Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Histoire et sources des ordres militaires
- Chapitre premier
- Des institutions européennes et séculaires
- Chapitre II
- Les archives de l’ordre de Malte
- Chapitre III
- Typologie des sources
- Deuxième partie
- L’implantation des ordres militaires et la réunion des biens dans l’ordre de l’Hôpital (XIIe-XIVe siècle)
- Chapitre premier
- De l’expansion à la réorganisation
- Chapitre II
- Revenus et patrimoine (XIIe-XIVe siècle)
- Troisième partie
- D’une guerre à l’autre : les destructions et reconstructions des guerres de Cent Ans et Trente Ans (XVe-XVIIe siècle)
- Chapitre premier
- D’une Renaissance à l’autre
- Chapitre II
- Revenus et patrimoine (XVe-XVIIe siècle)
- Quatrième partie
- La rationalisation de la gestion du patrimoine foncier et architectural (XVIIIe siècle)
- Chapitre premier
- Le dernier siècle de l’ordre
- Chapitre II
- Revenus et patrimoine (XVIIIe siècle)
- Chapitre III
- La gestion des biens (XVIIe-XVIIIe siècles)
- Conclusion
- Pièces justificatives
- Annexes
- Illustrations
Introduction
L’histoire des Templiers et des Hospitaliers est longue et cohérente, des croisades à la Révolution française. Si l’ordre du Temple disparaît en 1312, ses biens sont dévolus aux Hospitaliers et conservent toujours leur identité propre au sein des possessions de ces derniers. Les deux ordres s’incarnent dans un immense réseau de commanderies réparties sur toute l’Europe qu’il est urgent d’étudier, car le manque de reconnaissance et de protection de ce patrimoine entraîne un risque important de destruction. Aux retards d’une historiographie longtemps restée dépourvue de réelle méthode, s’ajoute en effet la méconnaissance de ces bâtiments constamment réutilisés jusqu’à nos jours et rarement ménagés. Or leur architecture illustre les objectifs et les stratégies des ordres militaires. Leur étude, combinée à l’exploitation de riches fonds d’archives, permet de relier et de valoriser patrimoine écrit et patrimoine bâti.
L’espace examiné à cette fin est la Franche-Comté, retenue en raison de son unité spirituelle et temporelle, car celle-ci correspond au diocèse de Besançon et au comté de Bourgogne. Cette région possède en outre un rôle de relais administratif au sein des ordres militaires dès le XIIe siècle, bien que cet échelon soit moins formalisé que les circonscriptions dont elle dépend, qui sont beaucoup plus vastes : la province de France pour les Templiers et la langue d’Auvergne pour les Hospitaliers. Cette dernière se compose, de manière inhabituelle, d’un seul grand prieuré, celui d’Auvergne, s’étendant du Limousin à la Suisse. La rareté des sources médiévales conduit par ailleurs à recourir à celles de l’époque moderne, en dépassant les limites chronologiques traditionnelles. Un tel cadre, restreint spatialement – sans être réduit à un seul bâtiment –, mais inscrit dans la longue durée, met en évidence les liens hiérarchiques forts entre les commanderies, liens constants mais mouvants selon les réorganisations administratives et les changements de répartition de revenus. Il permet également de procéder à une synthèse des sources médiévales disparates et des sources abondantes de l’époque moderne. Leur confrontation aux observations de terrain enrichit la compréhension de la gestion patrimoniale effectuée par les ordres militaires, entre objectifs théoriques et organisation pratique. Si la vocation des seigneuries d’Europe est de soutenir le front de l’Orient, à Jérusalem et à Rhodes, puis à Malte, leur administration est moins militaire qu’économique, religieuse et judiciaire. Les bâtiments – et les priorités dans leur entretien – correspondent à ces fonctions : non pas châteaux militaires, mais greniers, églises, résidences dotés de marques de pouvoir (armes du commandeur, tours et colombiers). L’ordre cherche en outre à y affirmer sa puissance, alors que la perspective de la croisade, en s’éloignant, diminue la légitimité de commanderies bientôt vides de membres de l’ordre. Seul le « seigneur commandeur » y demeure attaché, bien qu’il y réside à peine, étant soumis à des obligations de présence à Malte ; il doit y symboliser la permanence d’un pouvoir réel, mais contesté. Il le manifeste à travers des actions administratives (procès, visite, maintien d’un procureur et d’officiers), documentaires (rénovation des terriers, rédaction de rapports) et architecturales (reconstructions, aménagements, avec constat et estimation). L’enjeu de ces actions implique tant sa propre carrière, qui s’appuie sur un bilan dûment évalué et consigné, que le maintien d’une seigneurie privilégiée, féodale et souveraine à l’époque moderne.
