Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Le contexte de la commande et de la création artistique de Gisors à la Renaissance
- Chapitre premier
- Gisors et le Vexin
- Chapitre II
- Les paroissiens en leur église
- Chapitre III
- Le chantier : acteurs et conditions matérielles
- Deuxième partie
- Le renouveau architectural de la Renaissance
- Chapitre premier
- Le début de la Renaissance : de 1515 à 1548
- Chapitre II
- La tour sud et l’introduction des ordres à l’antique dans le Vexin
- Chapitre III
- Le triomphe de l’ornementation bellifontaine et sa réinterprétation gisorsienne
- Troisième partie
- Aménagement mobilier et création artistique au sein de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais
- Chapitre premier
- Topographie de la commande artistique au sein de l’église
- Chapitre II
- Importance et diversité des arts de la couleur à Gisors
- Chapitre III
- La sculpture à Gisors, un art à la croisée des transferts
- Conclusion
- Pièces justificatives
- Catalogue et illustrations
Introduction
« L’extérieur estonne les espritz curieux,
Mais le dedans ravit et le cœur et les yeux.
Contre Amiens, Paris, Reims, Beauvais, Rouen, Chartre,
Pour le prix de la gloire elle oseroit débatre ».
Tels sont les mots écrits par Antoine Dorival, bourgeois de la ville de Gisors, en 1629. Ils pourraient à eux seuls définir les enjeux de cette étude. Gisors, ville située au croisement des routes de Paris, Beauvais et Rouen, capitale du Vexin normand, est au début du xvie siècle une ville dynamique dont l’église, dédiée aux saints Gervais et Protais, est en cours de reconstruction. À l’époque que nous allons étudier, le plus gros de l’édifice est achevé : le résultat en est une église paroissiale flamboyante de très grande dimension. L’achèvement de la nef, vers 1550, ne marque pas l’arrêt des travaux. La seconde partie du xvie siècle voit l’ajout du portail occidental, d’une tour placée à l’angle sud-ouest de l’église, d’un jubé et d’une tribune d’orgue. Au fur et à mesure de l’achèvement des nouvelles parties de l’église, les paroissiens commencent à les occuper et à les doter d’œuvres diverses. L’édifice décrit en 1629 possède une quantité d’objets phénoménale, accumulés au cours du temps. Le silence et le vide qui règnent aujourd’hui dans l’église ne nous aident pas à imaginer le faste et la vie qui caractérisaient l’église d’alors.
Le vide historiographique sur l’église de Gisors à la Renaissance a en grande partie été causé par les travaux de Louis Régnier, réalisés à la fin du xixe siècle, mais jusque-là jamais remis en question. Les quelques études ponctuelles effectuées sur les objets mobiliers méritaient également d’être replacées dans un contexte plus large. Les deux axes principaux qui ont orienté nos recherches ont donc été le thème de la commande artistique, de ses rouages et de ses enjeux, et le thème de la création artistique, à travers le milieu des artistes qui gravitaient autour de l’église, mais également à travers les transferts et l’introduction de formes nouvelles.
Sources
Les sources utilisées pour cette étude sont nombreuses et de différentes natures. Il faut tout d’abord signaler que les œuvres encore présentes dans l’église représentent un témoignage exceptionnel et varié de la création artistique au cours de cette période : vestiges d’un jubé dont l’aspect a partiellement pu être reconstitué, tour présentant un des premiers exemples d’utilisation des ordres à l’antique, vitraux des plus grands maîtres beauvaisiens et parisiens, panneaux peints de retables ne comportant presque pas de repeints, statuaire variée. L’étude de ces œuvres peut être complétée par les documents d’archives concernant la paroisse au cours de la période étudiée. Longtemps considérées comme perdues dans les bombardements de la seconde guerre mondiale, les archives de l’église de Gisors, qui n’étaient jusqu’alors connues que par des transcriptions partielles effectuées au xixe siècle, ont été récemment redécouvertes par Étienne Hamon, dans le cadre de ses recherches sur les campagnes de travaux de l’époque flamboyante à Gisors. À la suite de son travail, nous avons donc dépouillé l’intégralité des registres de comptes de la fabrique concernant la seconde moitié du xvie siècle. Leur très bon état de conservation et leur nombre exceptionnel méritent d’être soulignés. Certains registres de comptes de la confrérie Notre-Dame de l’Assomption ont également été conservés. Ces comptes nous permettent de prendre connaissance des différentes campagnes de travaux ayant eu lieu dans l’église et des importantes commandes artistiques réalisées par la fabrique. Ils regorgent également de détails concernant la vie des multiples artisans et les relations entre les différents acteurs de la vie paroissiale.
