Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Parvenir : la fortune de Guillaume Bochetel (xve siècle-1545)
- Chapitre premier
- Aux origines d’un groupe : les Bochetel, entre Bourges et le roi
- Chapitre II
- Le règne de François Iᵉʳ : l’ascension de Guillaume Bochetel
- Chapitre III
- Guillaume Bochetel, l’officier gentilhomme
- Deuxième partie
- Prendre le pouvoir : la construction d’un clan Bochetel (1545-1560)
- Chapitre premier
- Le Berry, berceau du clan Bochetel et socle de son pouvoir
- Chapitre II
- La cour de Henri II : un clan de hauts serviteurs de la monarchie
- Chapitre III
- Les cours étrangères : un clan de diplomates
- Troisième partie
- Le clan au cœur de la « fureur de discorde civile » (1560-1577)
- Chapitre premier
- « Gouverner le timon » : la nouvelle constellation Bochetel
- Chapitre II
- « Vostre trés humble et trés obeissant serviteur et subject » : les Bochetel, ambassadeurs fidèles
- Chapitre III
- Le réseau Bochetel pendant les guerres de Religion
- Conclusion
- Pièces justificatives
- Annexes
Introduction
Guillaume Bochetel, l’un des quatre premiers secrétaires des commandements sous Henri II, est un homme presque oublié. Pourtant, il était entouré de quelques-uns des conseillers les plus influents du roi dans la seconde moitié du xvie siècle, dont Jean de Morvillier, garde des Sceaux de France, ou Claude de L’Aubespine, dont le frère, Sébastien, fut ambassadeur en Espagne et l’un des proches de Catherine de Médicis. Si ces hommes sont aussi peu connus, leur héritier n’a pas subi le même destin, puisqu’il n’est autre que le puissant Nicolas de Neufville, Sr de Villeroy, premier véritable secrétaire d’État aux Affaires étrangères à la fin du xvie siècle. Tous ces hommes forment un groupe que l’on peut définir comme un clan familial en raison de l’étroitesse des liens qui les unissent – à travers des alliances matrimoniales dont l’architecte fut Guillaume Bochetel –, du travail commun, de l’identification de chacun de ses membres au groupe – dont l’unité est aussi perçue par les contemporains –, enfin en raison de la permanence de la solidarité entre les membres du clan. C’est un clan de pouvoir qui tient, entre 1547 et 1588, nombre de postes prestigieux de la diplomatie résidente et la plupart des secrétariats d’État. L’origine de ce pouvoir est à rechercher du côté des Bochetel, et plus précisément à Bourges où les Bochetel émergent à la fin du Moyen Âge. Sa fin est moins évidente : en 1588, Henri III renvoie les secrétaires d’État en place, mettant ainsi un terme à la domination du clan ; mais dès 1577 le clan Bochetel originel s’était effacé, avec la mort de Jean de Morvillier et la disgrâce de Sébastien de L’Aubespine l'année suivante, ouvrant la voie à un réseau familial qui perdura encore une décennie au pouvoir.
L’étude de ce clan a été jusqu’ici largement négligée et la redécouverte de ces hommes permet d’étudier la complexification de la monarchie française au xvie siècle, avec la naissance des secrétariats d’État dont le contenu et le pouvoir ont largement été définis par leurs premiers détenteurs. L’autre versant est la diplomatie résidente dont la pratique, d’origine italienne à la fin du Moyen Âge, se diffuse à toute l’Europe et devient lentement un mode de relation normal entre les États et, surtout, une école du pouvoir pour les élites. Enfin, cette étude permet d’esquisser le portrait des grands officiers de la Couronne au xvie siècle.