Sources
Les sources sont lacunaires, brèves et dispersées à l’époque médiévale, mais deviennent complètes, disertes et concentrées à l’époque moderne. Les documents les plus anciens, entre le XIIe et le XIVe siècle, édités en annexe, sont majoritairement relatifs à des donations et à des accords. Ils proviennent pour moitié de fonds autres que ceux des ordres militaires, et sont répartis dans les fonds des archives départementales de Bourgogne et de Franche-Comté, ainsi qu’à la bibliothèque municipale de Besançon, dans les collections Chifflet et Droz ; s’y ajoutent des documents conservés à la British Library à Londres et à la bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne. L’enquête pontificale générale de 1373 a laissé pour le diocèse de Besançon un procès-verbal long de deux mètres et demi, conservé aux archives secrètes du Vatican et étudié par Gérard Moyse ; l’état des lieux qui y est dressé est aussi fondamental qu’exceptionnel.
Une grande partie des archives des Hospitaliers – et des bribes de celles des Templiers – sont conservées aux archives départementales du Rhône, sous la cote 48 H. Lyon était le dernier siège de la langue d’Auvergne et les archives y ont été centralisées avant les saisies révolutionnaires. Les archives locales des commanderies se trouvent en revanche dans les archives départementales de Franche-Comté (Haute-Saône, Doubs et Jura), mais l’histoire de la répartition entre archives du grand prieuré et archives locales des commanderies est complexe : des transferts ont été réalisés à diverses époques entre ces dernières, et des copies ont pu en être dressées. Enfin, des photographies des bâtiments des commanderies ont été prises sur place en 2017 et 2018, compensant en partie l’absence de véritables monographies sur ces édifices.
Première partie
Histoire et sources des ordres militaires
Chapitre premier
Des institutions européennes et séculaires
Le développement rapide d’un patrimoine précaire. — Le développement de l’assise temporelle des ordres militaires est à la fois rapide et fragile. L’extension intercontinentale de leurs possessions, rendue possible grâce à l’appui déterminant du pape, est un atout stratégique, mais aussi un facteur de risque. La gestion de ces biens est complexe et les nombreux établissements isolés– toutes les donations étant acceptées et les stratégies de regroupement difficilement mises en œuvre – sont vulnérables. Cette situation engendre des crises politiques et budgétaires internes, ainsi que des attaques externes de la part des princes, des évêques et des seigneurs laïcs et ecclésiastiques ; celles-ci viennent à bout de l’ordre du Temple en 1312 et de l’ordre de Malte en 1798. Les crises et menaces de cette nature sont bien présentes en Franche-Comté, où elles sont documentées par des états des lieux et des enquêtes, comme par des mémoires et des procès pour défendre les intérêts de l’ordre.