Réduire les archives de l’église à ces seuls registres nous priverait cependant de tout un pan de la vie de la paroisse. Gisors accueillait de nombreuses confréries et, fait exceptionnel, les martyrologes de cinq d’entre elles sont encore conservés. La plupart des registres des tabellions sont perdus, mais ceux qui subsistent contiennent un marché entre Jean Grappin, architecte de l’église, et une confrérie ainsi que des contrats de mariage nous permettant de retracer la vie des artistes gisorsiens et de reconstituer leur milieu social. D’autres documents plus inhabituels nous apportent une vision différente du lieu : des manuscrits de paroissiens nous livrent une histoire anecdotique. Le plus connu et celui qui sert le plus notre étude est le Tableau en vers de l’église de Gisors de 1629, rédigé par Antoine Dorival. Dans un long poème en alexandrins, ce bourgeois de la ville loue les beautés de l’église et offre un inventaire presque exhaustif de ses richesses. D’autres pièces, tels des inventaires, mentionnent la présence d’objets particuliers dans l’église, comme les reliquaires, les chandeliers ou encore les croix d’orfèvrerie.
Des documents se trouvant dans d’autres centres d’archives ont également apporté des informations non négligeables sur l’église de Gisors : des procès-verbaux de visites épiscopales conservés aux archives départementales de Seine-Maritime ainsi que des contrats retrouvés dans le Minutier central des Archives nationales dans le cadre de cette étude. Nous déplorons cependant la disparition de la grande majorité des registres anciens des tabellions de Gisors, nous privant de nombreux contrats passés avec les artistes de la ville.
Première partie
Le contexte de la commande et de la création artistique de Gisors à la Renaissance
Chapitre premier
Gisors et le Vexin
Le contexte géographique, économique et administratif a fait de Gisors un lieu attractif où différentes catégories sociales se mêlent. La capitale du Vexin normand est un important centre administratif, judiciaire et économique. La ville est le centre d’un bailliage, d’une élection et d’un parlement. Grâce à ces institutions, le milieu des officiers est particulièrement développé parmi les bourgeois de la ville. Certains de ces officiers, grâce à leur enrichissement, sont anoblis au début du xvie siècle. Le Vexin est par ailleurs une terre qui attire la haute noblesse : les d’Estouteville, les Bourbon comtes de Saint-Pol, les ducs de Longueville. Sa position géographique à la croisée des routes allant de Beauvais à Rouen et de Dieppe à Paris a favorisé le développement du commerce et des bourgeois-marchands, mais a également favorisé les échanges de toutes natures. Ces différentes catégories sociales cohabitent sans se nuire, participent à la diversité artistique du Vexin et interviennent chacune de manière différente pour le faste de l’église.