Sources
Sur ces personnages, les études des historiens font défaut, et les sources ne sont pas toujours très abondantes. Les archives locales, archives municipales de Bourges et archives départementales du Cher, fournissent d’utiles indications sur les débuts de la famille Bochetel au xve siècle et un tableau fort complet des possessions terriennes de Guillaume I Bochetel. Pour comprendre la position des membres du clan à la cour, la matière principale est la correspondance diplomatique : pour Guillaume Bochetel, une correspondance avec Anne de Montmorency entre 1528 et 1530 essentiellement (archives du château de Chantilly), pour son fils, Bernardin III, ambassadeur en Suisse puis dans l’Empire dans les décennies 1550 et 1560, une abondante correspondance passive regroupée dans sept volumes à la Bibliothèque nationale de France (Cinq-Cents de Colbert 390 à 396).
Pour des aperçus sur l’ensemble du clan Bochetel ont été employées les correspondances diplomatiques de Jean de Morvillier, de Sébastien de L’Aubespine et, surtout, de Pomponne de Bellièvre qui adresse de nombreuses missives aux L’Aubespine et à Morvillier dans les années 1560-1570, permettant d’étudier la position du clan à la cour dans la seconde moitié du siècle. Quelques rares papiers privés (testament de Jean de Morvillier, inventaires après décès de Bernardin III et de Claude de L’Aubespine notamment) nous renseignent également sur la culture de ces hommes et sur leurs rapports.
Première partie
Parvenir : la fortune de Guillaume Bochetel (xve siècle-1545)
Chapitre premier
Aux origines d’un groupe : les Bochetel, entre Bourges et le roi
Les Bochetel sont actifs à Bourges à la fin du xve siècle. Jadis ville royale et point d’appui de Charles VII pour la reconquête du royaume de France, Bourges perd peu à peu de son dynamisme au cours du siècle et est durement éprouvée par le grand feu de la Madeleine en 1487 ainsi que par la perte des foires qui avaient été instituées à la place de Lyon. Ces deux occasions permettent aux Bochetel, bien intégrés à la notabilité berruyère, de servir activement la ville (prêt d’argent pour des réparations suite au feu, participation à des délégations municipales pour défendre le retour des foires).
Parallèlement, les Bochetel s’insèrent dans le groupe des officiers du roi. Le premier dont on possède la trace, Jean I Bochetel, actif dans les années 1440, a été secrétaire à la chancellerie de Dauphiné créée par Louis XI. Le petit-fils de Jean I, Bernardin II, a été procureur général du roi en Berry. Ces offices encore locaux sont complétés par une conquête de bénéfices, à l’image du frère de Bernardin II, Ravaut (ou Renault), qui fut chanoine de Notre-Dame de Paris.
C’est avec Guillaume I Bochetel, qui émerge dans les sources au début du xvie siècle, que la famille apparaît en pleine lumière. Notaire et secrétaire du roi en 1518, Guillaume I a peut-être débuté ses activités sous la férule de Florimond Robertet, auprès duquel il a pu approcher les débuts d’une culture de la Renaissance. Il épouse, à une date inconnue, Marie de Morvillier, dont la famille a des liens avec les Robertet et qui compte en ses rangs quelques puissants personnages, comme Pierre de Morvillier, chancellier sous Louis XI. Outre ce beau mariage, Guillaume I entame une carrière sous la protection d’un homme à l’étoile grandissante, Anne de Montmorency. Il est envoyé en Italie en 1528 pour accompagner l’expédition du comte de Saint-Pol et rapporte les moindres événements à son puissant protecteur, faisant ainsi l’apprentissage de la fidélité et de l’écriture diplomatique.
Chapitre II
Le règne de François Iᵉʳ : l’ascension de Guillaume Bochetel
Une mission ne suffit pas pour être distingué, et la seconde épreuve de Guillaume Bochetel se situe en 1530, moment clef pour Anne de Montmorency également. Il se rend cette fois en Espagne afin d’accompagner le vicomte de Turenne envoyé escorter la nouvelle épouse de François Ier, Éléonore de Habsbourg, l’alliance devant garantir le traité de Cambrai de 1529. Cette mission donne à voir un Guillaume Bochetel plus indépendant vis-à-vis de son protecteur, qui analyse avec finesse tout ce qu’il observe – là encore un trait de la pratique diplomatique. Il profite de sa mission pour nouer des contacts avec Éléonore, à laquelle il dédie un poème à son retour. Ce faisant, il dévoile l’un des ressorts de son ascension : son habileté qui consiste à ne pas se reposer uniquement sur un seul protecteur.
