Sommaire
- Introduction
- Sources
- Chapitre liminaire
- L’inscription des besoins énergétiques de Paris dans son environnement
- Première partie
- L’équipement d’une métropole à maturité (fin XIIIᵉ-début XIVᵉ siècle)
- Chapitre premier
- L’équipement meunier parisien : quantité et qualité
- Chapitre II
- Un réseau adapté à la demande énergétique ?
- Chapitre III
- Les acteurs du marché de l’énergie : autorités, propriétaires et exploitants
- Deuxième partie
- Crise et reprise (milieu XIVᵉ-milieu XVᵉ siècle)
- Chapitre premier
- L’équipement énergétique face aux malheurs du temps
- Chapitre II
- Le fonctionnement de l’économie renouvelable aux XIVᵉ et XVᵉ siècles
- Troisième partie
- L’envol (XVIᵉ siècle)
- Chapitre premier
- Vers un nouveau mix énergétique
- Chapitre II
- Nouveaux entrepreneurs et nouvelles entreprises de l’énergie
- Conclusion
- Annexes
Introduction
L’étude des moyens utilisés par les sociétés passées pour répondre à leurs besoins a beaucoup à apporter à la compréhension des enjeux du débat actuel autour de la transition énergétique. La présente enquête s’intéresse à la constitution des dispositifs de production énergétique renouvelable par les sociétés préindustrielles, dont la croissance s’est fondée sur l’utilisation de la force de l’homme et de l’animal, du bois, mais également d’énergies qualifiées aujourd’hui de « vertes », grâce au moulin à eau, complété à partir du xiie siècle par son homologue éolien.
Le but de ce travail est d’analyser la place de ces convertisseurs énergétiques dans le cadre de la région métropolitaine de Paris, qui comptait, à l’aube du xive siècle, environ 250 000 habitants. L’enquête se propose d’étudier la manière dont ces installations contribuèrent à satisfaire l’importante demande énergétique de la capitale du royaume de France entre le xiiie siècle, date à partir de laquelle il est possible de constituer des dossiers documentaires assez conséquents pour traiter le sujet, et la fin du xvie siècle, qui vit la destruction de bon nombre d’installations, victimes des guerres de Religion et de la chute du Pont aux Meuniers, et qui constitue en cela une césure.
La notion d’énergie, en tant que réalité physique maîtrisable par des procédés techniques selon une logique économique, est une notion contemporaine. Si les textes médiévaux ne s’expriment pas en ces termes, les informations qu’ils contiennent laissant apparaître le moulin comme partie intégrante d’un système énergétique sont bien réelles. Les sources médiévales permettent en effet de collecter un grand nombre de données qualitatives, quantitatives et relationnelles quant à ces installations. Mises en forme dans un système d’information géographique, elles offrent la possibilité de penser les questions relatives à la transition énergétique de manière différente.
Sources
Bon nombre de moulins étant, au Moyen Âge, la propriété de communautés religieuses ou étant bâtis sur leur censive, la majeure partie de la documentation est issue de la série S des Archives nationales, conservant les documents relatifs au temporel des établissements religieux supprimés. L’enquête s’est poursuivie par des dépouillements opérés dans les séries L et LL, qui, si elles renferment théoriquement les archives du spirituel des établissements religieux, recèlent également de nombreuses pièces relatives à leurs possessions. Il s’agit essentiellement de censiers, de titres de propriété, de baux, de prisées, de pièces comptables ou judiciaires qui éclairent des aspects techniques et administratifs du moulin. La documentation conservée à partir de la fin du xve siècle dans le minutier central des notaires complète notre connaissance des moulins par des pièces relatives aux installations appartenant à des particuliers, ainsi que par les inventaires après décès des meuniers qui permettent d’avoir un aperçu de la situation économique et sociale des exploitants des moulins. L’étude systématique de ces fonds a été complétée par des sondages opérés dans les séries Q1, X1a, X1c et Z1h, ainsi que par quelques documents d’origine royale conservés dans le Trésor des chartes ou la série K. Les archives de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris, bien que très affectées par les destructions qu’elles connurent à la fin du xixe siècle, ont également été mises à contribution.
