Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Les origines de l’imprimerie franciscaine de Terre sainte
- Chapitre premier
- L’imprimerie au Proche-Orient, origines et développement
- Chapitre II
- Les fondations de l’imprimerie franciscaine (1846-1874)
- Deuxième partie
- « Un royaume de papier » : à la découverte de l’imprimerie
- Chapitre premier
- Les hommes de l’imprimerie
- Chapitre II
- Lieux et ressources matérielles
- Troisième partie
- Cent vingt ans en Palestine : l’imprimerie à travers les époques
- Chapitre premier
- Imprimer à Jérusalem à la fin de l’Empire ottoman
- Chapitre II
- L’imprimerie entre guerres et paix, 1915-1969
- Quatrième partie
- De l’imprimerie missionnaire à la maison d’édition
- Chapitre premier
- Instruire les hommes, conduire les fidèles : les livres de la mission
- Chapitre II
- Montrer la Terre sainte
- Conclusion
- Pièces justificatives
- Annexes
Introduction
Le 28 janvier 1847, une poignée de religieux et d’apprentis laïcs achèvent le tirage d’un abécédaire sur une petite presse à bras nouvellement installée dans le couvent franciscain de Saint-Sauveur à Jérusalem : humble réalisation, ce feuillet constitue néanmoins le premier imprimé en caractères mobiles arabes produit sur le territoire palestinien et marque le début d’une riche production pluriséculaire. L’imprimerie des PP. Franciscains est fondée à deux fins précises : fournir gratuitement aux élèves fréquentant les écoles de Terre sainte les manuels nécessaires à leur instruction spirituelle et intellectuelle, et aux religieux les supports de la pastorale auprès des populations chrétiennes locales. Le XIXe siècle s’avère en effet le moment propice pour une telle initiative, qui rencontre la convergence de plusieurs dynamiques très favorables : la libéralisation progressive de l’Empire ottoman ainsi que la prise d’intérêts croissante des puissances occidentales au Proche-Orient créent un terreau fertile pour le développement de l’activité missionnaire dans la région. Protestants, orthodoxes, juifs et catholiques partent alors à la conquête des terres bibliques sur lesquelles ils installent nombre d’institutions charitables pour encadrer et soulager les populations locales. Le réseau scolaire très dense que les nombreuses congrégations et associations mettent en place, ainsi que les ateliers typographiques créés pour l’alimenter en livres, participent alors à plein du mouvement plus général d’alphabétisation de la population et de croissance de la place de l’écrit dans la société. Au cœur de ce paysage foisonnant, l’imprimerie publie alors des ouvrages scolaires, d’exégèse, de controverse, de dévotion, de spiritualité, disponibles dans un vaste éventail de langues : arabe, italien, français, anglais, espagnol, allemand, arménien, turc, grec, etc.
L’atelier franciscain présente toutefois une facette inattendue : au-delà de ses seules activités missionnaires, il est amené dès ses débuts à travailler non seulement pour la communauté latine d’Orient, mais aussi pour l’ensemble de la société hiérosolymitaine ainsi qu’épisodiquement pour les autorités civiles qui s’y succèdent. Il est dès lors possible, dans une perspective micro-historique, de retracer les cent vingt premières années d’existence de celle que l’on appelle après 1969 la Franciscan Printing Press. Les riches archives qu’elle a laissées offrent un témoignage très vivant et précieux non seulement de l’épopée de l’imprimerie arabe aux XIXe et XXe siècles, mais aussi des phénomènes religieux, politiques, économiques et sociaux qu’elle rencontre et dont elle livre une vision originale. L’imprimerie se met alors au service d’une Terre sainte aux multiples acceptions – qu’elle soit le ressort administratif de la custodie franciscaine ou la région rêvée des voyageurs orientalistes en passant par la simple étendue géographique du Levant –, pour laquelle elle est conduite à faire évoluer la gamme de ses réalisations et surtout son projet éditorial.