Chapitre II
Les paroissiens en leur église
L’église Saint-Gervais-Saint-Protais est la seule église paroissiale de Gisors, capitale du Vexin, ville au rayonnement administratif important, accueillant de nombreux officiers enrichis et une bourgeoisie aisée. L’ensemble de la société se réunit par conséquent dans ce lieu pour effectuer ses dévotions, hormis les protestants, qui restent invisibles dans le cadre de cette étude. C’est sans doute cette singularité, et non un statut de collégial ou de cathédrale qu’on a souvent voulu lui conférer, qui a concentré les générosités sur cet édifice. Cela a eu pour conséquence la création de structures très organisées : la fabrique est une institution rodée aux plus importants chantiers et peu d’églises normandes abritent un nombre aussi important de confréries. Le grand prestige de certaines d’entre elles, notamment celle de Notre-Dame de l’Assomption, a permis un large recrutement, comprenant les plus grandes familles de France. Si des conflits ont parfois eu lieu entre ces différentes institutions, la conciliation et le dialogue ont plus souvent régné pour la période qui nous concerne. Cette profusion d’organisations diverses a permis de focaliser les générosités sur l’église Saint-Gervais-Saint-Protais et d’organiser les commandes artistiques collectives, dotant ainsi l’édifice d’une quantité d’œuvres dont celles qui nous sont parvenues ne sont qu’un maigre aperçu. Des donations d’œuvres ont également été effectuées par de très riches particuliers, souvent en lien avec des fondations de messes, sans passer par les organisations précitées. Certains seigneurs choisissent en effet d’établir leur chapelle dans l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, alors même qu’une église se trouve sur leur seigneurie et aurait pu remplir ce rôle. Du fait du brassage social qui s’y effectue, la ville de Gisors offre une bonne visibilité. De plus, la réputation du clergé y exerçant renforce la sainteté du lieu. L’absence de grand noble ou de prince, qui serait personnellement trop attaché à la ville et impliqué dans la vie de l’église, laisse la possibilité à tous types de fortune d’afficher leur générosité dans ce lieu. Mais si l’on confond tous les types d’investissement possible dans l’église (que ce soit l’implication personnelle dans une de ses organisations ou un don financier), il faut noter que la catégorie sociale qui y est la plus active est celle réunissant les officiers de finance et de loi.
Chapitre III
Le chantier : acteurs et conditions matérielles
Cette importance accordée à l’église et à son embellissement a eu pour conséquence le développement d’un microcosme d’artisans autour du bâtiment, structurés par la fabrique. Cette dernière organise l’ensemble du chantier, de la commande de matériau au paiement des artisans. Des générations entières d’artistes, qui ont par la suite pu prendre leur indépendance, sont issues de ce milieu qui a émergé de la reconstruction de l’église. En fonction de leur rôle au sein du chantier, artistes et artisans se trouvent plus ou moins liés à l’église et à la ville de Gisors. Dans les cas où leur carrière se trouve intimement attachée à la vie du chantier, ils sont entièrement intégrés à la société gisorsienne, notamment dans le cadre des confréries. Dans le cas contraire, ils ont pour seul point commun le paiement qu’ils reçoivent des trésoriers de la fabrique de l’église, qui s’occupent de tous les aspects matériels du chantier. Ce groupe social, que nous pouvons circonscrire et étudier grâce aux comptes de la fabrique, ne doit pas nous faire oublier qu’il ne représente qu’une partie des artistes et artisans de la ville, et que Gisors devait constituer un foyer artistique dont il nous est difficile de mesurer l’ampleur.
Les campagnes architecturales de la seconde moitié du xvie siècle n’ont pas la même ampleur que celles du chantier flamboyant, en termes de commandes de matériaux et du nombre de personnes employées, mais le mode d’organisation du chantier reste similaire à celui de la période antérieure. Les nouvelles campagnes de travaux concernent des structures autonomes par rapport à l’économie générale de l’édifice et chacune d’entre elles introduit son lot de motifs nouveaux qui vont être déterminés.