À son retour à la cour, Bochetel est doublement récompensé : il obtient en 1532 l’office de secrétaire des finances, ce qui l’élève dans la hiérarchie des officiers et lui donne les moyens d’acquérir davantage d’influence ; et il lui est confié deux œuvres de propagande pour le sacre et le couronnement de la reine Éléonore, où il peut faire montre à la fois de ses talents d’écriture et d’une qualité de plus en plus valorisée à la cour de François Ier, la culture.
Commence alors une progression du personnage au cœur des cercles du pouvoir, avec déjà les prémices des spécialisations des secrétaires des commandements instaurés sous Henri II. En effet, Guillaume Bochetel prend une part active à la diplomatie : à la fin de l’année 1537, il est auprès de Jean de Lorraine et d’Anne de Montmorency aux pourparlers de Leucate qui précédent la trêve de Nice de 1538, et en 1546 il est négociateur au traité d’Ardres avec l’Angleterre. Il accompagne les dépêches du roi à certains ambassadeurs, dont Castillon en Angleterre. La question de son influence à la cour entre 1532 et 1547 est plus délicate à cerner ; on sait qu’il survécut à la disgrâce d’Anne de Montmorency en 1541, peut-être grâce à cette habileté de se ménager d’autres protecteurs, comme Marguerite de Navarre ou Diane de Poitiers. On perçoit aussi, à travers les rares éléments de sa correspondance, qu’il a acquis un rôle de conseiller assez important pour être certainement présent au Conseil étroit, qui s’occupe des affaires les plus importantes.
Chapitre III
Guillaume Bochetel, l’officier gentilhomme
Guillaume Bochetel s’emploie, dans les années 1540, à bâtir une importante fortune foncière en Berry. Possédant sans doute déjà quelques biens au sud de Bourges grâce à sa famille, il acquiert une première seigneurie en 1541, Breulhamenon, nantie d’un château aux allures médiévales, puis, en trois fois entre 1544 et 1545, la terre de La Forest Thaumier. La première est située dans la Champagne berrichonne, terre fertile dévolue au blé, tandis que la seconde se trouve entre le Berry et le Bourbonnais, dans une terre plus marécageuse et boisée.
Si l’acquisition de deux seigneuries portant des droits de justice et faisant de lui un véritable seigneur traduit le souci de Bochetel de se hisser peu à peu au rang de la noblesse, il reste que ces terres ne sont pas qu’ornements et sont destinées à fournir des fruits. C’est ainsi que, dès leur achat, Guillaume s’emploie à relever les droits des seigneuries avec la confection de terriers. Ces deux terres apportent au seigneur des revenus essentiellement en nature, avec une domination du blé, à quoi s’ajoutent de très nombreuses gélines. Ces revenus, ainsi que le montre le compte d’un des receveurs de La Forest Thaumier, servaient à la table du seigneur, mais pouvaient aussi être vendus ou distribués aux tenanciers.
Ces deux terres fournissent aussi à Guillaume un lieu de retraite où il peut développer la culture devenue très importante à la cour de François Ier. Bochetel compose des poésies, parfois maladroites mais témoignant de la diffusion de la Renaissance et de son goût pour l’Antiquité ; il érige également un château dans un goût plus actuel et acquiert des œuvres d’art, dont Vénus embrassant l’amour de Luca Penni. Il est un esprit curieux qui réalise une traduction de l’Hécube d’Euripide longtemps attribuée à Lazare de Baïf.