Sources
Les épreuves et les archives propres à l’imprimerie, conservées au couvent Saint-Sauveur de Jérusalem constituent un fonds exceptionnel et inédit, couvrant les activités de l’atelier depuis sa création jusqu’à la fin des années 1980. Elles ont été repérées en 2014 par l’équipe de chercheurs du projet Open Jerusalem suite à leur versement et leur classement au centre d’archives historiques de la custodie après le déménagement de l’atelier hors de la Vieille Ville. L’imprimerie représente alors une source historique de premier plan dans la perspective de ce projet mené par Vincent Lemire de 2014 à 2019, dont l’objectif est de mettre en évidence, à travers l’exploitation de fonds d’archives originaux issus de producteurs privés comme institutionnels, l’émergence d’une citadinité à Jérusalem entre 1840 et 1940. Les recherches publiées en 2018 par Leyla Dakhli sur l’organisation du travail à l’imprimerie et par Maria Chiara Rioli sur les impressions de cartes de visite en constituent de premières exploitations.
Le fonds se compose essentiellement de documents comptables (registres des travaux d’impression, de reliure et de fonderie, registres de ventes et d’expédition, listes de salaires), de mémoires et de correspondances – lacunaires –, ainsi que de dossiers thématiques rassemblés par le P. Agostin Arce entre les années 1930 et les années 1970. À ces archives s’ajoutent une centaine de cartons de livres et d’épreuves de l’imprimerie, classés par année et conservés dans la réserve de la bibliothèque du couvent.
Les archives générales de la custodie à Jérusalem fournissent des données complémentaires. S’y ajoutent quelques documents relevant de la Sacrée Congrégation pour la propagation de la foi à Rome ainsi que du centre d’archives diplomatiques de Nantes.
Première partie
Les origines de l’imprimerie franciscaine de Terre sainte
Chapitre premier
L’imprimerie au Proche-Orient, origines et développement
La fondation de l’imprimerie franciscaine doit être replacée dans la chronologie et le panorama étendus de l’histoire de l’imprimerie en langue arabe : objet de nombreux travaux de recherche depuis le début du XXe siècle, celle-ci connaît depuis quelques décennies un renouvellement important de son historiographie, qui met notamment en évidence les initiatives locales et les dynamiques politiques et sociales ayant favorisé le développement de l’industrie éditoriale dans cette région.
L’émergence d’un art typographique arabe (XVIe-XIXe siècle). — Les premiers centres d’impression en langue arabe sont créés en Europe, à la faveur du développement des échanges diplomatiques et culturels entre l’Occident et l’Empire ottoman : d’abord installés auprès des grandes universités pour satisfaire un public de savants orientalistes, l’Église fait ensuite de l’imprimerie un enjeu de son œuvre prosélyte vers l’Orient. L’Italie s’impose comme précurseur dans ce domaine par l’impression du premier ouvrage complet en arabe en 1514 et la fondation de plusieurs imprimeries polyglottes missionnaires, avant d’être concurrencée par d’autres centres européens. L’imprimerie de la Sacrée Congrégation pour la propagation de la foi, créée en 1626, joue alors un rôle essentiel dans la diffusion d’ouvrages en langues orientales, distribués gratuitement auprès des fidèles catholiques du Levant.
Les premières imprimeries au Proche-Orient. — Des initiatives locales aux finalités diverses sont observées dès le XVIIIe siècle : si l’on doit l’impression des premiers livres religieux arabes au Liban (Alep, 1706) à une volonté d’émancipation des Églises orientales face à la tutelle de Rome sur l’écrit, l’adoption de l’imprimerie en Égypte relève d’une vision plus politique avec la fondation de l’Imprimerie nationale de Boulac au Caire en 1822. Jusqu’au XXe siècle, ces deux pays, en particulier le Liban – la protestante American Press s’installe à Beyrouth en 1834 et l’Imprimerie catholique des jésuites l’y rejoint en 1848 –, dominent le paysage éditorial levantin avec la publication d’ouvrages religieux, scientifiques et littéraires ainsi que de périodiques en arabe.