Deuxième partie
Le renouveau architectural de la Renaissance
Chapitre premier
Le début de la Renaissance : de 1515 à 1548
L’utilisation des motifs de la première Renaissance dans l’architecture de l’église de Gisors reste d’actualité pendant une longue période : de 1515 jusqu’au milieu du xvie siècle. Tout en introduisant des motifs du nouveau répertoire antiquisant, les architectes conservent des structures gothiques et une sensibilité flamboyante. Le vocabulaire à l’antique employé à Gisors adopte des motifs privilégiés, qui prennent plus d’importance que dans d’autres foyers artistiques : motifs de dauphins, de « S » opposés, de médailles. Au cours de la même période, vers 1540, de nouveaux systèmes décoratifs, objets de notre prochain développement, sont introduits. Plusieurs influences et styles cohabitent donc dans les mêmes années, sur un bâtiment identique et dans les créations de mêmes architectes.
Contrairement à d’autres chantiers de cette époque, l’apport de la Renaissance ne semble pas s’effectuer principalement par le biais de commanditaires humanistes et éclairés, ayant voyagé en Italie et imposant un goût nouveau approché dans les cours les plus importantes, mais plutôt par les artistes, qui ont eu vent des nouveautés introduites dans d’autres édifices de la région. Le rôle des prélats pontificaux et des grands personnages de la cour semble donc indirect dans le cas de l’église de Gisors.
Chapitre II
La tour sud et l’introduction des ordres à l’antique dans le Vexin
De par son autonomie par rapport au reste de l’église, la tour sud a constitué un espace privilégié en matière d’expérimentation architecturale. La construction de sa façade extérieure, dont le projet a dû voir le jour vers 1547 environ, montre comment les architectes, sans changer leurs habitudes constructives qui restent flamboyantes, introduisent un vocabulaire nouveau, inspiré des grands chantiers contemporains et dont le détail est inspiré par le Livre IV de Serlio, qui connaît une grande diffusion à cette époque. Mais il faut encore attendre quelques années et les réalisations architecturales intérieures pour que la maîtrise de la grammaire de ces ordres soit portée à son paroxysme, sur des éléments comme la grosse pile carrée et l’escalier à vis, qui représente une magnifique synthèse, inédite sur ce type de structure, entre l’utilisation d’un vocabulaire classique de superposition d’ordres et une ornementation fantaisiste, le tout placé de manière rampante selon un principe typiquement français.
Les comptes de la fabrique de Gisors ne laissent pas de doute quant aux personnalités à l’origine de cette construction : Robert Grappin dont le travail est poursuivi par son fils Jean I Grappin, qui a également pu être présent pour la phase de conception dans la mesure où il a la charge de maître maçon de 1548 à 1550, avant de laisser sa place à Pierre de Montherould. Or l’attribution des autres églises du Vexin utilisant un décor d’ordres à l’antique n’est pas si évidente. Si Louis Régnier a voulu voir dans ce motif la marque de Jean Grappin, il peut être démontré que cet architecte n’a pas systématiquement œuvré dans toutes les églises du Vexin.
Chapitre III
Le triomphe de l’ornementation bellifontaine et sa réinterprétation gisorsienne
Les années 1560 voient l’intégration de nouveaux motifs, parallèlement aux anciens qui ne semblent pas être effacés des carnets de dessin des architectes de l’église. La coïncidence de cette introduction dans l’architecture de l’église avec le retour de Jean I Grappin sur le chantier en 1558 nous permet de penser que ses sept années de « vagabondage » n’ont pas été vaines et que ses yeux se sont emplis de modèles, ses carnets de dessins, et ses poches de reproductions de gravure. Jean I Grappin a greffé de nouveaux motifs, mais a également poussé à une virtuosité extrême l’application de la grammaire des ordres à l’architecture, comme le montre l’escalier à vis de la tour sud. À partir de 1570, il a dirigé la construction d’un jubé à trois arcades, dont nous avons pu reconstituer l’aspect. Il a par la suite su suivre les innovations de son temps, en produisant le morceau d’architecture tout à fait original que constitue la tribune d’orgues en 1578, où il crée son propre ordre – semblant suivre les conseils de Philibert de l’Orme – et introduit des motifs inspirés de la façade du Louvre de Lescot.
