Sommaire
- Introduction
- Sources
- Chapitre préliminaire
- Première partie
- Des commentaires d’ordonnances
- Chapitre premier
- Les racines génériques et auctoriales des commentaires
- Chapitre II
- Les commentaires comme sources imprimées
- Deuxième partie
- Une ordonnance commentée
- Chapitre premier
- La procédure civile des tribunaux royaux
- Chapitre II
- La procédure criminelle et les mesures de police
- Conclusion
- Pièces justificatives
- Annexe
Introduction
Hors les codifications du Grand Siècle et celles du Premier Empire, il est peu de lois qui aient frappé l’imaginaire collectif des Français avec une force comparable à celle de l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), dont l’écho est toujours audible près de cinq siècles après sa promulgation. Que ce soit par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation ou le Conseil d’État, cette ordonnance est le dernier texte législatif de l’ancien droit à être invoqué, aujourd’hui encore, par les cours de justice de la Ve République. L’ordonnance de François Ier apparaît en effet comme l’un des mythes fondateurs de la République, en raison de son article 111, réputé avoir imposé l’usage de la langue française dans l’ensemble des actes juridiques. À Jean Bodin qui, à la fin du xvie siècle, voyait dans cet article l’une des vraies marques de la souveraineté, répond aujourd’hui le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution de 1958, qui fait de la langue française la langue de la République, et qui est inscrit sous le titre I précisément consacré à la souveraineté. Aussi l’ordonnance de Villers-Cotterêts apparaît-elle sous la forme d’un mythe forgé au cours des siècles par un ensemble d’écrits et d’opinions l’ayant « distrait » de ses sources ainsi que « du contexte et de la longue durée de sa temporalité », pour reprendre les termes d’Arlette Farge à propos du concept d’événement en histoire. Elle participe de ces lieux de mémoire que sont la République et la Nation, qui ordonnent notre imaginaire collectif et balisent notre « géographie mentale ». Dès les xviie et xviiie siècles, l’ordonnance fut créditée d’avoir fait progresser le droit et la littérature par la promotion de la langue française. Le jacobinisme centralisateur du xixe siècle vit en elle un véritable progrès ayant permis d’unifier la France par la langue, au détriment du latin et des langues régionales. Cette opinion, relayée par l’ensemble des manuels scolaires, est toujours en vigueur. Elle fut notamment agitée lors du refus du Conseil constitutionnel d’entériner la charte européenne sur les langues minoritaires.
À rebours de cette entreprise de mythification, il s’agissait de replacer l’ordonnance de Villers-Cotterêts dans son contexte historique d’élaboration, de promulgation et de réception, en prenant le contrepied d’une abondante littérature exclusivement consacrée à son article 111. En effet, l’historiographie actuelle ne fait état d’aucune étude historique ou juridique ayant pris l’intégralité du texte de l’ordonnance comme objet. On ne trouve que de rares travaux épars consacrés à l’usage de la langue française, à la réglementation du notariat, ou encore aux dispositions prises en matière de procédure criminelle. Or, l’ordonnance apparaît avant tout comme une globalité. Elle se présente sous la forme d’un ensemble de dispositions relatives aux procédures civile et criminelle des juridictions royales, ainsi que de mesures circonstanciées ayant trait à la police des métiers. Elle fut prise dans un contexte où le pouvoir de faire loi bénéficiait d’une forte assise théorique notamment forgée par les légistes au cours des derniers siècles médiévaux. Le passage de la figure du roi juge à celle du souverain législateur a fait l’objet de nombreuses études