Deuxième partie
Prendre le pouvoir : la construction d’un clan Bochetel (1545-1560)
Chapitre premier
Le Berry, berceau du clan Bochetel et socle de son pouvoir
Le Berry demeure au centre des attentions de Guillaume, qui, à la fin des années 1540 et jusqu’à sa mort en 1558, mène une politique d’arrondissement de ses biens. On le voit ainsi acheter Le Puy Sainte-Lizaigne en 1548, à proximité d’Issoudun et de Breulhamenon, et, du côté de La Forest Thaumier, la terre du Pondy en 1553. Le partage de ses biens, établi le 4 février 1560, fait apparaître une fortune importante de plus de 150 000 livres tournois marquée par une solide assise foncière en Berry, à quoi s’ajoute la possession de plusieurs rentes et droits. Tous ces biens en font un homme important dont le statut social se situe pourtant toujours entre roture et noblesse – en témoignent les épithètes d’honneur dans les actes, où il ne conserve jamais longtemps la qualité d’écuyer.
La terre est un des aspects de la puissance en Berry, complétée et confortée par la constitution d’un réseau formé à la fois par des membres du clan et par des alliés. Les membres du clan sont tout d’abord les enfants de Guillaume I lui-même, dont certains demeurent en Berry, à l’image de Guillaume II, abbé de Chalivoy et de Fontgombault, ou de Marie de Morvillier, l’épouse de Guillaume I qui gère fort étroitement les terres de son époux absent. Mais ce sont surtout les hommes et les femmes de la branche cadette des Bochetel qui occupent le Berry : Jacques I Bochetel, frère de Guillaume I, est receveur général des finances en Languedoïl et ses dix enfants s’insèrent dans la notabilité berruyère. On connaît surtout ses filles, dont les mariages montrent la récurrence de certaines alliances, avec les Genton ou les Riglet notamment, dessinant les contours du clan. Outre ses parents, avec lesquels existe une réelle solidarité visible dans certains règlements de litiges, Guillaume I peut compter sur une foule d’alliés qui apparaissent fugitivement comme témoins au bas des actes passés, par exemple son procureur Étienne Desbarres, chanoine à la cathédrale de Bourges, ou encore un avocat, Léon Colladon.
Le Berry, source de richesses, doit aussi être considéré sous l’angle religieux, car c’est une des contrées touchées précocement par l’effervescence religieuse ; mais son influence sur les Bochetel est difficile à appréhender, tant les indices sont contraires. Assurément, Jean IV Bochetel, fils de Guillaume I, fut protestant, mais la foi de ses parents est plus difficile à cerner. Ni nicodémites, ni ultracatholiques, ni protestants avérés, les Bochetel ont savamment cultivé l’ambiguïté afin de ne pas pénaliser leur ascension sociale ; ce sont des hommes apparemment curieux – comme en témoigne Bernardin III, qui possède quelques ouvrages douteux dans sa bibliothèque – mais qui ne franchirent jamais tout à fait le pas, exceptés certains – Jean IV Bochetel, notamment, participe à des assemblées protestantes au début des années 1560. Le constat est le même pour les autres hommes influents du clan, Claude de L’Aubespine ou Jacques Bourdin, que certains désignent comme évangéliques, ou Jean de Morvillier, homme de paix et de concorde avant tout.
Chapitre II
La cour de Henri II : un clan de hauts serviteurs de la monarchie
Sous le règne de Henri II, le clan Bochetel prend peu à peu place parmi les plus influents personnages du royaume. Le clan apparaît alors bien formé, fruit d’alliances passées sous François Ier : le mariage de Catherine I Bochetel avec Antoine de Vulcob à une date inconnue et, surtout, l’union en 1543 entre Jeanne II et Claude II de L’Aubespine, qui a entamé son ascension sous François Ier – d’abord comme commis de son beau-père. Sous Henri II, deux autres alliances affirment la position du clan : Marie I Bochetel épouse Jacques II Bourdin en 1549 ou en 1550, et cet homme succède, en 1558, à son beau-père au secrétariat d’État, dont il assumait déjà les fonctions ; enfin, une alliance locale est nouée avec les Riglet, à travers le mariage en 1558 d’Anne I et Edme Riglet, notaire et secrétaire du roi.