Si le rôle de l’architecte Jean I Grappin ne peut être remis en cause ni pour l’introduction de la nouveauté, ni, probablement, pour celle de ses modèles, il faut tout de même insister sur le fait qu’aucun des chantiers fastueux que nous avons étudiés n’aurait été possible sans une forte volonté des trésoriers de la fabrique. C’est à leur demande que les travaux sont lancés et le choix d’ajouts architecturaux tels que le frontispice, présentant le programme de l’Église catholique, n’est pas dénué de symbolisme. Peut-être sont-ils aussi à l’origine de l’utilisation quasiment obsessionnelle de l’arc de triomphe, présent du frontispice au chœur de l’église, manifestant le triomphe de la vraie foi, la gloire du Christ et la promesse de la résurrection.
Troisième partie
Aménagement mobilier et création artistique au sein de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais
Chapitre premier
Topographie de la commande artistique au sein de l’église
La cohérence de l’espace ecclésial dépend du rôle unificateur des membres de la fabrique et du clergé qui octroient ou non les différentes parties de l’église aux bienfaiteurs. Il était devenu tellement habituel que les confréries habitent les chapelles collatérales que ces organisations se sont même emparé d’espaces situés dans ces endroits, mais précédemment dévolus à des donations privées. En fonction de la générosité d’une fondation de messes ou d’un don effectué par un bienfaiteur individuel, les trésoriers de la fabrique pouvaient confier un recoin de l’église à l’individu en question, qu’il pouvait clôturer. Libre alors à lui d’y installer les œuvres de son choix et un autel, où des messes étaient célébrées pour son salut. Malgré le nombre de donateurs privés différents, on peut noter, à l’échelle de l’église entière, le développement d’un programme iconographique sur le thème de la Passion du Christ : sa mise en croix, sa descente de croix, sa mise au tombeau et sa résurrection étaient représentées sur les piles de la croisée du transept. En entrant dans l’église, on ne pouvait manquer de remarquer le Christ en croix qui surmontait le jubé, faisant ainsi le lien entre les différents éléments. Un fidèle du début du xviie siècle qui s’approchait du chœur découvrait des thèmes plus sensibles. Les représentations de Pierre et de Paul affirmaient son attachement à la catholicité, il était effrayé par les scènes colorées de l’Apocalypse qui ornaient le jubé, annonçant d’affreuses souffrances en cas d’éloignement de la vraie foi. Mais la vision offerte par le chœur ne pouvait pousser le fidèle dans cette direction : le corps du Christ était abrité dans un précieux tabernacle trônant majestueusement sur la table d’autel, les vies des saints protecteurs de l’église étaient montrées en exemple sur les panneaux peints, entre lesquels se trouvait représenté, à travers la Cène et d’autres préfigurations de l’Ancien Testament, le geste sacrificiel que le prêtre accomplissait à cet endroit même lors de cérémonies. La présence permanente du Christ lui rappelait ainsi le salut offert par la foi.
