Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Le carnet de Sienne, présentation et enjeux
- Chapitre premier
- Giuliano da Sangallo et son corpus dans le milieu artistique de la Renaissance
- Chapitre II
- Présentation historique et matérielle du carnet de Sienne
- Chapitre III
- Les techniques du dessin et ses modes de représentation : l’apport de Giuliano da Sangallo à l’évolution du dessin architectural
- Deuxième partie
- Catalogue : présentation et notices
- Conclusion
Introduction
Le carnet de Sienne est un petit recueil de parchemin autographe de cinquante-deux feuillets, contenant des représentations d’architecture et de mécanique et des motifs décoratifs, composé par Giuliano da Sangallo (1441 ? – 1516). L’architecte florentin y rassembla en quatre cahiers des dessins témoignant du déroulé de sa carrière : les influences incontournables (Brunelleschi, Alberti), les recherches sur les édifices antiques (à Rome, à Naples, dans le sud de la France), ses propres projets. Dans l’histoire de l’architecture de la Renaissance, Giuliano Giamberti, renommé « da Sangallo » par Laurent de Médicis, figure comme un artiste emblématique d’une période de découvertes et d’effervescence qui vit la mise au point de nouvelles méthodes d’analyse et de projet, à l’articulation des XVe et XVIe siècles. Reconnu pour sa position privilégiée auprès de Laurent de Médicis, l’architecte fut quelque peu négligé de l’historiographie par rapport à ses concurrents qui s’imposèrent sur le projet fondamental du moment, la reconstruction de Saint-Pierre de Rome. Son corpus graphique suscita cependant l’intérêt, autant que son œuvre architecturale. Certains de ses dessins d’après l’antique furent publiés dès la fin du XVIIIe siècle à Rome tandis que, dans le milieu siennois où il était conservé, le carnet intéressait surtout pour les dessins relatifs aux œuvres locales. Les Français apprécièrent les relevés réalisés par Giuliano da Sangallo des antiquités du sud de la France (arc et théâtre d’Orange, Cimiez, etc.) et plaidèrent pour une étude de son corpus dès la fin du XIXe siècle. L’architecte intégra dans son recueil des architectures contemporaines et ses propres projets, offrant ainsi un matériel complet qui fournit de nombreux éléments de compréhension de sa carrière et de son influence sur son entourage, et plus généralement de la pratique artistique et architecturale à la Renaissance.
Sources
Le carnet de Sienne compte parmi les plus beaux manuscrits du fonds patrimonial de la bibliothèque communale de Sienne, où il est conservé sous la cote S.IV.8. Les archives de cette bibliothèque recèlent d’importantes sources pour éclairer l’histoire de ce carnet, notamment les documents liés à son premier propriétaire siennois connu, Giovanni Antonio Pecci, ainsi que la correspondance du premier bibliothécaire, Giuseppe Ciaccheri, enfin les documents et inventaires issus de la réorganisation de la bibliothèque à partir de la fin du XVIIIe siècle. Bien que l’étude se concentre sur le carnet, l’ensemble du corpus graphique de Giuliano da Sangallo a été considéré ; de nombreux dessins, essentiellement liés à des projets d’architecture, sont conservés au cabinet des estampes et dessins du musée des Offices à Florence. Il existe un autre recueil de Sangallo, dit codex Barberini, lui aussi sur parchemin mais aux dimensions plus imposantes, conservé à la Bibliothèque apostolique vaticane de Rome (Barb. lat. 4424). Dans l’identification de copies et de parallèles, ont également été pris en compte les dessins d’autres artistes, notamment le frère et les neveux de l’architecte (collection graphique des Offices), mais aussi d’autres recueils conservés en Italie, en France, en Angleterre et en Espagne, généralement publiés (à quelques exceptions près). Quelques liens avec la peinture de la fin du XVe siècle ont enfin été établis.