La situation à Jérusalem. — La Cité sainte, ville endormie à en croire ses visiteurs, se réveille au cours du XIXe siècle : devenue la capitale de la province autonome de Palestine, sa population s’accroît tandis que s’y installent des représentations diplomatiques et des institutions missionnaires. Ses quatre premières imprimeries, à savoir les presses arméniennes du couvent Saint-Jacques, fondées en 1833, juives d’Eliezer ben Isaac, en 1841, franciscaines, en 1847, et grecques orthodoxes, en 1853, sont établies au cœur de la Vieille Ville, avant d’être rejointes par d’autres ateliers au fur et à mesure que se font percevoir les effets de l’alphabétisation.
Chapitre II
Les fondations de l’imprimerie franciscaine (1846-1874)
La première fondation de l’imprimerie de Terre sainte. — La custodie de Terre sainte, établie en 1342 pour la conservation des Lieux saints, est depuis le milieu du XVIe siècle l’unique représentante des intérêts de l’Église romaine et de ses fidèles au Levant, avant le rétablissement du patriarcat latin en 1847. L’institution franciscaine encadre directement les paroissiens de Saint-Sauveur mais aussi la majeure partie des catholiques latins de Terre sainte à travers un réseau solide de paroisses, d’écoles et de couvents installés en Palestine, Syrie, Liban, Égypte et à Chypre. Une grande partie de ses activités reposent sur l’assistance aux populations latines les plus défavorisées, auxquelles elle fournit du travail au sein des ateliers du couvent de Jérusalem ainsi qu’une aide matérielle grâce aux offrandes récoltées par les commissariats de Terre sainte à travers le monde. En janvier 1846, le rapport d’une délégation dépêchée en Terre sainte par le P. Matzek, commissaire de Vienne, met en évidence la nécessité urgente d’une imprimerie pour répondre aux demandes des écoles et des paroisses. On expédie de Vienne à Jérusalem une presse et du matériel typographique, offerts par l’Imprimerie impériale, ainsi que des religieux autrichiens préalablement instruits. Le P. Sebastian Frötschner, premier directeur de l’imprimerie, arrive à Saint-Sauveur en août 1846 : six mois plus tard, l’atelier est en mesure de tirer ses premiers feuillets, avant la parution de son premier ouvrage, une Doctrine chrétienne de Bellarmin en italien et arabe. Les dix années suivantes représentent une période cruciale dans la composition du corpus de l’imprimerie, qui publie alors des catéchismes, des grammaires, des livres de liturgie et de dévotion notamment des œuvres de saint Alphonse de Liguori en arabe – dont certains titres sont édités tout au long du XXe siècle.
La refondation franciscaine au tournant des années 1870. — Les deux premières décennies de l’imprimerie, temps de croissance et de perfectionnement, se déroulent sous un patronage autrichien très marqué, s’incarnant par des subventions importantes de la part de Vienne, par l’envoi régulier de matériel et par la fidélité à la puissance impériale de certains directeurs de l’atelier, parmi lesquels le P. Heribert Witsch. Progressivement, les rivalités entre le patriarcat latin et la custodie ainsi que le caractère peu rentable de l’imprimerie rencontrent l’évolution de la politique missionnaire autrichienne qui préfère se concentrer sur ses propres œuvres en Terre sainte. La suppression de l’allocation annuelle de Vienne à l’atelier en 1865, suivie du don de l’imprimerie à la congrégation de la Propagande, qui désire la confier au patriarche, génèrent de grandes tensions quant à sa propriété. Après de nombreux débats où s’illustre le père franciscain Remigio Buselli, l’imprimerie est définitivement confiée à la custodie en septembre 1874, ce qui lui confère une certaine autonomie face aux tutelles extérieures.