Chapitre II
Importance et diversité des arts de la couleur à Gisors
Les différents arts de la couleur à Gisors sont imperméables : jamais les maîtres verriers ne semblent avoir réalisé de peintures murales ou de panneaux peints, ni les peintres de verrières. Le milieu artistique, très endogame quelle que soit la spécialité des différentes personnalités, est en revanche fortement marqué par les transferts esthétiques, qui évoluent au cours de notre période. Le nord de la France et de l’Europe apparaît comme une influence très importante au début de l’époque : panneaux peints commandés par le bailli de la Viefville en provenance du nord de la France ou des Flandres, verrières des Le Prince de Beauvais dont la manière se prolonge à travers l’atelier des Buron, famille de maîtres verriers gisorsiens. Cependant, un artiste gisorsien, Andry Couille le Jeune, est présent à Fontainebleau dès 1537 et participe certainement à l’influence croissante que le pôle de Fontainebleau constitue pour le milieu artistique de Gisors. Son retour dans la ville, à la fin de la décennie 1550, marque le début du développement d’un important atelier de peinture qui perdure à Gisors pendant toute la seconde moitié du xvie siècle et dont on conserve des œuvres anonymes, notamment des peintures murales. Au milieu du siècle, il semblerait que les transferts venus du nord se soient entièrement arrêtés au profit de ceux en provenance de la cour. En 1545, un donateur privé a fait don à l’église d’une verrière exceptionnelle d’origine parisienne et constituant un parangon du style bellifontain. Les panneaux peints réalisés à la fin du siècle présentent un style maniériste marqué et des modèles tout à fait novateurs. Les liens avec la cour de Fontainebleau se poursuivent à tel point que l’un des peintres, issu de la seconde grande famille de peintres gisorsiens, les Poisson, devient un des peintres préférés du roi – pourrait être l’auteur du Portrait d’Henri IV en Hydre de Lerne.
Chapitre III
La sculpture à Gisors, un art à la croisée des transferts
Du fait du nombre d’œuvres importées, le milieu des sculpteurs gisorsiens semble plus difficile à saisir que celui des peintres. Tout d’abord, il nous faut souligner le lien entre le métier de maçon et celui d’imagier, du fait de la formation des maçons, de leur nécessaire maîtrise de la taille de la pierre et du fait qu’ils sont amenés à réaliser des motifs sculptés sur des éléments d’architecture. C’est ainsi que pendant tout le temps où Jean I Grappin est à la tête du chantier, de 1558 à 1583, la fabrique ne fait appel à aucun autre sculpteur.
Un second élément tendant à brouiller notre compréhension du milieu gisorsien est le nombre de commandes semblant avoir été effectuées à des artistes extérieure à la ville n’étant pas toujours documentées. Elles peuvent concerner aussi bien des œuvres de grande envergure, comme la Mise au Tombeau ou le Trépassement de la Vierge, que des statues de saints ou des retables. De plus, des sculpteurs extérieurs sont venus travailler à Gisors, comme Pierre des Aubeaux et son atelier dans le cas du Trépassement de la Vierge ou Jean Vivian pour le retable du maître-autel. Dans le second cas, nous ne savons pas ce qu’il est advenu de l’artiste ni s’il est encore resté quelque temps dans la ville.
Cette complexité du milieu de la sculpture à Gisors, qui est parfois fort actif, parfois inexistant, et composé d’acteurs attachés à d’autres lieux ou à d’autres professions, peut expliquer le fait que les imagiers n’aient jamais eu de statut enregistré dans le livre des métiers de la ville. Dans d’importants foyers de sculptures, comme à Amiens, le métier de sculpteur était reconnu et enregistré, contribuant à son organisation. Cela n’empêche pas que des œuvres remarquables aient été produites à Gisors ou que les commanditaires gisorsiens les aient fait importer.
Conclusion
L’étude de l’église de Gisors de 1511 à 1629 a permis de cerner le milieu des artistes de la ville et sa complexité, de comprendre les rouages et les enjeux de la commande artistique ainsi que de percevoir l’évolution des formes artistiques, que ce soit en matière d’architecture, de sculpture, de peinture ou de vitrail. L’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Gisors constitue une plaque tournante artistique : des œuvres d’art d’origines diverses y sont importées, de même que des ateliers se forment autour d’elle et exportent des œuvres dans d’autres églises. Ces transferts d’une richesse exceptionnelle n’auraient jamais pu avoir lieu si des donateurs, constitués de personnes privées, mais également des confréries et de la communauté paroissiale représentée par la fabrique, n’avaient pas consacré un certain prix à la gloire de l’église de Gisors. Cette étude apprend donc beaucoup sur l’introduction des formes de la Renaissance, notamment dans le domaine de l’architecture. Le plan d’origine a sans cesse été modifié pour intégrer à l’architecture de l’édifice des éléments de modernité architecturale : motifs de la première Renaissance sur la tour nord vers 1530, ordres à l’antique sur la tour sud à la fin de la décennie 1540, ornementation bellifontaine sur le frontispice occidental en 1560, classicisme des trois arcades du jubé et de l’escalier à vis de la tour sud vers 1570, création et combinaison fantaisistes de motifs pour la tribune d’orge en 1578.