Si les sources littéraires n’ont été convoquées que de façon anecdotique, l’iconographie médiévale et les plans de Paris, donnant à voir et non plus à lire le moulin, ont utilement complété la susdite documentation en permettant d’aborder et de questionner des aspects de localisation et de morphologie de l’installation.
Chapitre liminaire
L’inscription des besoins énergétiques de Paris dans son environnement
La demande énergétique. — Dans un contexte où les villes françaises médiévales ne comptaient jamais plus de 50 000 habitants, Paris était au Moyen Âge un monstre démographique hors norme aux besoins énergétiques colossaux. L’essentiel de ces besoins était satisfait par la consommation quotidienne de pain, dont la production nécessitait en amont un travail mécanique de mouture du grain pour produire la farine. Cette matière première étant difficilement transportable, la réponse aux besoins en farine de la capitale se posait donc dans un cadre géographique restreint. À ces besoins alimentaires, s’ajoutaient les besoins en papier, en textile, et en autres denrées d’une capitale à la fois politique, économique et intellectuelle. Dans la mesure où la majorité des produits était confectionnée par la main de l’homme, la demande énergétique des industries les produisant se confondait alors avec la demande alimentaire. Le blé étant moulu à la demande, l’énergie nécessaire pour répondre à la demande alimentaire devait être disponible en petite quantité de manière continue. Il n’était pas possible de fonctionner par à-coups.
Géographie des ressources énergétiques. — L’axe majeur de la capitale, la Seine, au courant accéléré à l’intérieur de la ville par la présence d’îles et de ponts, constituait un potentiel énergétique d’importance. Ce potentiel était accru par la présence de plusieurs autres cours d’eau aux environs de la capitale : la Marne qui se jette dans la Seine au niveau de Charenton où elle offre la puissance maximale d’un courant accéléré par la présence d’îles, ainsi que la Bièvre et le Croult, petits cours d’eau qui firent précocement l’objet d’aménagements énergétiques. Jouissant d’un climat océanique, la région parisienne pouvait en outre compter sur la force des vents de régime ouest-sud-ouest, accélérés par la présence de reliefs naturels ou artificiels. Les plaines fertiles d’Île-deFrance, et même les campagnes normandes, constituaient quant à elles l’aire d’approvisionnement en blé de la capitale, vendu dans les marchés de Paris ou d’autres villes à l’instar de Gonesse. Aux confins de la ressource hydraulique et éolienne d’une part, de la ressource en blé de l’autre, se trouvait le convertisseur énergétique : le moulin.
Le convertisseur énergétique et ses applications. — Il existe plusieurs types de moulins à eau. Le moulin classique, décrit par Vitruve dès l’Antiquité, est un moulin terrier. Avaient été également inventés, pour s’adapter aux situations en plein fleuve, des moulins sur bateaux et des moulins sur pilotis faisant pendre une roue dans l’eau, appelés moulins pendants. Les moulins à vent arrivèrent en France à la fin du xiie siècle et pouvaient prendre la forme d’une tour de pierre surmontée d’un toit orientable auquel étaient fixées les ailes du moulin ou d’une cage de bois montée sur un pivot, qui rendait le moulin plus facilement déplaçable. Primitivement, le moulin utilisait le mouvement rotatif continu des ailes ou des roues pour actionner des meules et faire de la farine ou du tan. La diffusion de l’arbre à cames au Moyen Âge permit d’appliquer le moulin à d’autres usages industriels.
Première partie
L’équipement d’une métropole à maturité (fin XIIIᵉ-début XIVᵉ siècle)
Chapitre premier
L’équipement meunier parisien : quantité et qualité
Un équipement hydraulique maximal. — Le tableau dressé dans cette partie montre un ensemble de cours d’eau saturés de moulins à la fin du xiiie siècle. Entre Conflans et Saint-Ouen, la Seine actionnait les roues de soixante-quinze moulins. Quatre moulins se trouvaient sous le pont de Charenton, quatre autres étaient situés sur la Bièvre. Quant au Croult, il portait treize moulins hydrauliques, soit un effectif minimal de quatre-vingt-seize moulins sur l’espace considéré au début du xive siècle.