À l’avènement de Henri II, le clan triomphe : Claude II et Guillaume I deviennent secrétaires des commandements, aux côtés de Jean Duthier – qui est apparemment un ami du clan – et de Cosme Clausse. Malgré l’attribution de départements géographiques, les hommes du clan pratiquent un gouvernement en famille et l’on note, dans la correspondance de L’Aubespine notamment, une confusion des départements : Claude II de L’Aubespine s’occupe ainsi de l’Angleterre ou de l’Écosse, qui relevait en théorie du département de son beau-père.
Le clan Bochetel offre durant cette période des modèles de grands officiers de la Couronne au milieu du xvie siècle : Claude II de L’Aubespine, soumis aux Grands du royaume – en particulier aux Guise, dont la fortune croissante attire les Bochetel toujours en quête d’une diversification de leurs protecteurs –, se montre cependant un homme ambitieux, soucieux de son pouvoir. Son inventaire après décès en 1570-1571 laisse voir l’immense richesse du personnage, qui possédait nombre d’objets précieux, mais aussi une bibliothèque forte d’un peu moins de cent volumes dont la composition montre une prédilection pour les ouvrages historiques et une curiosité pour les nouveautés du temps. Cet exemple peut être mis en parallèle avec celui de Bernardin III, dont la bibliothèque comprenait un peu plus de quatre cents volumes : éduqué par Jacques Amyot, possédant une majorité d’ouvrages en grec et en latin, Bernardin est un authentique érudit de la Renaissance. Il partage avec son beau-frère Claude II de L’Aubespine un goût pour l’histoire, signe d’une culture utilitaire : L’Aubespine dans le cadre de son office de secrétaire des commandements et Bernardin III dans la diplomatie trouvaient dans l’histoire, essentiellement antique, des modèles de comportement.
Chapitre III
Les cours étrangères : un clan de diplomates
Dans ce clan, la diplomatie devient peu à peu centrale. Guillaume I lui-même continue de participer à des négociations, avec le traité de Boulogne en 1550, et ses parents, Claude de L’Aubespine et Jean de Morvillier, participent à la négociation du traité du Cateau-Cambrésis en 1559. La diplomatie devient une voie d’apprentissage du service du roi, à l’image des fils de Guillaume I : Jacques II Bochetel effectue une courte ambassade aux Flandres entre 1559 et 1560, tandis que Bernardin III est envoyé en Suisse entre 1554 et 1558.
Les différentes missions accomplies par les membres du clan font apparaître des spécialisations tournées vers les pays germaniques et la Suisse. Sébastien de L’Aubespine a ainsi accompli, à la fin du règne de François Ier, plusieurs missions visant à soutenir les princes allemands protestants dans leur lutte contre Charles Quint. Il s’y montre avant tout agent de subversion et négociateur habile, tandis que Bernardin III fait figure de diplomate-soldat en Suisse, s’occupant essentiellement de logistique, à la fois du recrutement des mercenaires suisses et de leur paiement, deux opérations particulièrement délicates.
À travers ces deux exemples s’illustre la figure du diplomate au milieu du xvie siècle, qui fait montre d’une pratique encore peu professionnalisée au service de la guerre ou de circonstances particulières. Elle évoque encore fortement celle des notaires et secrétaires du roi, avec des tâches comme le payement des troupes. La négociation au long cours avec une puissance étrangère n’est pas l’objet principal de sa fonction, car il s’agit d’abord de préparer la guerre à venir. Au reste, comme officier du roi, le diplomate s’insère dans des rapports de clientèle, ce qui l’amène à servir les intérêts de grands princes – les Guise dans le cas de Bernardin en Suisse. Pourtant, c’est bien une figure de diplomate qui émerge, avec des pratiques propres, ceci afin de mener à bien deux tâches essentielles : rechercher des informations et mener secrètement la guerre en temps de paix, à l’image de Sébastien de L’Aubespine en Allemagne. Déjà apparaît un trait particulier de cette nouvelle fonction : le réseau diplomatique, observable à travers les exemples de Jean de Morvillier et de Bernardin, particulièrement nécessaire pour obtenir des informations. Il semble peu à peu s’ébaucher un réseau de pouvoir à travers les liens tissés entre des diplomates qui, de retour à la cour, conseillers du roi ou occupant des charges dans le royaume, n’oublient pas leurs amis et alliés.