Deuxième partie
« Un royaume de papier » : à la découverte de l’imprimerie
Chapitre premier
Les hommes de l’imprimerie
Panorama des acteurs de l’imprimerie. — L’imprimerie, « officine qui sert de modèle à toutes les autres » à Saint-Sauveur, fait preuve d’une organisation hiérarchique très marquée. Le directeur, un père franciscain chargé de la gestion des ressources et de l’expertise des réalisations, mais dont la formation professionnelle et les compétences sont variables, a recours à des assistants religieux et des ouvriers expérimentés pour l’encadrement direct du travail. Les quelques hommes placés aux échelons intermédiaires se trouvent confrontés à une masse de salariés très importante – pas moins de deux cent cinquante individus entre 1915 et 1969 – et fréquemment renouvelée, répartie dans les secteurs de l’imprimerie, de la composition, de la reliure et de la fonderie. Figure méconnue et pourtant essentielle dans le cadre d’une production polyglotte, le correcteur des épreuves occupe une place à part dans cette organisation.
Visages d’ouvriers. — L’imprimerie, forte de sa dimension charitable, recrute ses travailleurs au sein de la communauté paroissiale de Jérusalem, parmi lesquels un très grand nombre de jeunes issus des orphelinats de Terre sainte : entrés dans l’atelier comme apprentis dès leur adolescence, ils bénéficient d’une formation manuelle permettant à quelques-uns, avec des fortunes diverses, d’exercer par la suite leur métier à Saint-Sauveur ou ailleurs. Si la mobilité professionnelle et physique est importante, la durée du parcours de certains ouvriers dans l’atelier est remarquable. La diversité des figures, aux âges, compétences et nationalités différentes, ne fait cependant pas obstacle à une certaine familiarité et à la constitution d’un groupe à l’identité marquée.
Vivre et travailler ensemble. — Le rythme de production de l’imprimerie suit le calendrier scolaire, mais le travail s’organise au quotidien en fonction du temps religieux, suivant les obligations conventuelles. La mission de bienfaisance de l’atelier se traduit par un encadrement rigoureux des ouvriers, aussi bien d’un point de vue professionnel que moral et spirituel, mais aussi par une bienveillance prenant la forme de cadeaux ou d’aides pour les travailleurs les plus précaires. L’importance de ces traditions décroît cependant au fil des décennies, dans le contexte d’uniformisation des officines franciscaines et de modernisation de l’entreprise.
Chapitre II
Lieux et ressources matérielles
En un siècle, les méthodes de fabrication du livre connaissent d’intenses transformations, quittant définitivement la sphère de l’artisanat au cours du XIXe siècle pour entrer dans l’ère industrielle. Ce passage s’observe aussi dans une certaine mesure à Saint-Sauveur. Les locaux de l’atelier sont à plusieurs reprises agrandis et rationalisés avec la création de sections de travail et d’espaces de rangement dédiés, aménagements effectués dans un souci d’efficacité, de surveillance de la production et surtout d’adaptation aux machines de plus en plus encombrantes et exigeantes. L’équipement de l’imprimerie retrace dans sa diversité les étapes de l’automatisation de la production livresque, depuis la petite presse à bras de 1847 jusqu’aux imposantes presses offset des années 1970, en passant par une gamme élargie de machines importées d’Occident qui asseyent son image performante à Jérusalem.
L’équilibre précaire entre la recherche d’autonomie et la dépendance inévitable aux ressources extérieures s’illustre à la fonderie de caractères. Installée dès 1854, celle-ci produit des lettres et symboles dans des alphabets et polices variés, pour son propre usage et celui d’autres ateliers de la région, jusqu’à sa disparition après 1917. Toutefois l’imprimerie ne cesse tout au long de la période de se procurer certaines matrices auprès des imprimeries de Beyrouth, voire en Europe. La documentation sur l’approvisionnement en matières premières, question particulièrement cruciale, fait étonnamment défaut, limitant de fait la possibilité d’une histoire chiffrée de ces biens de consommation. Néanmoins, il apparaît clairement que les Franciscains font plus fréquemment appel au réseau des commissariats de Terre sainte européens qu’à des fournisseurs locaux.