L’apparition des moulins à vent. — Les moulins à vent n’apparurent pas à Paris avant la fin du xiiie siècle ; le premier à être mentionné, vers 1270, était implanté près de l’abbaye de Saint-Antoine-des-Champs. Même si la documentation relative aux moulins éoliens est plus complexe que celle relative aux moulins hydrauliques, il ne semble pas qu’il y ait eu plus de six moulins à vent au milieu du xive siècle.
La physionomie des moulins. — La question de la technique des moulins parisiens de la fin du xiiie siècle est délicate à traiter en raison de la rareté des documents techniques conservés, et, quand ceux-ci sont disponibles, de la difficulté d’interpréter des termes totalement absents des textes ultérieurs. Une miniature issue du manuscrit de la Vie de Saint-Denis a été abondamment utilisée par bon nombre d’historiens derrière Gustave Fagniez pour affirmer que l’ensemble des moulins actionnés par la Seine étaient des moulins-bateaux. Cette image doit pourtant être confrontée aux textes dont la lecture pourrait laisser penser que la fin du xiiie siècle constitue un moment charnière au cours duquel, si existaient des moulins-bateaux, ceux-ci cohabitaient déjà avec des moulins sur pilotis. Les moulins situés sur la Bièvre et le Croult étaient des moulins terriers. Quant à la physionomie des moulins à vent, elle est connue par une prisée du moulin de Longchamp décrivant probablement un moulin-tour.
Chapitre II
Un réseau adapté à la demande énergétique ?
Usages et usagers. — À la charnière des xiiie et xive siècles, le moulin parisien est exclusivement bladier. Il est toutefois mentionné que l’évêque de Paris projetait en 1313 de construire des moulins à foulon sur la Seine, mais aucun texte ne vient confirmer que les bâtiments érigés eurent effectivement un usage industriel. Peu d’informations sont disponibles sur les usagers du moulin. Les caractères spécifiques de la demande urbaine laissent penser que la clientèle principale des moulins était constituée de professionnels de la boulangerie d’une part, et de communautés religieuses ou de grands bourgeois faisant moudre pour la provision de leur abbaye ou de leur hôtel de l’autre.
Un réseau proportionné ? — Dans Les temps de l’eau (1983), André Guillerme faisait du moulin un critère d’urbanisation considérant qu’une roue tournait pour 600 à 1 200 habitants. Il s’appuyait pour cela sur des estimations de populations aujourd’hui revues à la hausse. En les actualisant, et en considérant que celui-ci ne s’était pas trompé dans son comptage des roues de moulins, on arrive à un critère d’une roue tournant pour 1 700 à 2 500 habitants. Dans l’espace considéré, une roue tournerait pour environ 2 700 habitants. Pourtant, il y a dès la fin du xiiie siècle des indices de suréquipement puisque certaines installations sont vides. Dans le même temps, Paris exportait ses besoins en mouture plus loin que dans sa banlieue : les moulins de Corbeil travaillaient à l’approvisionnement de la capitale. Sans doute ce qui semble être l’abandon de certaines installations s’explique-t-il par une mauvaise rentabilité énergétique desdites installations situées sur des cours d’eau saturés.
L’adaptation aux crises. — Après plusieurs siècles de conjoncture climatique favorable, la fin du xiiie siècle constitue le début d’une série d’événements qui mirent à mal l’équipement énergétique parisien. Les investissements à fournir pour rétablir les installations étaient importants. Les sources sont peu disertes sur le sujet, mais probablement la succession de ces crises entraîna-t-elle la disparition de nombreuses installations. La multiplication des mentions de moulins à vent aux alentours de 1300 semble étroitement liée à cette période défavorable pour les moulins hydrauliques.
Chapitre III
Les acteurs du marché de l’énergie : autorités, propriétaires et exploitants
Les ressources : propriété éminente, usages et juridictions. — Sur la Seine et la Marne, cours d’eau navigables, les autorités du roi, de la marchandise de l’eau et des seigneurs de l’eau et des ponts s’entremêlaient. Les choses étaient différentes sur le Croult et la Bièvre, rivières au débit faible qui firent l’objet d’aménagements énergétiques précoces et nécessitaient un entretien régulier. L’implantation d’un moulin impliquait des droits et des devoirs sur une portion de rivière en amont et en aval des installations qui, en général, appartenaient aux seigneurs. Ces derniers n’avaient en revanche aucun droit sur le vent. Ils ne pouvaient prétendre qu’au paiement d’un cens sur le fonds de terre sur lequel était construit un moulin éolien.