Troisième partie
Le clan au cœur de la « fureur de discorde civile » (1560-1577)
Chapitre premier
« Gouverner le timon » : la nouvelle constellation Bochetel
Entre 1560 et 1577, Jean de Morvillier et les L’Aubespine forment le cœur du nouveau clan Bochetel. Claude II de L’Aubespine et Jacques II Bourdin meurent en 1567 et sont remplacés respectivement par Nicolas de Neufville, Sr de Villeroy, époux de Madeleine de L’Aubespine, et le jeune Claude III de L’Aubespine. En 1569, lorsque meurt Florimond Robertet, baron d’Alluye, un allié des Bourdin, Pierre Brulart prend le secrétariat ; en 1570, Claude III de L’Aubespine meurt et est remplacé par un allié des L’Aubespine, Claude Pinart. Ces hommes œuvrent en commun, ce qui est aussi le cas des deux spécialistes du clan, Sébastien de L’Aubespine, qui conseille sur les matières délicates des mercenaires suisses, et Jean de Morvillier, qui participe aux affaires de finances. Tous deux jouent un rôle influent au Conseil du roi. Très proches de Catherine de Médicis, ils survivent au changement de règne en 1574 mais entretiennent apparemment des rapports moins étroits avec Henri III, qui écarte en 1578 le dernier des hommes du clan originel, Sébastien de L’Aubespine.
De leur côté, les Bochetel sont en périphérie. Jacques II Bochetel est diplomate en Angleterre entre 1566 et 1568, mais ne progresse guère dans son cursus honorum, se retirant sur ses terres et dans le château de Breulhamenon. Il tourne ses regards vers la noblesse et moins vers le service du roi, nouant pour sa fille, Marie, une alliance avec Michel de Castelnau, tandis que son fils, Jacques (IV), embrasse la carrière des armes et est tué devant Issoire en 1577. Bernardin III incarne le mieux la partie Bochetel du clan : très apprécié de son oncle Jean de Morvillier, il est ambassadeur dans l’Empire entre 1560 et 1565 où il participe à l’ébauche d’une alliance franco-impériale puis effectue plusieurs missions. Il entre au Conseil privé du roi en 1569 mais meurt peu après.
Tous ces hommes ont en partage des idéaux visibles à travers leur correspondance. Ils sont soucieux de servir la Couronne de France qu’ils dissocient progressivement du prince pour concevoir l’idée d’un État. Faisant le constat d’une Couronne très affaiblie sous le poids des déchirures religieuses, de la discorde et de complots ourdis par les ennemis de la France, ils s’attachent à la notion de concorde que défend Catherine de Médicis et promeuvent la politique d’union religieuse puis de tolérance civile. Ces hommes se veulent les conseillers les plus fidèles, expérimentés et éclairés de la monarchie et s’affirment comme un personnel compétent et indispensable de la Couronne, si indispensable même qu’ils vont parfois jusqu’à professer des opinions contre l’avis de Catherine de Médicis. Leur pouvoir et leur influence leur permettent de veiller aux leurs, et ils n’hésitent pas à en user pour obtenir des faveurs.