historiques et juridiques. Ce contexte favorisait ainsi l’intervention du souverain, par le biais d’ordonnances promulguées en vue de restaurer le royaume dans sa pureté originelle. Après l’ordonnance de 1499, celle de Villers-Cotterêts est l’une des premières grandes ordonnances de réformation de la première modernité, suivie de celles de Roussillon (1563), de Moulins (1566) et de Blois (1579). Ces ordonnances furent longtemps considérées par l’historiographie comme des textes dont le plan échappait à toute logique cartésienne. Il est néanmoins apparu que l’ordonnance de Villers-Cotterêts suivait un plan sans doute mûrement réfléchi par le législateur, et qui s’avère être relativement similaire à l’ensemble des ordonnances de réformation ainsi qu’au Code Michau (1629) : aux dispositions traitant des relations entre les juridictions séculières et ecclésiastiques succèdent celles consacrées aux procédures civile et criminelle des tribunaux royaux, le texte s’achevant sur des mesures de police. Il s’agissait donc de comprendre la manière dont l’intégralité de ces dispositions faisait sens auprès de juristes du xvie siècle qui, pour faire œuvre d’exégètes, n’en demeuraient pas moins des justiciables du roi et de sa loi. Dès les premières années qui suivirent sa promulgation, l’ordonnance de Villers-Cotterêts fit en effet l’objet de nombreux commentaires de caractère protéiforme. La doctrine se présente comme un corpus résolument cohérent, évident et maîtrisable pour toute étude consacrée à une ancienne ordonnance royale. Son importance tant quantitative que qualitative dans l’ancien droit provenait de la nécessité de clarifier et de hiérarchiser les sources du droit, dans un contexte de relative évanescence de la norme juridique. L’enjeu était donc de comprendre la manière dont l’ordonnance de Villers-Cotterêts fit résonance dans le siècle qui la vit naître, par une étude systématique de son exégèse dont il s’agissait d’apprécier tant la forme que le fond. Le premier commentaire d’ordonnance fut l’œuvre de Jean Constantin, qui parut en 1545. L’ordonnance fut ensuite commentée par de nombreux auteurs, dont le dernier fut Adam Théveneau, à la charnière des xvie et xviie siècles.
Sources
Si Pierre Legendre déplorait dès les années 1990 la relative méconnaissance des jurisconsultes médiévaux en raison de l’absence de répertoires de leurs manuscrits, une remarque similaire vaut pour les auteurs du premier siècle de l’ère moderne. Les commentaires de coutumes furent bien répertoriés en 1975 par André Gouron et Odile Terrin, mais pas ceux consacrés aux ordonnances royales.
L’unique répertoire dont dispose l’historien est celui composé au xixe siècle par Armand-Gaston Camus, qui consacre une partie de son inventaire aux commentaires d’ordonnances. Il précise que des commentaires relatifs à l’ordonnance de Villers-Cotterêts furent composés au xvie siècle par Gilles Bourdin, procureur général au parlement de Paris, et Antoine Fontanon, avocat en cette même cour. Le répertoire de jurisprudence de Merlin de Douai fait quant à lui mention d’un commentaire rédigé à la même période par Charles Dumoulin, éminent juriste de la première modernité abondamment étudié par Jean-Louis Thireau. Le nombre relativement restreint de ces juristes s’élargit par l’étude d’autres sources. Ainsi du manuel d’Adhémar Esmein consacré à l’ancienne procédure criminelle, qui fait mention d’un certain Jean Constantin, avocat au parlement de Bordeaux ayant également commenté l’ordonnance de VillersCotterêts. De ce dernier, ni la vie ni l’œuvre n’ont jusqu’ici été étudiées. Le récent dictionnaire consacré aux juristes français du xiie au xxe siècle mentionne aussi l’existence de Léon Trippault, avocat et commentateur de l’ordonnance promulguée par François Iᵉʳ.
