Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Le retour des capucins à Constantinople et la refondation de la mission
- Chapitre premier
- L’arrivée des capucins français à Péra
- Chapitre II
- « Du gouvernement de nos missions »
- Chapitre III
- Les hommes de Saint-Louis
- Deuxième partie
- Le couvent de Saint-Louis et ses œuvres
- Chapitre premier
- Péra et l’Empire ottoman : les capucins et leur terre de mission
- Chapitre II
- Saint-Louis, paroisse française de Péra
- Chapitre III
- Kadiköy et la collaboration avec d’autres congrégations : de nouvelles perspectives missionnaires
- Troisième partie
- La chapelle du Palais de France
- Chapitre premier
- Capucins et diplomates : les limites d’un paradoxal partenariat de nationalité
- Chapitre II
- L’élaboration et la réalisation du protectorat, entre le Palais et sa chapelle
- Chapitre III
- La question d’Orient vue depuis le cœur de l’Empire
- Quatrième partie
- Le séminaire oriental et ses élèves
- Chapitre premier
- Le grand projet des capucins : un collège apostolique à Péra
- Chapitre II
- Le séminaire oriental de Péra
- Chapitre III
- Les élèves de Saint-Louis
- Conclusion
- Pièces justificatives
Introduction
Saint-Louis de Péra, couvent fondé à Constantinople par des Capucins français au XVIIe siècle, avait été confié aux Italiens après la Révolution. Le retour des Capucins français à Saint-Louis en 1881 se fit avec la bénédiction du ministère des Affaires étrangères et de la congrégation de la Propagande à Rome, qui voyaient dans cette œuvre un instrument efficace pour contribuer à leurs politiques respectives. Le Quai d’Orsay souhaitait affermir le protectorat français sur les intérêts catholiques en Orient en réinstallant des aumôniers français à Saint-Louis, chapelle de l’ambassade près la Sublime Porte. À Rome, le gouvernement pontifical comptait faire du couvent un collège de rites, destiné à former des catholiques orientaux pour mettre en œuvre le projet d’« union des Églises » que portait Léon XIII et qui consistait en une restauration de la dignité des Églises catholiques orientales afin de gagner par elles les communautés orthodoxes d’Orient au catholicisme. Les deux programmes avaient pour point commun d’être bien plus présents en Occident, en tant que discours véhiculés dans l’opinion et la diplomatie, qu’en Orient où leur réalisation avait souvent une incidence restreinte. L’étude de l’œuvre de Saint-Louis permet d’aborder la mise en action de ces programmes, ainsi que la difficulté pour les missionnaires de les conjuguer avec les réalités du terrain et avec leurs propres aspirations.
Sources
Les principales sources pour l’histoire de Saint-Louis sont les archives de la province des Capucins de Paris, ainsi que les archives rapatriées du couvent, réunies à la bibliothèque franciscaine des Capucins à Paris. Un intérêt tout particulier a été porté aux Chroniques de Saint-Louis qu’a tenues le père Marcel, supérieur du couvent, entre 1881 et 1897, et qui constituent la source principale de la présente recherche. Ces lectures ont été complétées par la consultation des archives de la diplomatie française à La Courneuve et à Nantes, ainsi que les fonds de la Propagande à Rome. Les archives des Capucins du Liban à Mtayleb, ainsi que celles des Lazaristes à Paris ont également fait l’objet de recherches ponctuelles.
Première partie
Le retour des capucins à Constantinople et la refondation de la mission
Chapitre premier
L’arrivée des capucins français à Péra
Les conditions d’un retour après cinquante années d’absence. — Les Capucins de France, qui avaient abandonné leurs missions d’Orient au début du XIXe siècle, faute de main d’œuvre, connurent un dynamisme important à partir du deuxième tiers du siècle. La première expulsion des congrégations non autorisées, en 1880, les poussa par ailleurs à trouver hors de France des lieux où maintenir ce dynamisme. En outre, l’incident créa une forte tension entre Paris et le Vatican : les Capucins bénéficièrent dans leur projet des efforts engagés de part et d’autre afin de désamorcer la crise.
1873-1880 : maturation du projet de retour à Constantinople. — Les premières études historiques des missions françaises, souvent rédigées par des religieux comme le père Piolet ou le père Hilaire de Barenton, considéraient que l’ambassade de France à Constantinople avait été à l’initiative du rappel des Capucins français. Une telle manière de voir permettait d’accentuer la légitimité de ce retour, mais en réalité, le rétablissement des missions d’Orient était un ancien projet de la province des Capucins de Paris, qui mûrit particulièrement durant la décennie 1870, avec un soutien diplomatique certain, mais moins décisif qu’on ne l’a cru.