Chapitre II
« Vostre trés humble et trés obeissant serviteur et subject » : les Bochetel, ambassadeurs fidèles
La diplomatie, devenue l’une des activités centrales du clan, s’est perfectionnée dans la seconde moitié du xvie siècle, notamment à la faveur du traité du Cateau-Cambrésis qui a engendré, pour la France, l’envoi d’ambassadeurs résidents dans l’Empire et en Espagne, et a obligé à penser une politique dans un monde en paix, du moins extérieurement. Le diplomate est toujours un homme qui recherche des informations, s’efforce de discerner la vérité dans un monde bruissant de rumeurs, mais cette quête de savoir se fait désormais moins dans la perspective de conduire une guerre imminente que dans celle d’élaborer une politique internationale. À cela s’ajoute l’influence grandissante d’un gouvernement par l’écrit qui nécessite pour les princes et pour les agents de la Couronne de disposer de nombreuses informations.
Le diplomate a des tâches classiques, comme la défense, souvent acharnée, de la préséance – elle provoqua en 1564 un incident à la cour impériale qui précipita le départ de Bernardin III. Le diplomate est un homme qui a peu de goût pour sa fonction, une charge vécue comme ruineuse et comme un exil loin de la cour et donc loin de la faveur. Il est entouré d’un personnel que l’on commence à deviner dans les sources : parmi celui-ci se trouvent des secrétaires qui peuvent jouer le rôle de personnel permanent de l’ambassade et des porteurs de dépêches très nombreux, même si la routine du courrier présente en Italie n’existe pas encore en Allemagne. Les pratiques qui se sont formées au cours du siècle sont devenues de véritables habitudes, comme l’usage du chiffre ou l’envoi des missives par plusieurs routes.
La question se pose du degré d’indépendance de ce diplomate fort éloigné de la cour, les missives mettant parfois plus de trois semaines à lui parvenir. Si plusieurs personnages interviennent, comme les secrétaires d’État – d’ailleurs parents du diplomate – pour définir sa mission, ce dernier, avec l’expérience acquise, joue un rôle considérable, à la fois dans la décision, par ses conseils au prince, et dans l’exécution des ordres qu’il peut infléchir. Ainsi, Bernardin III invite à privilégier l’obtention de la main de la fille cadette de Maximilien pour Charles IX plutôt que de s’évertuer à obtenir celle de l’aînée. Reste que le roi et la reine conservent toujours la haute main et peuvent désavouer leur envoyé.
Chapitre III
Le réseau Bochetel pendant les guerres de Religion
Ébauché au milieu du xvie siècle, le réseau diplomatique des Bochetel, visible dans la correspondance de Bernardin, a atteint sa pleine maturité. Au sommet du pouvoir, Bernardin III entretient des rapports de plus en plus étroits avec Catherine de Médicis. Il est aussi en relation avec d’autres Grands, le plus proche du clan semblant être le cardinal de Lorraine, Charles de Guise, également en contact avec Jean de Morvillier à Trente.
Le réseau de Bernardin fait apparaître une société des ambassadeurs reliant la plupart des envoyés français – en Italie notamment –, qui échangent des informations et promettent de ne pas s’oublier à leur retour à la cour. Certains de ces diplomates sont plus proches du clan que d’autres, à l’image de Louis de Saint-Gelais, Sr de Lansac, ambassadeur à Trente, qui confie à Bernardin III ses deux enfants voyageant en Allemagne en 1561. Tous ces diplomates ont en partage une relative modération religieuse et une éducation humaniste, un profil encouragé par la régente, Catherine de Médicis et peut être aussi par le clan Bochetel, influant sur la conduite des affaires. Ces hommes se trouvent quelques alliés, comme Jean Hurault, Sr de Boistaillé, allié des Bourdin, dont les missives ajoutent l’amitié aux devoirs diplomatiques. On rencontre également des amis de Bernardin, comme Philibert Babou qui écrit à ce dernier tous les samedis et que Morvillier recommande à la cour pour entrer au Conseil du roi en 1563. Mais le grand ami et protégé du clan est alors Pomponne de Bellièvre, qui fait ses débuts en Suisse entre 1564 et 1571 et écrit de nombreuses missives à Jean de Morvillier et à Sébastien de L’Aubespine, alors que ces derniers s’efforcent de hâter son avancement.