Cette recherche s’est aussi appuyée sur la consultation de sources écrites, manuscrites comme imprimées (et souvent illustrées). Ces documents – biographies, correspondances, traités et livres d’architecture – éclairent le quotidien et la pratique artistique de la Renaissance. Enfin, les objets mêmes des représentations graphiques apportent des éléments à la recherche sur ces dessins. Souhaitant être au plus près du processus de constitution des dessins et du recueil, la réflexion a donc intégré les édifices représentés par Giuliano da Sangallo, dont une partie subsiste aujourd’hui.
Première partie
Le carnet de Sienne, présentation et enjeux
Chapitre premier
Giuliano da Sangallo et son corpus dans le milieu artistique de la Renaissance
Giuliano da Sangallo et sa « dynastie ». — Afin d’apprécier la position du carnet de Sienne dans la carrière de l’architecte, il convenait de rappeler sa biographie, en l’envisageant toutefois dans son rapport au corpus graphique. Cette partie biographique a permis de mettre en évidence les contenus particuliers du carnet de Sienne par rapport à l’autre recueil de Giuliano da Sangallo, le codex Barberini, considéré comme plus représentatif des expériences de l’architecte. Or le carnet rassemble des plans des projets les plus emblématiques réalisés (ou non) par l’architecte à la fin du XVe siècle, ainsi que des relevés issus des deux grands voyages à Naples et en France (quand le codex Barberini est davantage marqué par les relevés d’architecture réalisés à Rome). Ces éléments contribuent à suggérer une datation du carnet plus haute que celle généralement proposée. Le carnet : contenus, réception, étude. — Après avoir présenté les thématiques abordées dans ce carnet, il s’agissait de mettre en évidence leur originalité dans la production graphique de la période mais aussi leur impact et leur positionnement dans l’historiographie. Giuliano da Sangallo effectua des relevés uniques et de grande qualité, dont l’autorité fut reconnue par ses pairs. L’architecte fournit le témoignage parfois presque unique de certains monuments antiques, comme d’édifices post-antiques et contemporains. Au-delà de ces autorités, le corpus de Giuliano da Sangallo s’enrichit de ses propres créations d’architecture civile, sacrée et militaire. Cette diversité fait du carnet un recueil particulièrement original pour la période, mais également un objet difficilement catégorisable. Aussi semblait-il nécessaire de convoquer les différents aspects pouvant éclairer son positionnement dans la production graphique du temps. Matérialité, contenus, organisation ont été pris en compte et conduisent à définir ce recueil comme de véritables archives graphiques, qui témoignent de recherches très personnelles tout en ayant une vocation à la postérité.
Chapitre II
Présentation historique et matérielle du carnet de Sienne
De l’atelier de Giuliano da Sangallo à la bibliothèque de Sienne, histoire du carnet. — Après la mort de Francesco da Sangallo (1494-1576), le fils de l’architecte, le devenir du carnet reste mystérieux jusqu’à ce qu’il réapparaisse dans une collection privée dans la première moitié du XVIIIe siècle, avant de rejoindre le fonds de la bibliothèque communale de Sienne. La date de son arrivée dans la collection publique a pu être précisée par les recherches effectuées dans les archives de la bibliothèque, qui ont également révélé quel était le regard porté sur ce carnet à la fin du XVIIIe siècle et son statut dans la collection. Le manuscrit était alors mis en valeur pour ses dessins de projets et monuments de Sienne qui, bien que peu nombreux, l’ont fait compter parmi les œuvres susceptibles de contribuer à la connaissance et au rayonnement de l’école artistique siennoise. La publication précoce de quelques dessins en 1786 concernait des relevés d’après l’antique, une thématique plus en vogue dans le milieu romain. L’édition de l’ensemble du carnet en 1899 fut l’occasion d’en diffuser les contenus, qui furent intégrés à la réflexion générale sur le recueil de dessin de la Renaissance.
