Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- La ville et son approvisionnement : contexte, acteurs, cadre
- Chapitre premier
- L’approvisionnement de Toulouse au xviie siècle : contexte, forces en présence
- Chapitre II
- Structurer, édicter les règles : cadre réglementaire et institutionnel de l’approvisionnement de Toulouse
- Chapitre III
- Approvisionnement et urbanisme à Toulouse : structures spatiales et matérielles
- Deuxième partie
- Ravitailler la ville : flux et cycles de l’approvisionnement de Toulouse
- Chapitre premier
- Les flux de l’approvisionnement toulousain : origines et trajectoires des denrées à l’extérieur et à l’intérieur de la cité
- Chapitre II
- Toulouse et son approvisionnement : évolution des cycles et des quantités de l’approvisionnement de la ville en denrées alimentaires
- Troisième partie
- Approvisionnement global et consommation individuelle : du ravitaillement d’une ville à la consommation effective de ses habitants
- Chapitre premier
- Approvisionnement et rations : les flux d’approvisionnement et leur traduction concrète dans le régime alimentaire des Toulousains
- Chapitre II
- De l’apport des matières premières à la consommation effective : les formes et modalités de la consommation des denrées à la table des Toulousains
- Conclusion
- Pièces justificatives
- Annexes
Introduction
Les problématiques de l’approvisionnement et de la consommation alimentaires des villes sous l’Ancien Régime regroupent un ensemble complexe de mécanismes, qui peuvent impliquer l’étude de variables vastes. L’approvisionnement doit en effet être envisagé comme une chaîne, allant de la production des denrées à leur consommation par les habitants, en passant par leur acheminement et leur vente sur les marchés. La consommation, elle, vient se placer dans le prolongement des structures et des flux de l’approvisionnement. Elle implique le passage de ces flux globaux à des rations et des repas, qui permettent d’établir un panorama précis des habitudes alimentaires des habitants.
De nombreux chercheurs, confrontés à la difficulté de trouver des sources suffisamment probantes pour qu’un tel sujet soit convenablement traité, ont ainsi préféré se détourner des enjeux propres au ravitaillement, pour traiter de l’histoire alimentaire des villes au travers de leur commerce, de l’histoire des prix sur les marchés et les foires, ou encore en s’intéressant à la question des bassins de production des denrées qui convergent vers elles. Les études envisageant l’approvisionnement et la consommation urbains en soi, et dans leur totalité, restent donc encore trop peu nombreuses dans l’historiographie, malgré la présence de quelques monographies de référence. De tels travaux s’avèrent pourtant indispensables, afin que la question de l’approvisionnement puisse reprendre sa juste place au sein de l’histoire économique, en soi et non comme élément supplémentaire à l’histoire du commerce ou de la production.
Toulouse, au Grand Siècle, constitue un lieu de choix pour une telle étude. Les travaux sur l’histoire économique de la ville sur cette période laissent encore de nombreuses lacunes, souffrant du poncif historiographique consistant à faire du xviie siècle toulousain un siècle « sans histoire », peu digne d’intérêt et difficile d’étude. Pourtant, la situation de la ville, à l’extrémité de la province qu’elle gouverne, en fait une ville carrefour, qui doit autant à ses échanges avec la Gascogne et la Guyenne toutes proches, qu’à ses liens avec le Languedoc auxquels elle ne saurait se résumer. En outre, Toulouse met en place au xviie siècle un système fiscal complexe, qui vient englober la plupart des mécanismes de l’approvisionnement et de la consommation de la ville, permettant une observation globale de ses flux. Ainsi en 1636, afin de régler les multiples dettes qu’elle a accumulées depuis le milieu du xvie siècle, la ville met en place un nouvel octroi appelé Réserve, qui implique la perception d’un droit sur les viandes, les fromages, l’huile, le suif, les chandelles et le bois à l’entrée aux portes. En 1655, les dettes étant toujours aussi importantes, Toulouse complète cette perception d’un nouveau droit, la Subvention, qui taxe l’entrée des légumes, des grains, du vin et du foin.
L’observation de ces deux droits représente donc pour le chercheur un moyen idéal d’appréhender les trafics qui ont cours dans cette ville et de traduire ces trafics en termes de rations et de consommation des habitants. Afin de donner à un tel travail toute son ampleur, il a d’abord semblé nécessaire d’aborder la question des structures et du fonctionnement de ce cadre fiscal. Puis, de s’intéresser à la nature et à l’évolution des flux qu’il révèle. Enfin, il a fallu tâcher de reconstituer, au travers de ces flux, les modalités de la consommation alimentaire de Toulouse sur la période.