La notion de commentaire n’est pas une réalité monolithique : elle est susceptible d’emprunter une pluralité de formes du discours, et a été constamment redéfinie au fil de la présente étude. Comme le souligne Ian Maclean, toute analyse de la littérature exégétique du xvie siècle doit nécessairement prendre en compte le caractère pléthorique des modalités d’interprétation alors existantes. De sorte que le corpus des commentaires relatifs à l’ordonnance de Villers-Cotterêts devait s’ouvrir à d’autres œuvres, d’un genre hybride, qui permettaient de réinterroger le concept de commentaire. Ainsi des écrits de Pierre Rebuffe, éminent professeur de droit, dont une récente biographie a remis en lumière les commentaires d’ordonnances. Ces derniers sont à la jonction de deux genres : le commentaire et la compilation d’ordonnances. En effet, les commentaires de Rebuffe couvrent une pluralité d’ordonnances royales, dont celle de 1539. En ce sens, l’ouvrage se rapproche formellement des commentaires composés à la même période par Adam Théveneau, avocat au parlement de Paris et auteur de commentaires d’ordonnances royales, dont la vie et l’œuvre n’ont, jusqu’ici, jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Enfin, une ordonnance peut être commentée de manière indirecte et sans renvoi explicite. Dans le cas de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, dont les dispositions criminelles firent l’objet de très nombreuses critiques de la part de ses contemporains, l’étude de l’œuvre de Pierre Ayrault s’avérait indispensable. Si Ayrault consacre un traité historique à l’étude des anciennes procédures criminelles de l’Antiquité gréco-romaine, c’est pour mieux dénoncer les progrès de la procédure inquisitoire consacrée par l’ordonnance de 1499 et véritablement aggravée par celle de Villers-Cotterêts. Le traité d’Ayrault se présente donc sous la forme d’un commentaire indirectement engagé contre l’ordonnance de François Iᵉʳ. Cet ouvrage a notamment permis de repenser la notion de commentaire, qu’il s’agisse d’une œuvre empruntant la forme des commentaires médiévaux, d’une compilation consacrée à une pluralité d’ordonnances ou d’un traité dévolu à la critique d’un système répressif renforcé par un texte législatif. La relative plasticité de ce corpus de sources reflète les incertitudes terminologiques du xvie siècle : on sait par exemple que les Essais de Montaigne furent longtemps intitulés Commentaria. La notion de commentaire est donc, au premier siècle de l’ère moderne, une réalité aussi plurielle que celle du corpus de sources retenu.
Ce sont donc, en tout, huit juristes qui furent étudiés dans le cadre du présent travail : Jean Constantin, Pierre Rebuffe, Pierre Ayrault, Gilles Bourdin, Antoine Fontanon, Léon Trippault, Charles Dumoulin et Adam Théveneau. Il s’agissait d’abord d’en retracer la vie, la plupart d’entre eux n’ayant, jusqu’ici, jamais été étudiés, en raison notamment du caractère relativement lacunaire des sources les concernant.
Les commentaires retenus, dont trois sont au format in-folio, forment un corpus de plus de 2 200 pages. Les exemplaires de ces commentaires conservés à la Bibliothèque nationale de France ont tous été étudiés. Ils ont été comparés avec d’autres conservés à la bibliothèque de la Cour de cassation. De même, un exemplaire des commentaires de Pierre Rebuffe conservé dans le fonds ancien de la Cambridge University Library a été analysé et comparé.
Quatre commentaires sur huit sont rédigés en latin, et un seulement a fait l’objet d’une traduction. Le cas échéant, le texte en latin et sa traduction française ont été étudiés. La plupart des commentaires sont rédigés dans un latin dont la lecture est rendue particulièrement difficile, notamment en raison d’innombrables citations juridiques. Par ailleurs, le commentaire de Charles Dumoulin est composé dans une langue complexe, conjuguant langues latine et française au détour de chaque phrase.