Troisième partie
Cent vingt ans en Palestine : l’imprimerie à travers les époques
Chapitre premier
Imprimer à Jérusalem à la fin de l’Empire ottoman
L’imprimerie de Terre sainte, au-delà de son identité franciscaine et missionnaire, s’insère dans des échanges commerciaux étroits avec Jérusalem et la région palestinienne. La réalisation de travaux divers pour le siècle, en plus de constituer une source de revenus vitale à la pérennité de l’entreprise, en fait un témoin privilégié des transformations sociales et politiques au Proche-Orient.
Une fenêtre sur la Ville sainte en mutation. — La production de l’imprimerie avant la première guerre mondiale témoigne d’un fourmillement nouveau dans Jérusalem et ses environs, particulièrement visible dans les années 1890. Il s’agit en effet d’une période de croissance économique importante, due à l’arrivée en nombre d’étrangers et de capitaux ainsi qu’au développement du commerce, du tourisme religieux et, dans une moindre mesure, de certaines industries. L’atelier, idéalement situé au cœur du quartier chrétien et à proximité des axes marchands, consacre une partie croissante de ses efforts à la réalisation de travaux pour une clientèle très variée : loin d’être cantonnée à la seule communauté catholique latine, cette dernière inclut au contraire des figures issues de différents groupes nationaux, confessionnels et sociaux, dans un brassage bien plus important que ne le laisse supposer le découpage traditionnel de la cité.
Un marché du livre et de l’imprimé en pleine croissance ? — Si la généralisation de l’écrit dans la société et la hausse des ventes d’ouvrages sont bien réelles par rapport au milieu du XIXe siècle, il serait abusif de dire que le livre est devenu un objet fréquent en Palestine au-delà des cercles scolaires. L’imprimerie continue de distribuer gratuitement les livres bien plus qu’elle ne les vend, même si elle trouve de nouveaux relais de diffusion dans les magasins de souvenirs qui commercialisent désormais des livrets et des guides touristiques. Les seules ventes de livres franciscains ne suffisent d’ailleurs pas pour estimer la place du livre : les nombreux travaux de reliure ainsi que les échanges fréquents avec les autres imprimeries et relieurs de Jérusalem attestent la vitalité du lectorat et de l’édition.
Des relations à l’équilibre précaire : l’imprimerie et les autorités civiles. — Les rapports de l’atelier avec les différentes puissances politiques s’inscrivent en outre dans un équilibre précaire au cours de ce XIXe siècle finissant. Se mettant au service des représentations diplomatiques siégeant dans la Ville sainte, qui la protègent occasionnellement, l’imprimerie s’avère aussi être pourvoyeuse d’imprimés pour les instances locales du gouvernement ottoman, représentées à Jérusalem par le pacha et la nouvelle municipalité et en pleine modernisation administrative et matérielle. La pérennité de l’atelier se trouve dès lors corrélée à une subtile gymnastique diplomatique, entre collaboration et répression.
Chapitre II
L’imprimerie entre guerres et paix, 1915-1969
D’un régime à un autre : la première guerre mondiale et la mise en place du mandat britannique (1915-1925). — L’occupation de Saint-Sauveur et la confiscation de ses équipements et ressources par l’armée ottomane dès l’automne 1915, ainsi que la fermeture des écoles et l’expulsion des religieux étrangers, entraînent le ralentissement puis l’arrêt de la production de l’imprimerie. Avec l’arrivée des troupes du général Allenby en décembre 1917, les Franciscains reprennent le contrôle de leurs établissements : l’imprimerie, préservée des destructions, est dès alors mise à profit par les Britanniques. L’atelier tient désormais lieu d’imprimerie officielle pour les nouveaux dirigeants – l’Occupied Enemy Territory Administration (OETA) South, puis l’administration du mandat sur la Palestine –, auxquels il fournit jusqu’au milieu des années 1920 l’essentiel de leurs documents à usage interne et à destination des populations locales.