Réseau d’amis et d’alliés certes, mais il ne faudrait pas oublier le poids considérable du clan familial dans l’exercice de la diplomatie. Jean de Morvillier, oncle des Bochetel, est le trait d’union entre tous les membres du clan. Ces derniers se montrent soucieux des liens du sang, et l’on voit, à la fin du xvie siècle, à travers la correspondance de Marie de Vulcob, proche de Jacques II Bochetel alors vieillissant, les liens durables entre le Berry et la cour où se trouve Villeroy. Les plus jeunes se forment par la diplomatie, devenue une véritable école du pouvoir : Pierre de Grantrye, allié des L’Aubespine, diplomate en Suisse entre 1566 et 1573, est un sujet indiscipliné qui s’adonne à l’alchimie et conspire avec La Mole et Coconat ; Jean de Vulcob succède à son oncle Bernardin III dans l’Empire (1570-1576). Tandis que les plus jeunes sont en poste, leurs parents au cœur du pouvoir à la cour les épaulent en sollicitant leurs gages, en leur procurant de l’avancement, en essayant d’obtenir leur rappel et en veillant à leurs intérêts dans le royaume, à l’image de Morvillier qui surveille les procureurs laissés par Bernardin III.
Conclusion
Le clan Bochetel reflète un moment particulier de la monarchie française au xvie siècle, qui se complexifie et nécessite de plus en plus de spécialistes permanents. Les hommes du clan Bochetel ont su s’élever dans la hiérarchie sociale où ils s’efforcent de s’intégrer à la noblesse, tout en formant un groupe aux traits spécifiques et que l’on peut dire propres aux grands officiers de la Couronne : le goût pour la terre, qui permet de prendre les vêtements nobles tout en conservant une gestion très attentive, le goût pour la culture et, enfin, un attachement à la notion de raison d’État, qui amène à privilégier les intérêts de la Couronne et à prôner l’image d’un homme parfaitement dévoué et désintéressé. Ces hommes ont su devenir les conseillers écoutés du prince, accompagnant les transformations institutionnelles et les influençant : ils sont à la source de la puissance du secrétariat d’État et ouvrent la voie aux grands ministres de Louis XIV. Ils ont construit une école du pouvoir à travers la diplomatie résidente naissante, dont les pratiques imprègnent ensuite leur manière de conduire les affaires, leur prudence ou leur art de la composition notamment. La diplomatie leur a aussi donné la conscience d’un État naissant dissocié de la figure du prince.
Le « beau xvie siècle » jusqu’en 1559 leur a permis de mettre en place les bases de leur pouvoir, avant que les guerres de Religion n’accélèrent les transformations déjà ébauchées. Ils forment alors un personnel compétent, cultivé et fidèle de la Couronne de France – atout important pendant les guerres civiles – et œuvrent à la restauration de son autorité, de sorte que, à la fin du xvie siècle, le roi ne peut plus se passer de ces hommes si expérimentés : si Henri III avait renvoyé brutalement les hommes du clan en 1588, Henri IV a bien conscience de leurs talents et il rappelle Villeroy en 1594. En ce dernier se réunit tout l’héritage du clan Bochetel : la culture, une ambition importante, le souci de donner du lustre à la charge de secrétaire d’État et l’activité diplomatique à travers l’obtention du département des Affaires étrangères.
Pièces justificatives
Édition de vingt pièces présentant le clan Bochetel autour de quelques thèmes : deux figures, Guillaume Bochetel et Jean de Morvillier ; la diplomatie et le secrétariat d’État ; le clan privé.
Annexes
Chronologie. — L’organisation du clan Bochetel : les lieux de pouvoir. — Cartes des possessions de Guillaume Bochetel en Berry. — Bernardin Bochetel, ambassadeur dans l’Empire : schéma des acteurs et de leurs rôles. — Chiffre employé par Bernardin Bochetel en 1567-1568. — Quelques remarques sur la généalogie de la famille Bochetel. — Généalogies.