Chapitre préliminaire
L’ordonnance de Villers-Cotterêts revêt la forme de lettres patentes scellées de cire verte sur lacs de soie rouge et verte, signées par le roi et contresignées par son secrétaire des finances Jean Breton, au mois d’août 1539. Traditionnellement attribuée à Guillaume Poyet, chancelier de France de 1538 à 1545, il semble pourtant que son élaboration ait été le fruit d’une œuvre collective. En réalité, l’ordonnance puise abondamment dans les ordonnances antérieures, et elle aurait très bien pu être promulguée sous le cancellariat d’Antoine Du Bourg. Une recension a ainsi permis de mettre en évidence le fait que 23 articles majoritairement consacrés à la procédure civile sont en fait repris de l’ordonnance d’Is-sur-Tille, promulguée en 1535 à destination de la Provence. De même, 15 articles relatifs à la procédure criminelle reprennent des dispositions de l’ordonnance de Valence, prise en 1536 pour le duché de Bretagne. Par ailleurs, les ordonnances d’Is-sur-Tille et de Valence reprennent elles-mêmes, sur certains points, des articles de l’ordonnance de Blois promulguée en 1499. Seules les dispositions relatives à la police des métiers ne s’inspirent d’aucune législation antérieure. L’ordonnance de Villers-Cotterêts s’inscrit donc dans la continuité d’une politique législative d’envergure amorcée dès les premières années du xvie siècle, et sa promulgation date de l’ère Montmorency, c’est-à-dire d’une période d’intensification législative. Par ailleurs, l’année 1539, marquée par la trêve décennale conclue entre François Ier et Charles Quint, était particulièrement propice à une réforme en profondeur de l’administration du royaume. La comparaison des 192 articles de l’ordonnance de Villers-Cotterêts avec ceux d’ordonnances antérieures a mis en évidence le fait que la royauté avait d’abord testé l’efficacité de certaines mesures dans des provinces juridiquement aussi éloignées l’une de l’autre que la Provence et la Bretagne, avant de les étendre à l’ensemble du royaume. La paternité contestée de l’ordonnance n’enlève rien toutefois à la responsabilité qu’en porte Guillaume Poyet, en considération du fait que ce dernier ne se priva pas, tout au long de son cancellariat, de refuser l’apposition du sceau à des textes législatifs qu’il estimait contraire aux intérêts du royaume.
Conformément à sa clause injonctive, des expéditions scellées de l’ordonnance furent soumises à enregistrement aux cours souveraines de Paris, Toulouse, Bordeaux, Dijon, Rouen, Grenoble et Aix. Seules les expéditions scellées adressées à la Chambre des comptes de Grenoble et au parlement d’Aix nous sont parvenues. Elles sont respectivement conservées par les archives départementales de l’Isère et des Bouches-du-Rhône. S’il n’entrait pas dans les fins de la présente étude de délivrer une édition critique du texte de l’ordonnance, tout invite à ce que l’on y procède un jour par une étude systématique des enregistrements aux cours souveraines et des éditions de l’ordonnance données au cours de l’Ancien Régime. Et ce à la manière de l’édition du texte de l’Édit de Nantes récemment dirigée par Bernard Barbiche à l’occasion du quatrième centenaire du texte d’Henri IV. L’étude des commentaires de l’ordonnance de Villers-Cotterêts a en effet mis en évidence le fait que les commentateurs s’appuyaient sur des textes parfois relativement différents de celui édité par l’Académie des sciences morales et politiques, et qui est reproduit en annexe de la présente étude. Cela n’était pas sans influer sur l’interprétation que les commentateurs délivraient du texte de François Ier.
Dès sa promulgation, l’ordonnance de Villers-Cotterêts a fait l’objet d’une diffusion imprimée d’une ampleur sans commune mesure avec aucun autre texte législatif du premier siècle de l’époque moderne. Une étude de la production éditoriale parisienne de l’année 1539 a ainsi permis de démontrer que le texte de l’ordonnance était le titre le plus souvent édité. Compte tenu du chiffre de tirage habituel de l’époque, on peut estimer à près d’une vingtaine de milliers le nombre d’exemplaires écoulés dans les mois qui suivirent la promulgation du texte. La royauté semble avoir nettement favorisé cet engouement éditorial, notamment par l’octroi de privilèges royaux à Galliot du Pré, libraire-imprimeur parisien spécialisé dans l’impression d’ouvrages juridiques. En quelques mois, les juristes parisiens et provinciaux purent ainsi disposer du texte de l’ordonnance, ce qui influa sans doute sur la publication relativement précoce de commentaires dédiés à celle-ci.