Un réseau très étendu progressivement hiérarchisé. — Le réseau des ordres militaires répond à une logique propre ; il est composé de circonscriptions qui se distinguent de toute autre division politique ou religieuse, hiérarchisées sur trois niveaux. La Franche-Comté n’est pas une circonscription en tant que telle et se voit englobée dans d’autres plus vastes : la baillie de Bourgogne, à partir du début du XIIe siècle, et la province de France du milieu du xiie siècle jusqu’en 1312 pour les Templiers ; le grand prieuré d’Auvergne de 1243 à 1792, et la langue d’Auvergne, érigée en sus à la fin du XIIIe siècle, pour les Hospitaliers. La Franche-Comté forme toutefois un ensemble cohérent, appréhendé comme tel par les visiteurs de l’enquête pontificale de 1373 – qui prend appui sur le maillage diocésain – et par les visiteurs de l’ordre à l’époque moderne. Elle joue même un rôle de relais administratif dès les XIIe et XIIIe siècles, avec la mention d’un maître de l’Hôpital pour le diocèse de Besançon et d’une baillie templière de Bourgogne – non limitée au comté de Bourgogne, mais englobant parfois le duché. Face à ces entités parfois mouvantes, la commanderie demeure le niveau de référence, tant pour l’exercice du pouvoir que pour la collecte des revenus et la résidence des membres de l’ordre.
Une seigneurie complète, mais gérée à distance. — Les Templiers et les Hospitaliers disposent d’un pouvoir temporel, à la fois foncier, banal et juridique, et d’un pouvoir spirituel, grâce au patronage d’églises et à divers privilèges, ce dernier étant l’héritage des faveurs concédées par le pape dès le XIIe siècle et réaffirmées ensuite. Les commanderies sont le siège de ces seigneuries aux prérogatives multiples, mais celles-ci se dépeuplent au moins à partir du XIVe siècle. Les dépendances, puis les commanderies, sont mises précocement à ferme, c’est-à-dire en gestion indirecte : l’enquête pontificale de 1373 cherche à généraliser la ferme, bien que ce mode de gestion soit déjà en vigueur au sein de la moitié des établissements. La résidence du commandeur, exigée mais inconciliable avec d’autres obligations – celui-ci pouvant être responsable de plusieurs commanderies et étant soumis à l’accomplissement d’années de service à Malte –, est évaluée par les visiteurs : son intermittence est constatée mais excusée. Elle est compensée par un contrôle des résultats des procureurs, par des pratiques récurrentes comme la reconnaissance des redevances par les hommes dépendants de la commanderie, et par le recours à des ornements et à des symboles, notamment des armoiries et des bâtiments honorifiques, tels les colombiers.
Chapitre II
Les archives de l’ordre de Malte
Présentation générale des archives les plus anciennes (XIIe-XIVe siècle). — Les quarante-huit documents les plus anciens recensés, entre le début du XIIe et le début du XIVe siècle, proviennent de producteurs et de fonds d’archives divers. La moitié de ces documents n’a pas été produite par les ordres militaires, mais par des acteurs locaux (abbayes de Bellevaux et de Rosières, archevêque de Besançon et évêque de Langres), et est conservée dans la région. Les Templiers ont gardé peu de documents, mais ceux-ci sont davantage mentionnés que les Hospitaliers dans les écrits extérieurs à leur ordre. Grâce à son fonds d’archives exceptionnel, la commanderie de Montseugny est surreprésentée : elle est évoquée dans la moitié des documents consultés et dans les deux tiers de ceux conservés dans les archives des ordres militaires. Les établissements fusionnés (commanderies templières de Sales et de La Laine, maison hospitalière d’Autoreille) sont également très présents.
Une organisation centralisée tardive et contestée. — La conservation des archives des commanderies, après leur désertification et leur mise à ferme, dépend des bailleurs et des procureurs successifs, qui emportent les documents avec eux. Depuis le milieu du XVIe siècle, des ordonnances appellent donc, avec un succès progressif mais lent, à concentrer les originaux au siège de la langue d’Auvergne et à laisser les doublons et les pièces courantes aux commanderies. Des échanges de documents entre départements au cours du XIXe siècle modifient encore cette répartition.
Une répartition et une localisation oscillant entre centralisation et dispersion. – La répartition actuelle des archives est analysée selon trois angles d’attaque : la présence éventuelle de doublons et de copies ; la constitution de séries générales à l’échelle de la langue d’Auvergne pour la correspondance, les visites générales, etc., et de séries particulières par commanderie, contenant notamment les visites d’améliorissement et les terriers ; enfin, la répartition entre archives majeures, concentrées à Lyon, et archives courantes, réparties, non sans exceptions et irrégularités, entre les services d’archives de chaque département selon l’emplacement de la commanderie concernée.