Sources
Un des principaux objets de ce travail est de révéler tout l’intérêt d’un corpus de sources, conservé aux archives municipales de Toulouse, et qui n’avait jusqu’à présent été que très partiellement exploité par les historiens malgré son intérêt manifeste : la série CC « Réserve et Subvention », qui rassemble tous les documents relatifs à ces deux formes d’octroi.
Cette série, qui court de 1636 à 1711, se décompose en de multiples livres de comptes, qui permettent d'obtenir un certain nombre de quantités à partir des recettes de l'impôt et offrent des données très variées, allant de sommes globales aux cahiers des menus deniers qui répertorient chaque entrée une par une. On y trouve aussi des livres de dépenses, qui nous donnent la nature de l'utilisation du droit par les autorités ; plusieurs registres de délibérations du conseil de bourgeoisie de Toulouse, exclusivement consacrés à la Réserve et la Subvention, et un registre de procès-verbaux, qui nous donne un bon aperçu de la variété des fraudes ; enfin, une liasse de documents divers, émanant de la ville, du parlement, de l'intendant, ou encore du Conseil d'État, et plusieurs contrats d'affermage.
Cette source constitue donc le support principal de ces recherches, puisqu’elle parvient à englober la plupart des problématiques qui nous intéressent. Pour combler ses lacunes et la prolonger, le choix a néanmoins été fait de ne pas se contenter de son étude seule et de procéder à plusieurs dépouillements complémentaires. D’abord celui des délibérations municipales sur la période, à savoir les registres BB 20 à BB 46 conservés aux archives municipales de Toulouse. Ensuite les pièces à l’appui des comptes, conservées aux archives municipales de Toulouse sous les cotes CC 2574 à CC 2732.
Enfin, les données des chercheurs David le Bris et Maxime Wavasseur concernant les quantités de farine moulue aux moulins du Château et du Bazacle sur la période, qu’ils ont bien voulu transmettre, ont constitué un apport indéniable à ce travail.
Première partie
La ville et son approvisionnement : contexte, acteurs, cadre
Chapitre premier
L’approvisionnement de Toulouse au xviie siècle : contexte, forces en présence
Le contexte général. — L’ensemble des décisions fiscales ou commerciales prises au début du xviie siècle vont s’avérer des éléments essentiels de structure de l’approvisionnement de la ville et de ses flux. Il convient néanmoins de garder à l’esprit un fait essentiel : aucun des nouveaux règlements ou des nouveaux impôts mis en place ne l’a été dans ce but de structuration. Une bonne connaissance de la conjoncture générale de Toulouse au xviie siècle est donc un élément essentiel de la compréhension des mécanismes et des raisons d’existence des structures qui font l’objet de cette étude.
La conjoncture de Toulouse au xviie siècle est mauvaise. Elle a, depuis le milieu du xvie siècle, subi le lourd poids des guerres. D’abord les guerres de religions, qui se terminent en 1596 lorsque la ville se soumet à Henri IV. Puis une seconde phase de conflit lorsque Louis XIII entreprend la reconquête catholique des régions du Midi, du siège de Montauban en 1621 à l’édit de grâce d’Alès en 1629. Enfin, une troisième grande période de troubles, qui court de la reprise du conflit contre l’Espagne jusqu’à sa fin en 1659, et englobe également les désordres de la fronde.
Aux difficultés de la guerre, il faut bien sûr ajouter les fléaux naturels, qui frappent régulièrement la ville au cours du Grand Siècle et au début du xviiie siècle : la peste, avec trois grandes vagues en 1607-1608, 1628-1632 et 1652-1653, les famines, notamment en 1693-1694, durant le Grand Hiver de 1709 et en 1712-1713. À tout cela s’ajoute le marasme économique général, qui touche la ville depuis l’effondrement du pastel au xvie siècle, et fait de Toulouse au Grand Siècle une ville en proie à des difficultés constantes, qui pèsent de manière directe ou indirecte sur son approvisionnement.
Les acteurs et les forces en présence. — L’approvisionnement constitue à l’époque moderne un enjeu majeur, aussi bien politique qu’économique et social, et toutes les formes d’autorité ou de pouvoir présents au sein de l’espace urbain cherchent à y prendre part, avec plus ou moins de succès.