Anciennes figures, nouveaux usages : permanences et évolutions de la clientèle (1920-1969). — Au cours de cette période, le profil général de la clientèle n’évolue guère : les religieux restent les principaux consommateurs d’imprimés et de livres, auxquels s’ajoutent un nombre conséquent de séculiers et d’institutions civiles et diplomatiques. Cependant le recours à l’imprimerie, par rapport aux autres installations typographiques locales, n’est plus aussi systématique qu’avant-guerre. Le contexte particulier de la seconde guerre mondiale – durant laquelle les presses franciscaines continuent de fonctionner –, ainsi que des deux conflits arabo-israéliens, contribue à restreindre les activités de l’atelier à la sphère éditoriale.
Un réseau en extension. — À mesure que le catalogue proposé par l’imprimerie s’enrichit de nouveaux titres, le nombre de ses contacts au-delà de la communauté franciscaine s’accroît : l’atelier entretient alors des relations commerciales de plus en plus soutenues avec des librairies, des bibliothèques et des établissements universitaires installés sur le territoire palestinien, en Égypte, mais aussi à travers le monde, tout en se dotant de nouveaux locaux dédiés à la vente.
Quatrième partie
De l’imprimerie missionnaire à la maison d’édition
Chapitre premier
Instruire les hommes, conduire les fidèles : les livres de la mission
Le livre religieux, un bien pour tous. — Si l’objectif premier de l’imprimerie est de fournir des ouvrages à un public scolaire, les livres religieux – c’est-à-dire d’enseignement de la doctrine catholique latine, de dévotion et de spiritualité – sont utiles à l’ensemble des fidèles de Terre sainte. Ces publications laissent apparaître au fil des décennies plusieurs titres dédiés à la connaissance des Écritures, à un moment où la Bible est moins lue dans son intégralité que sous forme d’extraits et de résumés, et aux dévotions personnelle et collective, dans un catalogue puisant dans les grands classiques de la devotio moderna et de la littérature missionnaire. Certains ouvrages sont cependant conçus à l’intérieur même de la custodie, grâce à des textes rédigés par des Franciscains et des laïcs à l’intention des croyants orientaux.
Apprendre et enseigner : une production tournée vers les écoles. — Alors que l’offre scolaire s’enrichit, les Franciscains conçoivent de nombreux manuels pour les établissements de Terre sainte et missionnaires. Correspondant à la gamme des enseignements dispensés par les écoles et les collèges les plus élitistes, ces livres mettent l’accent sur l’apprentissage des langues, en particulier de l’italien et du français et plus tard de l’anglais, concomitamment à l’arabe. Les dictionnaires, grammaires et vocabulaires, surtout en italien et arabe, font l’objet d’une demande soutenue au-delà du seul cadre missionnaire à mesure que la présence occidentale en Orient se fait plus prégnante.
L’imprimerie au service de la communauté catholique. — Qu’il s’agisse des besoins de la custodie – grande consommatrice de livres qu’elle distribue gratuitement aux fidèles – ou des autres institutions religieuses (patriarcat latin, congrégations), l’atelier est amené à imprimer, éditer et vendre des ouvrages et fascicules nécessaires à l’animation de la vie pastorale. Dans cet ensemble, les pèlerins de tous horizons requièrent des produits spécifiques.