Chapitre III
Typologie des sources
Acquérir. — Une commanderie se compose d’une maison principale, le « chef », et d’établissements dépendants, les « membres ». Ce réseau de commanderies se constitue aux XIIe et XIIIe siècles grâce à des donations, dont la provenance non maîtrisée provoque parfois des conflits avec des rivaux ou des proches du donateur. Après les échanges de 1253 et de 1263 avec Jean de Chalon – ce dernier concentrant ses possessions sur les hauts du Jura, tandis que les Templiers se rassemblent dans la vallée –, les actes de vente et d’échange du XIVe au XVIIIe siècle rationalisent la répartition de ces possessions.
Administrer. — L’administration au quotidien transparaît dans les baux à ferme, parfois conservés pour l’ensemble d’une commanderie – ce qui permet de suivre l’évolution de la valeur de celle-ci et en révèle la forte augmentation au XVIIIe siècle –, mais aussi dans les terriers de reconnaissance de droits, les arpentements, les plans de parcelles, les devis et enfin les factures et quittances de réparations.
Contrôler. — Le contrôle de la bonne marche de cette administration passe par des procès pour rétablir des droits ou garantir des privilèges, et plus encore par des états des lieux. Outre l’enquête pontificale de 1373, on dispose à l’époque moderne de nombreux procès-verbaux de deux types de visite. Les visites prieurales, aussi appelées générales, concernent toutes les commanderies du grand prieuré d’Auvergne, elles doivent être faites tous les cinq ans selon les statuts de l’ordre de Malte. Les visites d’améliorissement sont au contraire réalisées ponctuellement à la demande d’un commandeur, pour que les améliorations que celui-ci a apportées à la commanderie soient reconnues et qu’il obtienne ainsi une promotion en obtenant une autre commanderie de plus grande valeur. Ces demandes ont surtout lieu en raison de l’irrégularité des visites prieurales, le rythme de cinq ans étant rarement respecté.
Ces procès-verbaux, conservés de manière continue à partir du XVIIe siècle, traitent de nombreux aspects, selon un ordre strict, et posent les critères du bilan de l’action du commandeur, qui conditionne sa promotion : l’amélioration des revenus, le maintien des droits, des prérogatives et du service spirituel – à travers les offices et le patronage des paroisses – et enfin les travaux de réparation et de construction. Les visites et ventes révolutionnaires donnent un dernier état des lieux, avant le partage au profit d’acheteurs privés ou des communes, comme à La Villedieu-en-Fontenette et à Montseugny.
Deuxième partie
L’implantation des ordres militaires et la réunion des biens dans l’ordre de l’Hôpital (XIIe-XIVe siècle)
Chapitre premier
De l’expansion à la réorganisation
Le développement du réseau des ordres militaires en Franche-Comté (XIIe-XIIIe siècles). — Les ordres militaires s’implantent en Franche-Comté au milieu du XIIe siècle, à partir des établissements de Bourgogne installés quelques décennies auparavant ; la Franche-Comté émerge ensuite comme une entité à part, avec des commanderies et commandeurs autonomes. Ceux-ci conservent néanmoins un tropisme bourguignon : la plupart des commanderies sont situées dans les vallées de l’ouest, d’où elles commandent des membres situés plus à l’est. L’éparpillement des terres reçues en don n’efface pas ce trait, d’autant que les ordres militaires cherchent à concentrer leur patrimoine dans ces vallées par des échanges et des cessions. Les axes de communication sont donc pris en compte et les commanderies sont situées au centre ou non loin des villes et villages qu’ils occupent ou commandent. Ce constat vaut surtout pour les villages fondés par les Hospitaliers et dénommés « Villedieu ».