Première partie
Des commentaires d’ordonnances
Chapitre premier
Les racines génériques et auctoriales des commentaires
De l’exégèse romano-canonique aux commentaires d’ordonnances. — Les écrits consacrés à l’exégèse de l’ordonnance de Villers-Cotterêts sont des œuvres de doctrine. Ils contribuent à l’élaboration d’une science juridique, qui puise ses racines dans le droit romain. En termes d’esprit et de méthodes, les commentateurs de l’ordonnance sont le plus souvent les héritiers des glossateurs et commentateurs médiévaux des deux Corpus. Mais leurs écrits les distinguent en ce qu’ils s’emploient à l’exégèse d’un droit national qui leur est contemporain. En ce sens, ils rejoignent les commentateurs de coutumes. À cet égard, il n’est pas anodin de constater que certains auteurs tels que Pierre Rebuffe et Antoine Fontanon composèrent des compilations d’ordonnances royales. Une étude de ces compilations a permis de démontrer qu’elles contribuaient à la valorisation du droit français, par l’isolation et la promotion des ordonnances royales comme sources du droit à part entière. En commentant l’ordonnance de Villers-Cotterêts, certains auteurs lui appliquent des méthodes relativement similaires à celles de la scolastique médiévale, en mettant sur le même plan une loi française et les leges romaines. De fait, le droit français des ordonnances se trouve à égalité avec le droit romain. Par ailleurs, certains commentateurs de l’ordonnance de Villers-Cotterêts participent de la formation d’un genre littéraire voué à durer. En effet, le commentaire d’ordonnances royales en tant que genre fut appliqué par la suite aux ordonnances de Moulins et de Blois par des auteurs tels que Philibert Bugnyon ou Pardoux Du Prat. Puis, aux xviie et xviiie siècles, le genre du commentaire d’ordonnances atteint son apogée avec l’exégèse des codifications louis-quatorziennes, sous la plume d’éminents juristes tels que Daniel Jousse. De sorte que les commentateurs de l’ordonnance de Villers-Cotterêts font figure de pionniers dans la formation de l’un des genres fondamentaux de la littérature juridique des époques moderne et contemporaine.
Les commentateurs de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. — Les auteurs étudiés partagent de nombreux points communs. Tous sont des gens de justice ayant mené tout ou partie de leurs carrières respectives au sein des cours souveraines ou des juridictions inférieures. Même Pierre Rebuffe, qu’on a longtemps réduit au seul statut d’éminent professeur, fut avocat au parlement de Paris. C’est dans cette cour que Gilles Bourdin exerça des fonctions particulièrement prestigieuses, en tant que procureur général. De même pour Antoine Fontanon ou Adam Théveneau, qui y furent avocats. Seuls Jean Constantin et Léon Trippault exercèrent dans des cours provinciales, respectivement à Bordeaux et Orléans. Ils sont les auteurs les moins documentés du corpus étudié. Certains commentateurs eurent des parcours particulièrement troublés par les guerres de Religion. C’est le cas d’Antoine Fontanon, qui accéda à l’office de procureur en la chambre du Trésor à la faveur de la Ligue. C’est également le cas de Charles Dumoulin, qui connut l’exil en raison de ses positions religieuses. Mais tous les auteurs partagent un gallicanisme commun à l’ensemble des parlementaires de l’époque. Tous sont convaincus de la nécessaire défense du roi et de ses prérogatives. Le cas est patent chez Adam Théveneau, auteur d’une abondante littérature consacrée à l’institution du Prince. Théveneau est très attaché à l’idée de souveraineté, que Pierre Rebuffe et Charles Dumoulin s’efforcent quant à eux de conceptualiser. En plus du gallicanisme, l’ensemble des auteurs témoigne d’une profonde imprégnation de l’esprit humaniste. La majorité d’entre eux manie la langue grecque, dont Léon Trippault composa un dictionnaire étymologique, et à l’étude de laquelle Pierre Rebuffe s’employa dans les dernières décennies de sa vie. De même, Gilles Bourdin fut un éminent traducteur d’Aristophane. Leurs écrits témoignent d’une volonté d’un retour à la pureté originelle des textes.
