il présente l'organisation du commerce qui avait cours avant l'indépendance des colonies, à savoir le régime de l'Exclusif, qui redirigeait vers la métropole anglaise tous les produits venants des colonies américaines et imposait aux colons de n'importer que des produits anglais.
Enfin, il détaille longuement le système commercial au moment de son voyage, après que les colons ont arraché leur commerce au monopole anglais. Il s’attache particulièrement au commerce avec les Antilles, qu'il décrit comme le plus pratique et le plus profitable pour tous, et au commerce avec l'Europe, dont il souligne surtout les dangers.
Chapitre V
L'épineuse question de la révolution et de l'armée : vision de l'auteur et réalité
Le conflit d'indépendance – l’auteur est témoin pendant son voyage –, et l'armée américaine sont parmi les principaux sujets de son récit.
Les causes de la révolution. — L'auteur attribue à « l'esprit de liberté » issu des pensées politiques anglaises – retourné contre la mère-patrie – l'une des causes primaires de la révolution américaine. Mais il fait aussi preuve d'une remarquable clarté de vision en ce qui concerne la multiplicité des causes de cette dernière, qu'il énumère sans toutefois prendre la peine de les développer toutes, ce qui aurait considérablement allongé son récit. Ainsi, il relate l'importance dans le déclenchement du conflit qu'a eue la disparition de la menace française sur les colons britanniques d'Amérique après la fin de la guerre de Sept Ans, ainsi que la prise de conscience d'une certaine unité potentielle des colonies et de la puissance qui pouvait en résulter. Il met également en cause les différentes « exactions » de la métropole anglaise sur ses colons américains, à savoir les différentes lois fiscales que la Couronne britannique tenta de leur imposer entre la fin de la guerre de Sept Ans et le début de la révolution américaine. Il évoque aussi les revendications des colons à la représentation au Parlement, même s'il confond en la matière les droits qui ont existé anciennement et les revendications de son époque. Enfin, il souligne très justement le fait que pour beaucoup d'Américains, l'indépendance n'est pas une évidence mais un dernier recours face à l'intransigeance de la métropole.
Un examen attentif de l'armée américaine. — Sur le sujet de l'armée américaine, l'auteur développe l'une des conséquences de « l'esprit de liberté » qu'il évoque si souvent, héritage de la pensée politique anglaise : la mauvaise opinion que les Américains ont d'une armée de métier, la considérant uniquement comme un potentiel outil de tyrannie. Les Américains, estimant bien davantage le système des milices, firent s'armer des citoyens pour la défense de leur patrie et se trouvèrent bien en difficulté dans les débuts de la guerre face à une armée de métier nombreuse et entraînée. Le Congrès dut avoir recours à des régiments de soldats engagés, mais compensa cette entorse à sa vision de la liberté en promettant à ces soldats des terres à la fin du conflit – ce qui permit d'augmenter et de professionnaliser les effectifs dans une certaine mesure, sans devoir recourir à une conscription qui irait contre tous les principes pour lesquels se battait le Congrès.
Les différences entre armées : discipline et stratégies. — L'auteur insiste sur les différences entre les stratégies de combat de l'armée américaine et des armées européennes. Il entreprend surtout de prendre la défense des Américains taxés de lâcheté par leurs ennemis. En effet, héritiers en cela des pionniers qui colonisèrent le pays, ils sont bien plus efficaces en situation d'embuscade et de fusillade dans un terrain couvert, puisqu'ils sont habitués à se défendre contre les Indiens et contre la nature. À l'inverse, ils se montrent faibles en condition de bataille entre armées, puisque les soldats américains sont bien moins soumis aux ordres de leurs officiers que les soldats européens. L'auteur défend cette tactique de combat, l'attribuant à la fois à l'inexpérience de la nation dans l'art de la guerre et à l'esprit de liberté du peuple qui trouve ici son application dans sa manière de combattre. Selon lui, les Américains ne sauraient être accusés de lâcheté au combat, puisqu'ils sont tout aussi dangereux que les soldats européens, voire plus : ils connaissent les circonstances dans lesquelles ils ne doivent pas affronter un ennemi de face et sont bien plus meurtriers que des soldats sans âme qui obéissent strictement aux ordres des officiers.
De même, il défend la discipline ayant cours dans l'armée américaine, à laquelle beaucoup d'officiers français venus combattre ne pouvaient s'habituer. En effet, se considérant tous libres et égaux – sauf considérations de grade militaire –, les Américains étaient coupables aux yeux des officiers français de manque de respect envers leur personne. L'auteur justifie cette discipline plus lâche mais tout aussi sévère lorsqu'elle est vraiment nécessaire, la décrivant là aussi comme une conséquence de l'esprit de liberté et comme un système plus juste où une faute n'entraîne pas l'exclusion, et où la hiérarchie sociale ne vient pas s'ajouter à la hiérarchie militaire.
Le problème des officiers français en Amérique. — Selon l'auteur, les nombreuses critiques émanant d'officiers français en Amérique ne sont pas justifiées, et il se montre très sévère envers ses compatriotes. Il dénonce notamment l'ambition avec laquelle la plupart de ceux-ci partent en Amérique, espérant y obtenir un avancement militaire plus aisé qu’en Europe et se trouver facilement un mariage de par leurs titres de noblesse. Or, les promesses de grades faites en Europe par les envoyés américains se heurtent souvent à l'embarras du Congrès, face à la mauvaise adaptation des officiers français dans son armée. De plus, confrontés à des Américains qui ne prenaient aucunement en compte leur rang en France ou leur titre de noblesse, les Français furent confrontés à un véritable choc culturel, et pour la plupart estimèrent qu'ils n'étaient pas traités comme ils devraient l'être selon leur rang. C'est en tout cas le tableau très pessimiste que trace l'auteur, mais dont il prend soin d'exclure La Fayette et ses compagnons, qu'il présente comme des modèles de courage et de sens du service désintéressé, rares officiers français combattant véritablement pour la liberté.
Deuxième partie
Édition
Chapitre premier
Introduction à l'édition
Les principes ayant régi cette édition sont ceux énoncés dans les Conseils pour l'édition des documents français de l'époque moderne de Bernard Barbiche. La graphie d'origine a été conservée, mais la ponctuation, l'accentuation et les majuscules ont été normalisées selon l'usage actuel pour faciliter la lecture.
Chapitre II
Édition
Édition du manuscrit BnF, fr. 14695.
Conclusion
Le Voyage au continent américain est un ouvrage d'un genre hybride, à la fois récit de voyage et voyage philosophique, qui par l'éloge du système et des mœurs américains entend critiquer par contraste les sociétés européennes, mais surtout cherche à démontrer la théorie de l'auteur, à savoir que l'homme devient meilleur dans une société de liberté.
Annexes
Index des toponymes. — Index des personnes.