La dévolution des biens du Temple à l’Hôpital et la réorganisation du réseau (xivesiècle). — La transmission des biens du Temple aux Hospitaliers vers 1312 est mal connue en Franche-Comté, mais quelques documents suggèrent qu’elle s’est faite sans pertes, en dépit des confiscations de biens ou de droits effectués un temps par un grand nombre de seigneurs, depuis les plus modestes jusqu’à la comtesse Mahaut d’Artois, qui doit finalement rembourser les arriérés de rentes qu’elle devait. Les premières enquêtes permettent d’observer une nécessaire réorganisation des commanderies, effectuée par des fusions qui restent néanmoins respectueuses de la cohérence géographique des établissements d’une ex-commanderie. L’appellation « Temple » est ainsi conservée aux anciennes commanderies templières jusqu’à leur vente à la Révolution française. C’est aussi au XIVe siècle que le nombre d’actes d’échanges et de ventes conservés augmente, ce qui atteste sans doute d’une plus grande souplesse dans la gestion territoriale des biens.
Chapitre II
Revenus et patrimoine (XIIe-XIVe siècle)
Revenus et dépenses par commanderies. — La vision d’ensemble donnée par l’enquête de 1373 est riche d’informations. Les commanderies d’origine hospitalière et templière font jeu égal, mais ces dernières comptent beaucoup sur les rentes issues des salines de Salins, perçues par une commanderie située dans cette ville. Les Hospitaliers disposent de moins de commanderies que les Templiers, mais de plus d’établissements dépendants ou membres, et leurs revenus sont surtout d’origine agricole et en nature. Quelques commanderies concentrent la plupart des membres et des revenus : Dole pour les Templiers, La Villedieu-en-Fontenette pour les Hospitaliers. Les droits de justice ou sur les fours et les moulins banaux ont un intérêt moins économique que symbolique, même si les moulins semblent contribuer aux hauts revenus de La Villedieu-en-Fontenette, qui en concentre l’essentiel. En lui versant au moins les deux tiers de leurs ressources, les membres enrichissent le chef, mais ce dernier doit ensuite consacrer les trois quarts de ces contributions et de son propre revenu aux charges, qui ne pèsent que sur lui. Les chefs transfèrent enfin la moitié de leur revenu net à la langue d’Auvergne sous forme d’une contribution, la « responsion », mais les anciennes commanderies templières, pendant longtemps gérées à part, n’y sont pas soumises.
Typologie et usage des bâtiments. — Les descriptions sont très succinctes, mais concernent de nombreux bâtiments différents. Ils correspondent souvent à un usage économique (grange, moulin, four, tuilerie, pêcherie, bac, colombier), cependant l’attention des visites se focalise sur les lieux de résidence (maison, habitations avec ou sans jardins et vergers, etc.) et sur les lieux de culte (église ou chapelle, clocher et cimetière), dont le mobilier est décrit : livres, ornements et vêtements pour le culte. Les bâtiments sont divers, sans être uniformément répartis : les membres possèdent moins de bâtiments et ceux-ci sont souvent ruinés.
Troisième partie
D’une guerre à l’autre : les destructions et reconstructions des guerres de Cent Ans et Trente Ans (XVe-XVIIe siècle)
Chapitre premier
D’une Renaissance à l’autre
Les reconstructions et les inventaires de la Renaissance. — Les troubles des XIVe et XVe siècles laissent des séquelles importantes au XVIe siècle, qui connaît des campagnes de reconstruction, documentées par quelques comptes rendus de réparations de maisons, de granges et de moulins, ainsi que par des descriptions des bâtiments achevés. Les effectifs de l’ordre sont très diminués et le recours à la mise à ferme ou à la gestion indirecte est alors systématisé, tandis que commencent des révisions de terriers et des visites régulières – bien que la documentation afférente en soit mal conservée, surtout pour les visites.
Les difficultés du XVIIe siècle, entre désarroi et reprise en main. — Les guerres de Religion épargnent la Franche-Comté, mais pas la guerre de Dix Ans entre 1634 et 1644. La neutralité de l’ordre de Malte, entre la France et l’Espagne, est inconfortable et n’est pas respectée. Les visites du début du XVIIe siècle ne peuvent être comparées à celles faites durant la guerre – en raison de l’impossibilité de se rendre sur les lieux –, mais elles doivent l’être à celles de la fin du siècle. Celles-ci montrent tant l’étendue des dégâts matériels et humains – sur les dépendants –, que la vigueur de la reprise, avec des reconstructions importantes, voire ambitieuses, et un souci de recouvrer les droits perdus, grâce à des révisions de terriers, des procès, des visites et des inventaires d’archives, ces dernières étant davantage centralisées au siège du grand prieuré.