Analyse codicologique. — L’observation du carnet a permis d’en approfondir l’étude codicologique, qui révèle un manuscrit assez proche de ses supposées dispositions d’origine malgré la disparition de quelques feuillets (certains étant identifiés dans cette étude) et des remaniements, dont la plupart remontent à l’époque de Giuliano da Sangallo. L’architecte était un habitué de la recomposition : le codex Barberini est lui aussi composé de plusieurs cahiers et dessins, dans un assemblage cependant plus complexe que celui du carnet, qui réunit des bifeuillets et feuillets visiblement de même taille à l’origine. Par les recherches menées dans les archives de la bibliothèque communale de Sienne, il a été possible de dater la reliure actuelle (refaite en 1810) et d’identifier les différentes marques d’appartenance.
Chapitre III
Les techniques du dessin et ses modes de représentation : l’apport de Giuliano da Sangallo à l’évolution du dessin architectural
La bella copia : procédés, inventions, conventions. — Le corpus des dessins de Giuliano da Sangallo est constitué presque exclusivement de dessins en bella copia, des versions mises au net de croquis antérieurs dont on n’a malheureusement pas conservé d’exemplaire. Dans le carnet, les motifs figuratifs et décoratifs sont en partie exécutés à main levée mais les relevés et projets d’architecture font majoritairement l’objet de tracés préparatoires. Ces tracés transparents sont difficilement visibles : quelquefois perceptibles sur la version numérisée du manuscrit, ils se révèlent mieux en lumière rasante ou éclairés par une lampe à infrarouge. Une autre caractéristique de la bella copia réside dans ces lavis qui accentuent le relief et confèrent un aspect pictural aux dessins. Dans la mise au net des croquis de terrain, Giuliano da Sangallo expérimente diverses solutions de représentation, mêlant certaines conventions qui lui sont spécifiques et n’auront pas de fortune, et d’autres qui sont plus généralement utilisées.
Modes et pratiques de représentation. — Le goût pittoresque de Giuliano da Sangallo s’exprime par l’usage de la perspective et des lavis dans ses relevés d’architecture, des emplois qui semblent aller à l’encontre d’une représentation proprement architecturale, théorisée dès le milieu du XVe siècle et qui trouve son plein aboutissement dans les premières décennies du siècle suivant. Se généralise alors un dessin géométral, basé sur le principe des projections orthogonales, une méthode toujours en usage car elle permet d’obtenir une vision totale de l’édifice (par la représentation en plan, en coupe et en élévation) tout en respectant ses dimensions réelles (par l’absence de déformation perspective et la mise à l’échelle du dessin). Les choix de représentation de Giuliano da Sangallo apparaissent éloignés de ces préceptes mais une réévaluation de ses dessins permet d’entrevoir, au-delà des effets picturaux, une maîtrise de la représentation technique et une série d’expérimentations qui, malgré certaines hésitations, confirment la contribution de l’architecte à la définition de solutions de contrôle et de normalisation de la représentation.
Du fragment ornemental au détail architectural, une recherche sur la mise en pages des dessins d’architecture. — Le corpus des dessins de Giuliano da Sangallo révèle des intérêts divers face à l’ornement et une approche qui évolue au gré de ses expériences. Les modes de représentation qu’il utilise permettent de déceler certaines constantes mais aussi un approfondissement de son analyse, notamment dans le rapport de l’ornement à l’ensemble architectural. En effectuant des regroupements de dessins basés sur le type de représentation graphique et l’organisation des éléments sur les feuillets, une typologie propre à l’architecte émerge. Cette approche donna lieu à des expérimentations de mise en pages qui eurent une influence certaine dans la production imprimée ultérieure de livres d’architecture.