Les infrastructures : moulins particuliers et religieux. — L’exemple des moulins bâtis sur la censive de Saint-Magloire montre une importante représentation des installations appartenant à des particuliers. L’étude de quelques-uns de ces propriétaires montre qu’il s’agit de riches bourgeois parisiens très intégrés à la marchandise de l’eau et au milieu échevinal, ayant leurs entrées à la cour, et pour lesquels la possession d’un moulin participait d’une diversification de leurs actifs. S’observe pourtant dès avant le xiiie siècle un mouvement de transfert des moulins vers des mains religieuses par des fondations pieuses ou par achat de ces moulins par les abbayes, l’Église se constituant ainsi un véritable capital énergétique.
Les conditions d’exploitation. — Il faut fortement nuancer l’idée de banalité du moulin qui n’a jamais existé à Paris. Il semble toutefois qu’elle eût cours pour les habitants de Saint-Cloud et certains boulangers de Saint-Denis, où le pouvoir seigneurial était plus fort. Le peu de baux retrouvés aux xiiie-xive siècles rend la figure du meunier difficile à cerner. La période semble être un moment de changements dans les conditions d’exploitation du moulin, avec la coexistence de contrats de location de longue durée et de baux à ferme pour trois ou quatre ans. Les installations parisiennes vivaient les derniers feux de la redevance du loyer en nature. La répartition des coûts entre bailleurs et preneurs fluctuait selon les contrats.
Deuxième partie
Crise et reprise (milieu XIVᵉ-milieu XVᵉ siècle)
Chapitre premier
L’équipement énergétique face aux malheurs du temps
Un siècle de destructions de l’équipement énergétique. — La saignée démographique, la crise économique, les aléas climatiques et les raids anglais ruinèrent de nombreux moulins lors de la guerre de Cent Ans. La reconstruction fut difficile : bon nombre d’installations particulières ne se relevèrent pas, et les établissements religieux, dont le capital énergétique avait également souffert, durent consentir des baisses des loyers et des rentes qu’ils percevaient sur les moulins afin d’inciter leurs preneurs à ne pas déguerpir et à réparer les installations, quand ils ne financèrent pas eux-mêmes ces réparations.
Un paysage meunier recomposé. — Le paysage meunier qui se dessine au sortir de la guerre est profondément modifié. Ayant mieux résisté à la crise que les moulins particuliers, les moulins religieux se trouvèrent surreprésentés, d’autant plus que certaines installations particulières finirent dans l’escarcelle de l’Église au xve siècle pour la fondation de quelque messe. La demande énergétique étant moindre, il n’était plus nécessaire que la Seine fût encombrée comme elle l’était au début du xiiie siècle. Les moulins apparurent alors comme des sources de nuisance pour la municipalité parisienne qui manifesta des velléités de destruction à leur égard. La baisse de la demande énergétique entraîna également une reconversion d’installations primitivement farinières vers d’autres applications industrielles dans les villes circonvoisines de Paris : des moulins à tan, à papier, à fouler des draps ou à fourbir des armures firent leur apparition à Saint-Denis, Saint-Cloud ou Charenton.
Les enseignements de la crise sur la place des moulins dans la ville. — Il est important de voir le moulin comme un maillon de la chaîne conduisant du blé au pain. La guerre de Cent Ans coïncide avec une période d’instabilité du marché du blé donnant de nombreuses informations sur les caractères spécifiques de la demande urbaine et sur l’influence de la crise sur la réglementation du commerce des blés et du pain. Les décisions de l’autorité royale prises en ces temps de crise sont révélatrices du fait que, bien que privé, le moulin était envisagé comme satisfaisant l’intérêt général.