Chapitre II
Revenus et patrimoine (XVe-XVIIe siècle)
Revenus et dépenses par commanderie. — Cette période aux archives encore lacunaires, où troubles et guerres créent des ruptures fortes, se prête difficilement à la synthèse. Le poids des droits et rentes, notamment sur les salines de Salins, devient quasi nul face aux revenus de la gestion indirecte, majoritairement perçus en numéraire dès la fin du xve siècle. Si les revenus sont variables et menacés par de fréquentes destructions, les charges des commanderies sont néanmoins très basses.
Typologie et usage des bâtiments. — Les descriptions rencontrées dans les sources se concentrent de plus en plus sur les bâtiments les plus symboliques. Les visiteurs passent sur les granges, mais décrivent avec précision les habitations et églises, tout comme leur usage – ils font état de la fréquence du culte ou de l’éventuelle résidence du commandeur – et les éléments symboliques qu’ils y rencontrent, tels que des ornements héraldiques ou un colombier.
Quatrième partie
La rationalisation de la gestion du patrimoine foncier et architectural (XVIIIe siècle)
Chapitre premier
Le dernier siècle de l’ordre
Une conjoncture économique favorable. — La prospérité économique des commanderies s’accompagne d’une gestion plus rationnelle dans ses comptes et ses choix ; certains établissements déserts, granges ou simples chapelles, sont ainsi abandonnés.
Les effets de la Révolution française. — La neutralité de l’ordre pendant la Révolution française ne reporte pas longtemps la sécularisation des commanderies, qui intervient en 1792. Celles-ci font alors l’objet de visites et d’états des lieux, avant le partage et la vente des bâtiments et terrains.
Chapitre II
Revenus et patrimoine (XVIIIe siècle)
Revenus et dépenses par commanderie. — Le montant des baux, notamment des baux généraux pour une commanderie, connaît une augmentation constante et rapide, allant jusqu’à doubler en quelques décennies. Cette prospérité est autant due à la conjoncture économique favorable qu’au choix d’une gestion indirecte : celle-ci est mise en œuvre dans la continuité de la période précédente, mais fait l’objet d’un contrôle renforcé – dans un contexte il est vrai moins troublé – et d’une concurrence accrue entre les preneurs potentiels lors des mises aux enchères.
Typologie et usage des bâtiments. — À part quelques reconstructions importantes au début du siècle, les aménagements sont plus limités qu’au siècle précédent. La préoccupation pour les caractères fonctionnels et symboliques des bâtiments demeure, même lorsque ceux-ci connaissent de nouveaux usages qu’ils soient confiés à des locataires ou, par exemple, transformés en écuries pour les troupes du roi.
Chapitre III
La gestion des biens (XVIIe-XVIIIe siècles)
Décrire et représenter. — Les visiteurs se spécialisent à partir du XVIIe siècle, qu’il s’agisse des deux visiteurs en titre, constitués par un chevalier et un chapelain, ou des « experts » qui les assistent, hommes de loi, feudistes, menuisiers ou charpentiers. Cette spécialisation favorise dans les procès-verbaux de visite la précision du vocabulaire technique et des mesures géographiques et architecturales, que des termes et des unités de mesure régionaux y soient employés ou non. Des notations sur le style architectural des bâtiments apparaissent également.