Les acteurs et institutions politiques ont bien sûr le rôle le plus actif. En premier lieu le corps de ville, constitué par les capitouls. Ceux-ci agissent principalement au travers du conseil de bourgeoisie et des commissions qui en émanent, et sont à l’origine de l’immense majorité des structures encadrant l’approvisionnement, au premier rang desquels la Réserve et la Subvention. Leur rôle peut être décisionnaire ou réglementaire – puisque ce sont d’eux qu’émanent la plupart des décisions et règlements pris concernant l’approvisionnement de Toulouse –, mais aussi de contrôle et répression – puisqu’ils sont chargés du bon respect des règlements et de sévir en cas de manquement manifeste –, ou encore d’assistance – puisque c’est à eux de veiller à ce que tous les habitants de la ville soit suffisamment pourvus en nourriture.
En parallèle de l’action du corps de ville se déploient également les actions des diverses institutions de l’État, principalement le roi, qui garde durant la première moitié de la période un pouvoir de contrôle plutôt distant sur les actions de la ville, puis va interférer de manière plus directe dans ses affaires notamment au travers de l’intendant. L’influence du roi se fera ainsi essentiellement sentir au travers de quelques règlements qu’il impose à la ville, comme au reste du royaume, et qui visent surtout à empêcher la spéculation sur les blés, ou encore au travers des suppressions et exemptions des droits d’octroi qu’il impose, afin de faire pression sur les capitouls et d'établir sur la perception un contrôle plus strict.
Les acteurs économiques et commerciaux présents dans la cité n’ont pas, à proprement parler, de pouvoir décisionnel en matière d’approvisionnement ou de politique alimentaire. L’essence de leur fonction en fait néanmoins des interlocuteurs non négligeables. Les acteurs du commerce et du négoce sont représentés par la Bourse des marchands fondée par Henri II en juillet 1549 ; certains d'entre eux bénéficient de privilèges, comme les chasse-marée qui ont le monopole du transport de poisson de mer dans la ville. Les métiers jurés et l’artisanat comptent certaines corporations très puissantes capables de faire pression sur les décisions de la ville : les boulangers, qui participent aux décisions concernant la réglementation de la vente du pain, ou les bouchers, qui exercent leur pouvoir de monopole lors de l’établissement de la « taxe » de la chair, qui fixe le prix de vente de la viande de boucherie.
Chapitre II
Structurer, édicter les règles : cadre réglementaire et institutionnel de l’approvisionnement de Toulouse
Le cadre fiscal. — Les flux alimentaires qui font vivre une ville comme Toulouse préexistent naturellement à toute action encadrante de la part des autorités. C’est néanmoins principalement au travers de la fiscalité, et des cadres qu’elle fixe, que les flux de l’approvisionnement vont être rationalisés et canalisés, pour finir par se conformer en grande partie aux mécanismes imposés par ces structures fiscales. La Réserve et la Subvention sont ainsi les deux formes d’octroi mises en place par la ville qui vont venir encadrer l’approvisionnement au xviie siècle.
La Réserve est créée par la seule initiative des capitouls, lors de plusieurs séances du conseil de bourgeoisie, entre le 27 février et le 17 mars 1636, pour une perception qui débute dès le 22 mars. Elle prévoit la perception systématique d’une taxe, différente selon chaque type de denrée, sur les chairs de boucherie, les porcs et la chair salée, l’huile, le fromage, le suif, les chandelles et le bois. Les dettes de la ville étant toujours aussi importantes, on complète la Réserve par un nouvel impôt, la Subvention, en 1655. Ce droit apparaît en réalité dès 1653, comme une extension de la Commutation, un autre octroi général perçu à Toulouse, mais obtient réellement le statut d’impôt indépendant avec un tarif distinct en 1655, lors de la séance du conseil de bourgeoisie du 10 septembre. La Subvention prévoit la perception de droits sur les grains, le vin, les légumes et le foin.
Les sources donnent les chiffres de la perception de ces droits de manière plus ou moins continue jusqu’en 1711, et on sait par les documents que celle-ci s’est poursuivie au-delà, au sein de la ferme générale des droits d’octroi concédée par la ville. Entre 1636 et 1711, la perception connaît bien sûr des phases de difficultés et d’inflexions. La ville passe régulièrement du système de régie à celui de la ferme, modifie plusieurs fois les tarifs de ses octrois, et doit subir l’influence croissante du roi, qui affirme son autorité en ordonnant des suppressions ponctuelles comme en 1659-1660 ou en octroyant des exemptions. Malgré ces évolutions inévitables, les deux droits maintiennent tout au long de la période une perception efficace, qui englobe les flux des principales denrées alimentaires entrant dans la ville et permet leur observation.