De par les échanges entre Gisors et les différents pôles artistiques de cette époque (Rouen, Beauvais, Paris, Fontainebleau), l’étude des œuvres artistiques encore présentes dans l’église apporte également à la compréhension globale de cette époque. Certaines œuvres, comme le vitrail de la Vie de la Vierge, réalisé en 1545 sans doute par un atelier parisien, sont à la pointe de la modernité de leur époque. L’étude poussée de ce vitrail et des liens qui peuvent être faits avec d’autres œuvres des environs, si elles ne suffisent pas pour l’instant à identifier l’artiste à l’origine de l’œuvre, pourraient par la suite contribuer à identifier un nouvel atelier de peintres sur verre ou à le rattacher à la production d’ateliers déjà connus, comme celui de Nicolas Beaurain. D’autres œuvres d’artistes gisorsiens, comme les volets de retables des saints Gervais et Protais, peints par Louis I et Louis II Poisson, peuvent contribuer à l’identification d’œuvres majeures jusqu’alors anonymes. Le Louis II Poisson de Gisors, peintre du roi, ne pourrait-il pas être l’auteur du majestueux portrait d’Henri IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne ? Si certains documents vont dans ce sens, on pensait jusqu’alors qu’aucune œuvre de Louis Poisson n’avait été conservée. Bien que la comparaison stylistique entre les panneaux peints de Gisors, œuvre de jeunesse de l’artiste réalisée en collaboration avec son père, et le tableau du Louvre ne suffise pas pour l’instant à affirmer que Louis II Poisson est l’auteur de ce dernier, du moins n’exclut-elle pas cette possibilité. De plus, la chronologie précise de l’architecture de l’église de Gisors qui a pu être établie pourra apporter beaucoup pour la connaissance de l’architecture religieuse dans la seconde partie du xvie siècle dans le Vexin. Aussi l’intérêt de Gisors à la Renaissance dépasse les seules limites de la ville. Certaines de ses œuvres constituent certainement les chaînons manquants à une meilleure connaissance de l’art du second xvie siècle, recelant sans doute encore bien des surprises.
Pièces justificatives
Éditions de documents : sélection des comptes de la fabrique ; sélection des comptes de la confrérie Notre-Dame de l’Assomption ; tableau en vers de l’église de Gisors écrit par Antoine Dorival en 1629 ; marché passé entre la confrérie Saint-Louis et Jean Grappin le jeune pour la réalisation d’un retable ; cession par Louis II Poisson de son office de grenetier à sel ; inventaire du trésor de la fabrique réalisé en 1600 ; compte rendu de la visite archidiaconale de 1615 ; inventaire des ornements de la confrérie Notre-Dame de l’Assomption. — Tableaux, graphiques et plans synthétiques résumant les mentions de comptes répétitives (prix des matériaux, jours travaillés des maçons). — Plan de la répartition de l’espace de l’église entre les différents acteurs de l’aménagement mobilier. — Dictionnaire des artistes de l’église.
Catalogue et illustrations
Catalogue des œuvres de l’église de Gisors : architecture, sculpture, peinture, vitrail, registre de confrérie enluminé. — Illustrations : architecture d’autres édifices et églises du Vexin, objets mobiliers pouvant être mis en lien avec ceux de Gisors. — Planches comparatives et gravures ayant pu servir de modèles aux artistes de l’église.