La politique de restauration. — La part des revenus accordée à la restauration des bâtiments dépend de la volonté du commandeur : il s’agit d’un élément essentiel de son bilan. La priorité va aux éléments sanitaires, c’est-à-dire au clos et au couvert, pour autant les ornements « surabondants » constituent un critère important du jugement que portent les visiteurs sur le bilan du commandeur ; ils s’attardent donc sur les motifs héraldiques, les tableaux, les lambris, etc. À travers ces éléments architecturaux et décoratifs, plusieurs objectifs et influences se croisent et s’opposent parfois : la simplicité fonctionnelle ; le régionalisme des formes et des techniques, comme l’architecture et la couverture en bois ; les références au « goût ancien » et au passé des ordres militaires, avec des vestiges médiévaux et des tours ; enfin le prestige de l’architecture plus moderne ou « à l’antique », représentée par des corps de bâtiments et des baies rectilignes, ou par des portails en pierre de taille.
Conclusion
Les commanderies, en tant qu’échelon primordial du réseau des ordres militaires et centres de leurs seigneuries complètes et privilégiées, constituent le lieu d’observation le plus approprié pour appréhender la gestion de ces ordres. Elles sont des sources de droits et revenus, des espaces de recrutement et de carrière, des objets de convoitise et de conflit, des lieux d’exercice et de manifestation du pouvoir. Leur architecture est autant un indicateur qu’un instrument de gestion globale ; elle témoigne aussi des crises que traversent les commanderies, tant elle dépend du montant des revenus de chacune, de leur répartition et de leur affectation, mais aussi des objectifs et des stratégies de gestion des membres de l’ordre. Ceux-ci se réduisent d’ailleurs de plus en plus à la seule personne du commandeur, qui incarne et résume la commanderie : cette dernière n’est plus le lieu de vie d’une communauté, mais le lieu où s’exprime le pouvoir d’un seigneur distant, d’un ordre qui n’est plus que l’ombre de lui-même. La permanence de ce pouvoir passe par l’entretien régulier des bâtiments, qui consomme une part importante des ressources, du temps du commandeur et de ses administrateurs, mais qui retient aussi l’essentiel de l’intérêt des visiteurs et contrôleurs. L’enjeu, pragmatique et symbolique, est grand, puisque de l’incarnation et de la persistance de la présence matérielle de la commanderie dépendent son existence et son efficacité. Le recours à des éléments architecturaux ostentatoires, voire anachroniques, n’est pas exclu, afin de maintenir une légitimité fondée sur un passé prestigieux. L’entretien des bâtiments est signe autant que cause du maintien de l’influence des ordres militaires, jusqu’aux partages et aux ventes qui en marquent la fin.
Pièces justificatives
Documents les plus anciens relatifs aux ordres militaires en Franche-Comté en provenance des archives des ordres militaires et d’autres producteurs (abbayes de Bellevaux et de Rosières, archevêque de Besançon, comte de Bourgogne) XIIe-XIVe siècle). — Documents comptables (XVe siècle). — Terriers de reconnaissances (XVIe-XVIIIe siècle). — Enquête pontificale de 1373 dans le diocèse de Besançon. — Procès-verbaux de visites générales et d’améliorissements (XVe-XVIIIe siècle).
Annexes
Tableaux des établissements et possessions. — Tableau des visites (XVe-XVIIIe siècle).
Tableaux des bâtiments (1373). — Tableaux statistiques des résidents (1373).
Tableaux statistiques des revenus (1373). — Tableaux des revenus (1475). — Tableaux des revenus (1788). — Tableau du montant des baux (XVIe-XVIIIe siècle).
Revenus de diverses commanderies (XVe-XVIIIe siècle). — Évolution des revenus de Salins (XVe-XVIIIe siècle). — Comptes de réparation (XVe-XVIIIe siècle). — Listes chronologiques des hauts responsables de l’ordre du Temple et de l’ordre de Malte (XIIe-XVIIIe siècle). — Listes chronologiques des commandeurs de chaque commanderie comtoise (XIVe-XVIIIe siècle).
Illustrations
Cartes des commanderies et de leurs membres (1373). — Cartes des commanderies et de leurs membres (1789). — Cartes statistiques selon les données de l’enquête pontificale (1373). — Plans anciens et actuels, cadastre et vue aérienne de chaque commanderie. — Iconographie ancienne de la commanderie de Salins. — Photographies anciennes et récentes des commanderies.