Chapitre II
Le fonctionnement de l’économie renouvelable aux XIVᵉ et XVᵉ siècles
Le régime d’exploitation des machines. — Le régime d’exploitation le plus commun du moulin était le fermage. Les coûts d’entretien de l’infrastructure étaient partagés entre les bailleurs et les preneurs. Les premiers prenaient en charge les éléments structurels du moulin tandis que les seconds assumaient les coûts d’entretien des « tournants et travaillants ». L’étude des baux dessine une hiérarchie entre les infrastructures meunières, avec un centre constitué par la meunerie du Pont aux Meuniers. L’examen des carrières des fermiers de moulins montre que, dès le xve siècle, tout s’organisait autour d’un petit nombre de meuniers pouvant prendre simultanément plusieurs installations à bail à Paris, plus particulièrement sous le Pont aux Meuniers, à Saint-Denis ou à Charenton.
Les caractères techniques du parc énergétique. — Le plus grand nombre de baux et de prisées ainsi qu’une iconographie plus riche permettent de préciser la physionomie des moulins du temps de la guerre de Cent Ans. Si les xive et xve siècles sont une période de crise, ils sont aussi le moment où de nombreuses améliorations furent apportées à l’équipement meunier. Sur la Seine et la Marne, rien ne laisse supposer l’existence de moulins à nef au xve siècle et les prisées donnent à voir une technologie homogène et diffusée sous tous les ponts, celle du moulin pendant, qui semble connaître certaines améliorations, allant notamment dans la direction d’une plus grande vitesse, perceptibles par une augmentation du coût des ferrures dans le prix total du moulin.
Troisième partie
L’envol (XVIᵉ siècle)
Chapitre premier
Vers un nouveau mix énergétique
Et Paris se couvrit d’ailes. — Le rattrapage démographique observé à la suite de la guerre de Cent Ans impliquait une hausse de la demande énergétique. Les modalités de satisfaction de cette demande ne passèrent pas par un rééquipement de la Seine en moulins hydrauliques, mais par la construction, à un rythme soutenu, de moulins à vent. À partir de 1500, ce furent trente-sept moulins à vent, presque tous faits de bois, qui déployèrent leurs ailes, essentiellement dans les faubourgs Saint-Denis et Saint-Honoré de Paris.
Les raisons d’un essor. — Le xvie siècle perpétue le mouvement amorcé au xve siècle de libération des fleuves pour la navigation, de là une moindre quantité de moulins hydrauliques à cette période. L’installation de nombreux moulins à vent permettait alors de subvenir aux besoins de la ville se repeuplant sans provoquer la saturation des cours d’eau comme cela avait été le cas pour faire face à la première augmentation démographique des xie-xiiie siècles. Ainsi, le nombre de moulins à vent, marginal à la fin du xiiie siècle, avoisinait celui des moulins hydrauliques au xvie siècle. Il apparaît également qu’un grand travail fut fait pour améliorer le rendement des moulins hydrauliques et éoliens, se traduisant notamment par une augmentation de la taille des meules, permettant également de compenser la diminution du nombre de moulins à eau. Ainsi, une unité meunière pouvait produire plus de farine au xvie siècle qu’au xiiie siècle. À ces raisons économiques et techniques s’ajoute, enfin, une raison institutionnelle. L’implantation de grands pôles éoliens était certes permise par une situation géographique favorable, mais il semble qu’elle fût le fait d’une politique volontariste de certains seigneurs parisiens, parmi lesquels s’illustrent le prieuré de Saint-Lazare et l’évêque de Paris, qui décidèrent de couvrir leur seigneurie de moulins en acensant, essentiellement au profit de meuniers, des arpents de terre destinés à l’édification de ces machines. Ces seigneurs fournissaient le fonds de terre en échange d’un cens, d’une rente constituée, et, quelquefois du droit de moudre leur grain en priorité ou gratuitement, tandis que les meuniers prenaient en charge l’intégralité des coûts de construction.
Chapitre II
Nouveaux entrepreneurs et nouvelles entreprises de l’énergie
Le renforcement économique et social d’une élite de meuniers. — À partir de 1500, on remarque la concentration d’un grand nombre d’installations dans les mains des membres de quelques familles qui formèrent, en quelques années, des dynasties de meuniers. À Paris, les Boulanger, les Baudouin et les Bahuet notamment dominèrent le paysage meunier, possédant l’essentiel des infrastructures meunières et pratiquant une forte endogamie, tout en tissant des liens étroits avec les laboureurs de la plaine de France et les boulangers parisiens. Leurs inventaires après décès montrent que ces meuniers étaient simultanément fermiers ou propriétaires de plusieurs moulins dont ils souslouaient l’exploitation. Le volume de ces inventaires montre qu’ils pouvaient vivre dans l’opulence, en contraste avec l’existence beaucoup plus modeste de la majorité des meuniers.