Chapitre II
Les commentaires comme sources imprimées
Des objets éditoriaux. — La plupart des commentaires consacrés à l’ordonnance furent favorisés par la royauté, grâce à l’octroi de privilèges royaux. Et ce bien avant que l’article 78 de l’ordonnance de Moulins (1566) ne rende obligatoire l’obtention de lettres de privilèges. Le premier commentaire édité fut celui de Jean Constantin, qui parut en 1545. Ceux de Pierre Rebuffe et de Charles Dumoulin furent quant à eux publiés à titre posthume, respectivement en 1581 et 1612. Les commentaires de Gilles Bourdin, d’Antoine Fontanon, de Pierre Rebuffe et d’Adam Théveneau semblent avoir été de véritables succès d’édition, la plupart ayant été réédités au cours du xviie siècle. Et ce contrairement aux commentaires de Jean Constantin et de Léon Trippault. Dans le cas de Fontanon, la raison du succès tient d’abord au fait que son commentaire n’était qu’une traduction en français de celui de Gilles Bourdin, assortie de ses propres annotations. Fontanon s’était sans doute appuyé sur la renommée de Gilles Bourdin, procureur général au parlement de Paris, pour s’assurer un succès éditorial. Si les premiers commentaires de l’ordonnance furent publiés au format in-folio, les suivants adoptèrent des formats portatifs plus maniables. Seul le commentaire de Dumoulin demeura au format in-folio. La raison tient à ce que son commentaire fut édité à titre posthume dans ses œuvres complètes, ce qui explique le choix d’un format imposant, dans la mesure où il s’agissait d’un hommage rendu à l’éminent juriste. De même, si les commentaires de Constantin, de Rebuffe ou de Théveneau revêtent un aspect relativement aride, les autres commentaires tendent à privilégier une mise en page plus aérée et structurée, en vue d’en faciliter la lecture. Par ailleurs, l’ensemble des commentaires est assorti de tables de titres et de matières. En ce sens, les commentaires de l’ordonnance de Villers-Cotterêts témoignent des profondes transformations éditoriales qui accompagnent les décennies suivant l’invention de l’imprimerie.
Des contenus discursifs. — Les commentaires de Jean Constantin, de Gilles Bourdin et de Pierre Rebuffe furent initialement rédigés en latin. Seul celui de Bourdin fut traduit en français, par Antoine Fontanon. Tous les autres commentateurs optèrent pour la langue française, à l’exception de Charles Dumoulin, qui écrit dans une langue entremêlant constamment le latin et le français, à la manière de Philibert Bugnyon dans son Traité des lois abrogées. Tous commentent l’intégralité de l’ordonnance, à l’exception de Pierre Rebuffe et d’Adam Théveneau. Ces derniers ont en effet en commun d’avoir composé des commentaires consacrés à une pluralité d’ordonnances, dont celle de VillersCotterêts. Ainsi, Rebuffe commente exclusivement les mesures de police et les dispositions en matière de procédure civile, quand Théveneau privilégie les seules procédures civile et criminelle, à l’exclusion des mesures de police. Les deux juristes partagent une même méthode : chacune de leurs œuvres est divisée en traités, au sein desquels les divers articles d’ordonnances sont compilés puis commentés. Le genre du traité est également celui de Pierre Ayrault. Ce dernier compose en effet un traité historique visant à comparer la procédure inquisitoire avec les procédures criminelles antiques pour mieux dénoncer celle en vigueur au premier siècle de l’époque moderne. À ce titre, il commente indirectement les ordonnances de 1499 et 1539. De tous les commentateurs, seul Jean Constantin use de méthodes rigoureusement bartolistes, en multipliant des cas d’espèce qu’il résout par l’invocation de nombreuses autorités. Les autres commentateurs apparaissent davantage comme des juristes de transition, conjuguant méthodes bartolistes et humanistes. De commentaire en commentaire, le recours aux autorités se fait plus discret, le raisonnement des juristes semblant se suffire à lui-même. Par ailleurs, on observe un véritable renouvellement des autorités : si la plupart des commentateurs font appel aux autorités des deux Corpus, ils invoquent également des auteurs qui leur sont contemporains, auxquels ils adjoignent le droit coutumier, les ordonnances royales ainsi que la jurisprudence. Le fait que le français tende à devenir la langue privilégiée des commentateurs, et que ces derniers actualisent les sources qu’ils invoquent, témoigne des profondes transformations du premier siècle de l’ère moderne.