Chapitre II
Montrer la Terre sainte
Illustration et défense de la Terre sainte. — La custodie, qui dispose dans ses rangs d’auteurs prolifiques, s’empare rapidement du medium de l’imprimerie pour valoriser sa mission, qu’il s’agisse de revendiquer ses prérogatives sur les Lieux saints ou de rappeler les épisodes marquants de son histoire. À des ouvrages et mémoires d’une diffusion presque confidentielle s’ajoute un objet éditorial relativement nouveau et bien plus populaire, le guide touristique : en 1869, le Guide indicateur du Fr. Liévin de Hamme débute avec beaucoup de succès une liste fournie d’ouvrages accompagnant la découverte de la « patrie du Christ ».
La recherche scientifique au cœur de l’édition franciscaine. — Le processus de développement de l’archéologie et, plus généralement, des sciences bibliques en Palestine dès le milieu du XIXe siècle aboutit pour la custodie à la fondation en 1924 de l’Institut biblique franciscain (Studium biblicum franciscanum) sous l’impulsion du R. P. Ferdinando Diotallevi. La figure du savant religieux solitaire qui caractérisait les grandes plumes franciscaines du début du XXe siècle parmi lesquels les PP. Golubovich, Meistermann et Cheneau – laisse alors la place à un ensemble de professeurs et d’élèves très actifs, dont les travaux pointus constituent à partir des années 1940 l’essentiel des ouvrages publiés par l’imprimerie.
La revue « La Terre sainte » (1921-1969). — Après plusieurs tentatives infructueuses, la custodie se dote de son propre périodique, La Terre sainte, mensuel publié en italien, français et arabe à partir de janvier 1921 ; malgré des tirages toujours modestes, elle est diffusée à travers le monde à l’attention de la communauté franciscaine et surtout des pèlerins. À la fois revue de piété populaire, de vulgarisation historique et exégétique, et de promotion des œuvres de la custodie, elle offre aussi un témoignage original des évolutions sociales, économiques et politiques à Jérusalem durant la période mandataire.
Conclusion
En 1969, l’imprimerie présente un visage radicalement différent de celui de ses débuts : tout au long de son existence elle a su s’adapter aux nouvelles techniques d’impression et de production du livre, qu’elle déploie au travers d’une ligne éditoriale renouvelée. Les suites de la seconde guerre mondiale voient en effet la fin du modèle missionnaire, déjà affaibli auparavant, face au développement d’un système scolaire public qui prend le relais des écoles de Terre sainte ; délaissant alors son catalogue traditionnel d’ouvrages, l’imprimerie se concentre désormais sur des publications au caractère scientifique plus marqué et s’intègre aisément dans un paysage éditorial devenu foisonnant, comme l’atteste sa participation aux différentes foires internationales du livre à Jérusalem dans les années 1970. Devenue une maison d’édition à part entière, sous le nom de Franciscan Printing Press, l’atelier n’oublie cependant pas son histoire : les multiples photographies de l’atelier, les articles à son sujet, l’exposition qui lui est consacrée en 1974, tout comme le matériel typographique conservé et en partie réinstallé dans les salles du couvent Saint-Sauveur, témoignent de l’extrême attachement des Franciscains pour ce qui avait été qualifié, cent ans auparavant, de leur « plus bel ornement ».
Pièces justificatives
Journal des directeurs de l’imprimerie (1879-1899). — Mémorandum du P. Henri Kurtzmann (1918). — Inventaire de l’équipement de l’imprimerie (1950).
Annexes
Tableaux et graphiques relatifs aux finances de l’imprimerie et à la distribution de ses ouvrages. — Liste d’imprimeurs, relieurs et libraires (1888-1969). — Carte des couvents, paroisses et établissements de la custodie de Terre sainte (1899). — Plan du couvent Saint-Sauveur de Jérusalem (années 1960). — Carte des envois de livres dans les établissements de Terre sainte (1848-1867). — Carte des principales institutions chrétiennes de Jérusalem (1971). — Illustrations. — Index des noms propres.