Deuxième partie
Catalogue : présentation et notices
Les recherches menées sur le carnet de Sienne pour cette thèse de l’école nationale des chartes avaient pour objectif de proposer un catalogue de l’ensemble de ce manuscrit. Il s’agissait de réexaminer les cinquante-deux feuillets entièrement exploités, recto et verso, par des dessins aux thématiques variées et révélatrices de la carrière de Giuliano da Sangallo. L’analyse proposée dans chaque notice vise à replacer chaque élément dans cette carrière et dans le milieu artistique du temps, tout en prêtant une attention particulière aux questions de mise en pages et de construction des dessins, caractéristiques d’un processus artistique particulier à l’architecte. Réexplorer la riche bibliographie sur le sujet pour identifier les citations du carnet et le contexte de publication des feuillets a également permis d’éclairer les aspects historiographiques et de mettre à jour les interprétations à l’aune des évolutions de l’analyse des recueils de dessins de la Renaissance et d’une nouvelle approche méthodologique (précisée en fin de catalogue). La recherche de copies et de dérivés a permis de rapprocher de nouveaux dessins du corpus de Giuliano da Sangallo.
La présentation du catalogue conserve les dimensions du carnet, que l’unique fac-similé publié en 1899 avait réduites. Pour une plus grande cohérence dans la mise en pages et la lecture, les notices sont organisées en doubles pages. Sur la page de gauche, le fac-similé est accompagné d’informations bibliographiques liées au dessin (et non à l’objet représenté) et de précisions quant à sa publication ou non-publication. Des renvois sont faits aux parallèles dans le corpus de Giuliano da Sangallo et celui d’autres artistes dont il s’est inspiré ou qui ont copié les dessins de l’architecte. Les citations de dessins en relation avec ceux du carnet sans en être des dérivés sont intégrées au commentaire. Les copies et dessins parallèles sont présentés en vignettes dans une annexe au catalogue. Sur la page de droite, l’image est reproduite en miniature, avec des lettres de renvoi pour indiquer les différents éléments (dessins, texte, échelle de mesure). Pour chaque feuillet, on a donné les informations générales et matérielles avant de définir chaque élément pointé par les lettres de renvoi, définition qui intègre la transcription des textes, celle-ci respectant l’orthographe de Giuliano da Sangallo et ses particularités, comme le doublement systématique du « t » en cursive. Les rares abréviations et les oublis de lettres ont été restitués, et les changements de ligne indiqués. Les traductions ont été insérées dans le commentaire lorsqu’il s’agissait de notes brèves, et en fin de catalogue pour les textes les plus longs. Pour les dessins comportant une échelle graphique, les rapports de réduction ont systématiquement été calculés, sur la base des cotes fournies sur le dessin ou d’une comparaison avec les édifices et vestiges lorsqu’ils subsistent. Il paraissait essentiel de fournir une description du feuillet rappelant le positionnement du dessin dans le carnet et son appartenance ou non à une série, afin de toujours considérer ces dessins comme faisant partie d’un ensemble. Il s’agissait également de mettre en évidence les caractéristiques matérielles de chaque dessin, qui éclairent le processus de réalisation. Le commentaire, enfin, tient compte de ces informations pour une analyse au plus près du matériel graphique.
Conclusion
Dans la production graphique à l’articulation des XVe et XVIe siècles, le corpus de Giuliano da Sangallo constitue un ensemble exceptionnel par sa cohérence, la variété et la vaste couverture géographique de ses contenus. L’étude systématique du carnet de Sienne met en évidence son importance pour la connaissance de la carrière artistique de Giuliano da Sangallo et pour celle des recherches menées par un artiste architecte de la Renaissance. Si les dessins sont en grande partie réélaborés, ils témoignent des expérimentations de terrain et de préoccupations pratiques comme d’une volonté de diffusion et de pérennisation. La datation relative et la considération conjointe du grand recueil et du carnet confirment que ce dernier est représentatif des années 1480 à 1500. Entre matériel personnel et outil à visée professionnelle, le carnet fit autorité et il s’agit probablement du seul cas, dans le milieu artistique du début du XVIe siècle, de matériel graphique cité dans les copies (celles de ses neveux). La postérité qui en résulta est également imputable à son aspect matériel, à une rationalisation des informations et à une certaine codification de la représentation qui s’inscrit dans les recherches du moment et pour laquelle l’influence de Giuliano da Sangallo fut décisive.