Deuxième partie
Une ordonnance commentée
Chapitre premier
La procédure civile des tribunaux royaux
L’ouverture et l’instruction du procès civil. — Les commentateurs de l’ordonnance s’efforcent d’accompagner la royauté dans la lutte contre les ajournements abusifs des laïcs par les officialités en matière pure personnelle. Il s’agissait avant toute chose d’éviter les conflits de juridictions, qui éternisaient les procès. Cela passe par une redéfinition permanente des sphères spirituelle et temporelle. Dans leurs réflexions, les exégètes de l’ordonnance de Villers-Cotterêts ont constamment à l’esprit l’ordre du procès civil. Ainsi, les dispositions relatives à la tenue des registres de baptêmes et de sépultures ainsi que des mercuriales ne sont pas isolées des autres articles par les commentateurs. Et ce contrairement à l’historiographie, qui n’avait jusqu’ici étudié ces dispositions qu’en dehors du cadre du procès, et qui n’y voyait que les prémisses de l’instauration de l’état civil dans une perspective d’histoire pré-statistique. En réalité, et conformément à l’énoncé de l’article 51, les registres et relevés de prix doivent être tenus « en forme de preuve » en vue de la résolution des litiges, notamment en matière bénéficiale. C’est à des fins d’abréviation des procès civils que la royauté confère l’authenticité à ces actes. Aussi ressuscite-t-elle également l’antique procédure d’insinuation, qui correspond à un processus d’authentification. Les commentateurs s’efforcent d’en détailler le déroulement, l’ordonnance n’ayant fait qu’en réinstaurer l’usage. C’est également dans une perspective d’abréviation des procès que les commentateurs saluent la réglementation des actes notariés par l’ordonnance. Là où l’usage requérait le plus souvent l’instruction de preuves testimoniales, l’ordonnance impose l’acte authentique, dans un contexte de rationalisation de la justice. Par ailleurs, l’ordonnance restreint considérablement, voire supprime les délais de procédure. Les commentateurs approuvent globalement cette politique, mais uniquement en matière civile.
Les effets des décisions de justice civile. — Conformément aux articles 110 et 111, les décisions de justice, ainsi que tous les actes de la pratique, doivent répondre à des exigences de clarté et d’intelligibilité. C’est la raison pour laquelle Pierre Rebuffe considère que l’article 111 visait à promouvoir le français et les langues régionales, afin que les justiciables n’entendant que leur parler provincial puissent bénéficier d’un égal accès à la justice. Les autres commentateurs estiment au contraire que l’article 111 impose exclusivement l’usage du français, ce qui suscite l’effroi de Jean Constantin, pour qui seul le latin est propre à l’expression du droit. Du reste, les commentateurs s’indignent particulièrement de l’article 72, qui enjoint le juge de procéder contre les héritiers d’un débiteur décédé sans que leur qualité d’héritiers ait été préalablement vérifiée. Cet article, que les auteurs considèrent comme absurde et inapplicable, s’inscrit dans la perspective d’abréviation des procès portée par l’ordonnance. Les commentateurs témoignent de ce que de nombreuses lenteurs inutiles résultaient de l’absence récurrente des magistrats, et ils n’ont de cesse de dénoncer leurs abus. L’ordonnance vise ainsi à rappeler certaines règles élémentaires de déontologie. Elle rappelle notamment aux juges l’interdiction de déléguer la taxation des dépens, dommages et intérêts aux greffiers, qui sont dépourvus de la jurisdictio. C’est également à des fins d’abréviation des procès que l’ordonnance supprime des formalités considérées comme inutiles, telles que l’obtention d’« apôtres » pour interjeter appel des décisions de justice, ce qui est unanimement salué par les commentateurs.