Les nouveaux propriétaires. — Deux mouvements parallèles s’observent au xvie siècle. Le premier est celui d’un abandon, de la part des établissements religieux, du capital énergétique qu’ils avaient mis plus de trois siècles à constituer. Celui-ci est remarquable au centre de Paris, où, en une trentaine d’années, six moulins détenus par des communautés religieuses furent vendus à leurs anciens fermiers. Le deuxième mouvement est celui d’une réunion entre le monde des propriétaires des moulins et celui des membres de l’élite meunière. Ces derniers, cumulant les revenus de plusieurs installations, avaient les ressources financières pour acheter les moulins hydrauliques dont se séparaient les communautés religieuses, tout en étant en capacité d’assurer l’investissement nécessaire à l’édification de moulins à vent que ces mêmes communautés autorisaient. Devenir propriétaires participait alors d’un accroissement de leur prestige.
Une nouvelle géographie des réseaux. — Cette nouvelle organisation se traduisit géographiquement sous la forme d’un réseau tricéphale dominé par les dynasties de meuniers parisiens gérant les infrastructures hydrauliques du Pont aux Meuniers, de Charenton, véritable annexe meunière de Paris, et les moulins à vent des faubourgs Saint-Honoré et Saint-Denis. Le phénomène d’identité entre les preneurs de moulins parisiens et dionysiens semble en revanche ne plus avoir cours au xvie siècle, faisant de Saint-Denis un espace indépendant davantage tourné vers les applications industrielles du moulin. Autour de ces installations, gravitaient quelques moulins appartenant à des religieux ou à des particuliers plus discrets dans les archives, participant également au travail de production de farine pour le marché parisien.
Conclusion
Il apparaît que la période courant du xiiie au xvie siècle fut celle d’une progression de la part prise par l’énergie éolienne dans le mix énergétique parisien initialement fondé sur la mono-utilisation de la ressource en eau. Cela montre qu’un système énergétique est en perpétuelle évolution et que des arbitrages sur l’utilisation des ressources doivent toujours être effectués. Ce système est d’autant moins figé sur la période qui nous occupe que la technologie des convertisseurs énergétiques s’est également améliorée, permettant de nourrir plus d’habitants avec moins d’unités meunières.
Il faut donc démentir l’idée d’une absence de recherche d’efficacité et de vitesse par les sociétés médiévales : elles surent accroître les capacités de production de leurs infrastructures énergétiques pour répondre à leurs besoins et adapter leur modèle énergétique aux circonstances et aux nécessités économiques. La césure de la fin du xvie siècle est factice, et cette enquête mériterait d’être complétée par un examen du devenir de ce système énergétique fondé sur l’utilisation des moulins à eau et à vent, de même qu’elle devrait être élargie vers les autres sources d’énergie qui servirent aux sociétés à se développer : le bois, la force des hommes et des animaux. Ce système, en effet, a encore pu soutenir l’augmentation démographique de la capitale passant de 300 000 habitants en 1500 à près d’1 000 000 en 1840, date où les premiers effets de la révolution industrielle se font sentir en France.
À l’heure actuelle, les contempteurs des projets d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique brandissent le spectre d’un « retour au Moyen Âge », synonyme à leurs yeux d’éclairage à la bougie et de décroissance. Puisse cette étude aider à sortir le Moyen Âge de cette obscure réputation en contribuant à montrer que le recours massif aux énergies fossiles n’est pas la condition sine qua non du développement économique et que l’arbitrage entre l’utilisation des différentes ressources doit constamment être réévalué.
Annexes
Édition d’un choix de textes (pièces justificatives, sélection de documents techniques). — Ébauche de glossaire du moulin parisien. — Illustrations. — Tableaux et graphiques. — Cartes des sites de moulins à Paris et aux alentours.