Les autres types de règlement. — L’omniprésence des structures fiscales ne doit pas faire oublier la multitude des autres règlements qui encadrent la vie économique toulousaine et donc son approvisionnement. Parmi eux, comme complément principal à la couverture fiscale, le contrôle des prix, pratiqué depuis 1486 au moyen de relevés sur les marchés et de l'inscription dans les registres des mercuriales. Mais on trouve également la mise au point de règlements commerciaux, notamment pour la vente du pain ou de la viande de boucherie. L’ensemble de ces règlements forme un maillage cohérent qui encadre toute la vie économique et l’approvisionnement de la cité.
Chapitre III
Approvisionnement et urbanisme à Toulouse : structures spatiales et matérielles
La création de la Réserve et de la Subvention se traduit, au sein de la cité, par la mise en place d’un maillage spatial qui puisse assurer la présence de l’impôt dans tous les lieux et structures voyant passer les denrées de l’approvisionnement. Si ces lieux préexistent, pour la plupart, à la création de l’impôt, le maillage fiscal va néanmoins fortement participer à leur définition et à la rationalisation de leur fonctionnement, notamment par la présence des commis et des greffiers chargés de la perception de l’impôt.
Le réseau de perception va ainsi d’abord se déployer au niveau des portes. Les commis, le plus souvent au nombre de deux, sont présents aux cinq grandes portes (Château, Saint-Étienne, Matabiau, Arnaud-Bernard, Saint-Cyprien), seules à maintenir leurs battants ouverts pour le passage des charrettes et des bestiaux. On les retrouve également dans les principaux lieux de pesée des denrées, le poids de l’huile et le poids de la ville, et dans les abattoirs de la cité. Enfin, ils assurent un contrôle des marchés, et des principaux lieux de distribution comme la fondaison pour le suif. Seuls les moulins de la ville, pourtant lieux de passage essentiels pour le grain, ne semblent pas faire l’objet de leur présence.
Deuxième partie
Ravitailler la ville : flux et cycles de l’approvisionnement de Toulouse
Chapitre premier
Les flux de l’approvisionnement toulousain : origines et trajectoires des denrées à l’extérieur et à l’intérieur de la cité
Peu de sources permettent de reconstituer de manière certaine et fine le contexte et les bassins de production de l’approvisionnement toulousain. On peut néanmoins tirer un certain nombre de conclusions à partir des indications présentes dans les sources fiscales et des études antérieures faites sur les campagnes toulousaines. Le reste du trajet des denrées et de la chaîne de l’approvisionnement peut en revanche être aisément reconstituées grâce aux sources fiscales.
La ville fait majoritairement venir ses denrées des campagnes environnantes, favorables notamment à la culture du froment produit en abondance. Beaucoup de particuliers cultivent ainsi eux-mêmes les produits nécessaires à leur subsistance : blé, légumes mais aussi vignes, dont on apprend par les sources fiscales qu’elles se concentrent surtout au nord-ouest de Toulouse. Mais la ville a également recours à un ravitaillement plus éloigné, pour les denrées que son terroir ne peut pas produire, au premier rang desquels les produits méridionaux comme le poisson, qui arrive principalement des ports de Sigean, Agde et Leucate, ou l’huile d’olive qui arrive de Provence.
Toutes ces denrées – transportées à Toulouse surtout par voie de terre – suivent ensuite dans l’enceinte de la cité un trajet immuable, qui respecte le « balisage » imposé par les institutions de l’octroi, et connaissent des parcours variés. Les denrées sèches, le vin et les porcs payent le droit directement aux portes, après quoi les produits sont soit conservés par les particuliers, soit vendus sur les marchés. Les fromages, l’huile, et les jambons sont déclarés aux portes puis pesés au poids de l’huile, où la taxe est perçue, avant d’être rendus à leurs propriétaires qui les conservent ou les vendent. Les viandes de boucherie font l’objet d’un monopole des bouchers. Les bêtes passent les portes sans être déclarées, pour ensuite être menées dans les abattoirs où la taxe est perçue. Après quoi les bouchers procèdent à la vente dans leur boutique. Seules exceptions à ces flux, les temps de crise, qui voient passer dans la ville des quantités de denrées extraordinaires qui n’obéissent à aucune règle de perception et rejoignent directement les marchés.