Chapitre II
La procédure criminelle et les mesures de police
La répression du crime. — La lecture des commentaires de l’ordonnance révèle une véritable inquiétude de la part de leurs auteurs. Tous témoignent d’un contexte particulièrement propice au crime, qu’ils considèrent comme le fruit d’un laxisme excessif. Pour eux, l’action publique doit s’exercer indépendamment de toute conciliation ou transaction, dans la mesure où le criminel lèse avant tout la res publica. Si tous approuvent une certaine rapidité dans l’expédition des procès, nombre d’entre eux se refusent à accompagner l’établissement d’une justice expéditive. C’est la raison pour laquelle Jean Constantin, Pierre Ayrault et Charles Dumoulin s’insurgent contre de nombreuses dispositions de l’ordonnance relatives à la procédure criminelle. Celle-ci restreint en effet considérablement les droits de la défense, que les commentateurs en question considèrent pourtant comme relevant du droit naturel. L’œuvre d’Ayrault est tout entière orientée vers la dénonciation de la procédure inquisitoire. Les trois juristes dénoncent particulièrement l’absence de communication des pièces du dossier à l’accusé, la privation de ce dernier du droit à bénéficier de l’assistance d’un conseil, ainsi que certaines dispositions le contraignant à reprocher des témoins sans délai de réflexion. Ayrault appelle indirectement le législateur à réinstaurer une procédure criminelle publique et contradictoire. Mais d’autres commentateurs tels que Pierre Rebuffe témoignent au contraire d’une certaine neutralité. Quant à Adam Théveneau, il s’efforce d’aggraver les rigueurs de la procédure inquisitoire, en étendant la privation d’avocats aux mineurs. S’il est vrai que la procédure criminelle de l’ordonnance fut contestée, ce fut bien par une majorité, mais non par l’ensemble des commentateurs. L’usage de la question n’est, quant à lui, remis en cause par aucun auteur. Jean Constantin délivre même un manuel de procédure relatif à la torture, qu’il considère comme particulièrement nécessaire à l’obtention d’aveux trônant au sommet de la hiérarchie des preuves légales.
Le maintien de l’ordre public. — Les mesures relatives à la police des métiers comptent parmi les plus circonstanciées de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Elles interviennent en effet dans un contexte particulièrement troublé par la Grande Rebeyne lyonnaise de 1529 et par le grand Tric de 1539, année de promulgation de l’ordonnance. Parce que ces mouvements de grève furent soupçonnés d’avoir été initiés dans les corporations et qu’ils rompaient la concordia ordinum, les commentateurs saluent les dispositions portant dissolution des confréries de gens de métiers et d’artisans. Ils soutiennent également la politique royale de lutte contre les pratiques monopolistiques. S’agissant de la réglementation même des métiers, l’ordonnance soumet l’accès à la maîtrise à la seule réalisation d’un chef-d’œuvre. Cette disposition rencontre l’approbation unanime des commentateurs, qui livrent témoignage d’abus innombrables commis dans l’accès à la maîtrise. À l’inverse des dispositions en matière criminelle, celles relatives à la police des métiers sont donc approuvées par l’ensemble des commentateurs.
Conclusion
L’étude des œuvres consacrées à l’exégèse de l’ordonnance de Villers-Cotterêts permet de combler les lacunes évidentes de l’historiographie, quand elle n’en prend pas le contrepied. Qu’il s’agisse de commentaires formellement bartolistes ou de traités, l’ensemble des œuvres étudiées témoigne de ce qu’une part éminente des juristes de l’époque n’attachait qu’une importance somme toute relative à l’égard de son article 111. Et cela contrairement aux dispositions consacrées à la procédure criminelle, que de nombreux historiens ont, à tort, considéré comme n’ayant fait l’objet d’aucune contestation.
En prenant un texte législatif royal comme objet d’étude, les commentaires de l’ordonnance venaient combler l’absence d’enseignement d’un droit français, qui n’apparut qu’en 1679. L’isolation et l’étude des ordonnances comme sources du droit à part entière ont permis la valorisation d’un droit français, ainsi que la construction d’un genre littéraire exclusivement dévolu à son exégèse.
Cette étude en appelle d’autres. Outre une édition critique du texte de l’ordonnance de Villers-Cotterêts tel que reproduit dans les registres des parlements ainsi que dans les compilations d’ordonnances, une étude d’ampleur pourrait inclure l’analyse de la réception de ce texte dans l’ensemble de la production doctrinale du premier siècle de l’ère moderne, en comparaison avec celle des siècles suivants.
Pièces justificatives
Exemples de pages de titre, de privilèges d’impression et de tables. — Exemples de pages de texte.
Annexe
Texte de l’ordonnance de Villers-Cotterêts.