1880-1882 : l’installation définitive. — Le retour des religieux français aux dépens des Italiens fut favorisé par la nécessité pressante de fonder un nouveau noviciat capucin français après les expulsions. Le provincial de Paris sut jouer de cet argument pour faire pencher le gouvernement général de l’ordre, qui était hostile à la reprise de Saint-Louis à ses religieux italiens. Le retour des Français s’accompagna d’une lutte acharnée autour du couvent, mettant en lumière les rivalités qui pouvaient opposer deux branches étrangères d’une même congrégation internationale, à l’heure des impérialismes naissants.
Chapitre II
« Du gouvernement de nos missions »
La difficile cohabitation de plusieurs hiérarchies. — Les Capucins de Saint-Louis eurent à manœuvrer entre les autorités de leur ordre pour la discipline et celles de la Propagande pour le ministère. Cette organisation fut à l’origine de nombreux conflits entre les différents protagonistes, mais le supérieur de Saint-Louis sut aussi l’exploiter pour conserver son indépendance, faisant jouer une autorité contre l’autre lorsque l’autonomie de la mission était menacée.
Les coutumes de Saint-Louis. — La question de l’observance permet d’étudier le rapport des frères à leur règle et à leur apostolat. Les contraintes de la mission poussaient le supérieur du couvent à moduler les pratiques régulières, ce qui conduisait les frères de Saint-Louis à questionner la nature de leur statut, à mi-chemin entre les idéaux monastiques et missionnaires. Cependant, ils maintenaient une exigence régulière importante, parce qu’ils jugeaient que l’un des défauts de la pratique traditionnelle de la mission était son manque de discipline, qui lui faisait perdre de son prestige aux yeux des Orientaux dont on avait justement coutume de blâmer l’indiscipline. L’observance des frères de Saint-Louis avait pour but de promouvoir le « modèle français » par l’exemple.
Les finances de la mission. — L’étude des dépenses et des recettes régulières, ainsi que celle du financement des grands travaux, permet de montrer que le couvent ne dépendait pas que des autorités ecclésiastiques précédemment citées : le soutien financier de l’ambassade et des associations françaises telles que l’Œuvre de la propagation de la foi nécessitait des compensations qui obligeaient la mission à leur égard.
Chapitre III
Les hommes de Saint-Louis
Le père Marcel de Montaillé, supérieur de 1881 à 1901. — Alphonse Plais (1831-1901), en religion Marcel de Montaillé, fut le premier supérieur de Saint-Louis à partir du retour des Français en 1881 et il joua un rôle décisif dans la mise en place des œuvres du couvent, notamment le séminaire apostolique. Sa correspondance ainsi que les journaux qu’il tint durant les vingt années de son supériorat constituent des sources essentielles pour l’histoire de la mission des Capucins.
Les frères de Saint-Louis. — Ce sont les régions où le catholicisme conservait une implantation profonde à la fin du siècle qui contribuaient le plus au recrutement des missionnaires. Lors de celui-ci, l’exigence était placée plutôt sur les diplômes scolaires et universitaires ainsi que les compétences d’enseignants, que sur des aptitudes et des dispositions spécifiques à la mission.
Être missionnaire à Péra à la fin du XIXe siècle. — La vie quotidienne des pères était organisée pour s’adapter aux contraintes liées à l’apostolat urbain, obligeant les missionnaires à être également des animateurs de paroisses et des chargés d’âmes. La perspective de ce nouveau modèle sacerdotal et apostolique né au XIXe siècle est nécessaire pour envisager le rapport des Capucins à leur œuvre et à leur terre de mission.
Deuxième partie
Le couvent de Saint-Louis et ses œuvres
Chapitre premier
Péra et l’Empire ottoman : les capucins et leur terre de mission
Péra et Constantinople, terre de mission des Capucins. — Les Capucins œuvraient à Péra dans un milieu spécifique, qui différait radicalement des espaces où la pratique missionnaire est mieux documentée, comme la Syrie, l’Égypte ou l’Anatolie. Saint-Louis était en effet placé au cœur du quartier européen de la capitale et l’action des religieux se situait dans un environnement principalement latin et catholique, ce qui conduit à remettre en question la notion de « mission ». Les pères de Saint-Louis pratiquaient une « mission de conservation » auprès des habitants du quartier, dans le cadre de leur apostolat paroissial, et envisageaient également une « mission de conquête » en direction des orthodoxes, par l’intermédiaire de leur collège.
Une Constantinople imaginaire : représentations de la ville dans l’économie missionnaire de Saint-Louis. — Le regard des Occidentaux sur les villes orientales en général et la capitale de l’Empire en particulier était influencé par un certain nombre de mythes et de fantasmes que l’on retrouve aussi dans le regard des Capucins. Cependant, ces idées reçues étaient parfois réutilisées sciemment par les religieux afin de conforter et d’enrichir leur discours sur le sens de leur présence à Constantinople. Ils y voyaient ainsi à la fois une nouvelle Babylone, terrain de mission par excellence des frères Mineurs habitués de l’apostolat urbain, et la Seconde Rome que la ville avait été au temps des premiers conciles et qu’elle était appelée à redevenir dans le catholicisme uni rêvé par Léon XIII.