Chapitre II
Toulouse et son approvisionnement : évolution des cycles et des quantités de l’approvisionnement de la ville en denrées alimentaires
Les sources fiscales, couplées aux données des moulins de David le Bris et Maxime Wavasseur, permettent de reconstituer l’évolution des flux et des cycles de l’approvisionnement sur la période de manière relativement sûre.
Du point de vue des cycles, le ravitaillement s'adapte aux contraintes propres à chaque denrée : le temps des récoltes et de la transformation des produits pour les denrées agricoles, ou issues de ces types de produits le temps de l'élevage et de l'engraissement pour le bétail, le calendrier de la pêche, ou encore la contrainte de la conservation pour les fromages. Ces cycles restent immuables tout au long de la période et permettent de dessiner de manière assez nette l'évolution annuelle type de l'approvisionnement d'une ville comme Toulouse sous l'Ancien Régime. On constate la nécessité de l'apport de produits en continu, et de nets temps forts à la fin de l'été et au début de l'hiver lorsque les produits sont les plus abondants et que les habitants cherchent à stocker en prévision de l'hiver.
Les flux de l’approvisionnement montrent au xviie siècle une bonne stabilité, les quantités brassées par les flux pouvant rester constantes pendant plusieurs décennies. Les difficultés restent ponctuelle, et surtout liées aux épidémies, en 1628-1632 et 1652-1653. Les crises comme les périodes d’abondance semblent généralement communes à toutes les denrées, puisque souvent dues à des facteurs extérieurs qui les affectent toutes. La fin de la période est en revanche caractérisée par une chute marquée, à compter de la dernière décennie du xviie siècle, avec des crises de subsistance régulières qui maintiennent l’approvisionnement de la ville dans cet état de baisse, alternant entre stabilisation sans remontée sensible et chutes critiques, principalement en 1693-1694 et lors du Grand Hiver de 1709. La tendance globale est donc à une courbe descendante de la consommation, mais une descente lente, qui ne commence à être véritablement marquée que vers la fin de la période.
Troisième partie
Approvisionnement global et consommation individuelle : du ravitaillement d’une ville à la consommation effective de ses habitants
Chapitre premier
Approvisionnement et rations : les flux d’approvisionnement et leur traduction concrète dans le régime alimentaire des Toulousains
Un des grands intérêts des sources fiscales toulousaines réside dans la possibilité de passer de quantités globales à l’établissement de rations quotidiennes qui puissent éclairer sur le régime alimentaire toulousain et ses variations.
Sur la période, les denrées issues de l’approvisionnement assurent aux Toulousains des niveaux de consommation suffisants, qui ne sont réellement menacés que lors des périodes de grandes crises alimentaires que connaît la ville. Les quantités et la nature des denrées consommées pouvaient néanmoins varier suivant le niveau social de l’individu. Si les couches plus modestes de la population emploient en grande majorité des céréales sous la forme de pain pour constituer leur repas (près de 80 % de l’apport calorique quotidien) et peinent à se procurer les corps gras nécessaires pour un régime équilibré en lipides, les nobles et les bourgeois en revanche semblent consommer à l’excès les différents types de viande et de poisson à leur disposition, entraînant des déséquilibres en ce sens.
D’un point de vue global, le régime des Toulousains semble relativement varié à tous les niveaux de la société, malgré la domination attendue des céréales et du pain. Si on tente d’établir un régime alimentaire « moyen », on retrouve ainsi quelques tendances globales propres à l’Ancien Régime : Le blé et le vin restent les consommations majoritaires. Ensuite vient la consommation carnée, avec une majorité à Toulouse de mouton, de bœuf et de porc, remplacée par la consommation de poisson lors du carême. Puis l'huile, même si son usage ne se limite pas à l’alimentation. Les légumes représentent des quantités variables. Ils sont sûrement bien présents mais leur quantité reste difficile à évaluer, de même que les fruits. Le fromage enfin, fait l’objet d’une consommation plus anecdotique mais suffisamment conséquente pour qu’il soit pris en compte comme faisant partie de l'alimentation d'une frange assez large de la population.
Chapitre II
De l’apport des matières premières à la consommation effective : les formes et modalités de la consommation des denrées à la table des Toulousains
Les variations en termes de ration se traduisent également dans la manière qu’ont les habitants de prendre leurs repas. Avant d’atteindre les assiettes des Toulousains, les denrées vont en effet subir des transformations variées, qui vont conditionner la manière dont elles vont ensuite être consommées.
Pour la majorité des habitants, l’ensemble des denrées qu’ils se procurent servent à la conception d’un plat unique, la soupe, qui assure l’essentiel de leur alimentation quotidienne et peut occasionnellement être assortie d’aliments complémentaires comme le fromage. Pour réaliser cette soupe, les Toulousains consomment majoritairement leurs grains sous forme de pain, qu’ils le réalisent eux-mêmes ou l’achètent chez un des nombreux boulangers de Toulouse. La viande de boucherie, elle, puisqu’elle sert surtout à donner du goût à la soupe, est achetée au poids, et souvent mêlée d’os et de quelques abats, alors que la viande de porc est surtout consommée sous forme de lard, pour le goût qu’il apporte au potage. Ce potage se présente ainsi sous la forme d’un bouillon qui mélange légumes, viande et corps gras, et dans lequel on trempe le pain.
Mais les denrées de l’approvisionnement peuvent également connaître des modes de préparation bien plus variés, qui se diversifient d’autant plus que les consommateurs occupent un rang de l’échelle sociale élevée. Sur les tables nobles, les viandes passent de complément au cœur du repas ; les viandes bouillies et les ragoûts côtoient ainsi les viandes rôties, frites, en sauce, et les nombreux pâtés fournis par les pâtissiers de la ville. De même, dans les hautes couches de la société, la consommation des denrées communes peut parfois être mise de côté pour faire place à celle, plus marginale, de la consommation friande, de luxe, ou encore sucrée.
Conclusion
L’approvisionnement et la consommation alimentaire de Toulouse sont le fruit d’influences multiples, et de nombreux acteurs et phénomènes peuvent agir sur leur déroulement. Au milieu de telles variables, il pouvait sembler difficile d’obtenir une vue suffisamment vaste du cadre de l’approvisionnement de Toulouse. Mais l’appui sur le corpus principal des sources fiscales, qui semblait nécessaire pour éviter l’écueil de la dispersion, a donné un angle d’approche permettant d’entrer profondément dans le sujet. Et de fait, s’intéresser à ces droits à Toulouse, c’est comprendre et percevoir la quasi-totalité des mécanismes qui encadrent l’approvisionnement alimentaire sur la période. En complétant cette vision de quelques sources complémentaires, on obtient ainsi un tableau, sinon total, du moins suffisamment conséquent pour être probant. Ainsi, force est de constater qu’approvisionnement et consommation restent à Toulouse intimement liés et dépendants, et les flux qui passent par le maillage des octrois constituent l’essentiel de la nourriture quotidienne des Toulousains. Ces flux globaux garantissent aux habitants une consommation suffisante, auxquels s’ajoutent des compléments plus ou moins conséquents suivant le niveau social des foyers et des individus.
On a ainsi, au terme de cette étude, l’image d’une vie alimentaire toulousaine riche, qui s’appuie, pour son bon fonctionnement, sur des flux structurés et stables coexistant néanmoins en permanence avec des habitudes alimentaires plus marginales, qui contribuent tout autant à forger l’identité alimentaire urbaine.
Pièces justificatives
Extrait des registres de délibérations du conseil de bourgeoisie relatives au droit de Réserve (1636, 28 février-8 mars). — Délibérations du conseil de bourgeoisie relatives au droit de Subvention (1655, 10 septembre). — Contrat d’affermage de la Subvention et Réserve de 1688 (1688, 11 septembre). — État des appointements des commis de la Subvention et Réserve (1688, 4 juin). — Instruction aux commissaires pour la recherche des blés (1693). — Extraits de délibérations du conseil de bourgeoisie relatifs au taux de la chair de boucherie 1683 (12, 20 et 22 avril). — Modèle pour le festin des jeux floraux (1675, 16 mai). — Reproduction d’extraits des cahiers de recettes de la Réserve (AMT CC 1333). — Reproduction d’extraits des cahiers de la Subvention (AMT CC 1398 et CC 1404).
Annexes
Liste des fermiers du début à la fin de la période. — Tarif du bois établi lors de la séance du 8 mars 1636 dans l'hôtel de ville. — Denrées achetées du 6 janvier au 30 mars 1630 pour la nourriture du sieur Glacan, médecin de la santé, et ses deux valets. — Comptes pour la nourriture des Espagnols prisonniers à La grave et dans la maison de ville en 1642 et 1643. — Tableau complet de la provenance du vin par localité d’après nos sources. — Glossaire.