Chapitre II
Saint-Louis, paroisse française de Péra
Les paroissiens de Saint-Louis. — Le couvent était situé dans un quartier déjà densément quadrillé par les paroisses du diocèse latin de Constantinople et par celles qui gravitaient autour des couvents franciscains italiens de Péra. Pour réunir une paroisse auprès de leur église, les Capucins durent concevoir une communauté dépourvue de cohérence territoriale. Aidés par le délégué et par leur statut de chapelains des ambassadeurs, ils tendirent donc à fonder un « centre français » et à attirer auprès d’eux les notables francophones de la ville.
Organisation du culte et encadrement spirituel des paroissiens. — Les célébrations à Saint-Louis étaient le moment où cette paroisse francophone prenait corps et les Capucins profitaient de ces temps forts pour associer à l’eucharistie leur œuvre pastorale : auprès de la communauté réunie pour la messe, ils prodiguaient les sacrements, organisaient des confréries et enseignaient par le biais des prédications et des catéchismes.
Les Capucins et les œuvres féminines. — En 1886, les religieux appelèrent à Constantinople des sœurs garde-malades, les Franciscaines de Calais. De cette collaboration, fondée concrètement sur l’assistance apportée par les sœurs à l’entretien du séminaire Saint-Louis, naquirent des perspectives missionnaires nouvelles : ces religieuses furent les premières garde-malades établies durablement à Constantinople et leur congrégation, à la suite de cette initiative, connut un dynamisme missionnaire considérable.
Chapitre III
Kadiköy et la collaboration avec d’autres congrégations : de nouvelles perspectives missionnaires
La collaboration entre Lasalliens et Capucins. — L’un des arguments du retour des Capucins à Constantinople en 1881 était la demande d’aumôniers français formulée par les Lasalliens du pensionnat Saint-Joseph à Kadiköy. Les religieux fondèrent donc une petite station vouée à accueillir quelques pères affectés à la formation spirituelle des élèves du pensionnat.
Les Capucins à Kadiköy. — L’aumônerie proprement dite comptait trois ou quatre capucins. Ils y déployaient une activité missionnaire radicalement différente de celle de Saint-Louis, dans une terre de mission où le clergé catholique n’avait que très peu pénétré. L’aumônerie Saint-Jean-Chrysostome prenait donc en charge, outre le service religieux à l’internat des Lasalliens, une partie de l’animation paroissiale de Kadiköy et se confrontait à une vraie mission de « conquête ».
« Il n’y a pas assez d’unité en cette armée de combattants ». — La collaboration fructueuse entre Capucins et frères des Écoles chrétiennes était valorisée dans le discours tenu par les religieux de Saint-Louis sur l’importance de l’unité d’action que devaient manifester les missionnaires latins pour parvenir à quelque résultat en Orient. Cependant, au-delà de ce discours, il existait entre les missions de puissantes solidarités nationales auxquelles n’échappaient pas les Capucins, qui se montraient souvent très proches des autres établissements français et hostiles aux missionnaires étrangers.
Troisième partie
La chapelle du Palais de France
Chapitre premier
Capucins et diplomates : les limites d’un paradoxal partenariat de nationalité
Une église enchaînée à la République. — Capucins et ambassadeurs durent cohabiter dans un espace confiné, dans la mesure où la proximité du couvent et du Palais de France favorisait une interpénétration problématique à l’heure de la montée de l’anticléricalisme républicain. Les deux institutions surent toutefois développer des formes de collaboration fondées sur une entente territoriale fragile : les Capucins parvinrent temporairement à faire reconnaître le couvent et l’église comme leur propriété exclusive, ce qui permit de garder le Palais à distance jusqu’au début du XXe siècle.
Les limites d’une convergence fondée sur des intérêts contradictoires. — Saint-Louis était la chapelle consulaire des ministres français près la Porte ottomane. Les relations entre Capucins et diplomates, héritées d’une tradition d’Ancien Régime, se renouvelèrent au XIXe siècle grâce à la collusion d’intérêts à court et moyen terme, tels que la diffusion de la langue et de la culture françaises en Orient. Ces intérêts permirent aux missionnaires en général, et aux Capucins de Saint-Louis en particulier, d’obtenir du Quai d’Orsay des avantages importants. Toutefois, le partenariat ainsi défini avait aussi ses contraintes pour les religieux et apparut bientôt voué à l’échec sur le long terme, tant les idéaux des deux parties semblaient irréconciliables.
Cinq ambassadeurs scrutés par leurs chapelains. — Les archives des Capucins constituent une source originale pour l’étude du Palais de France à Constantinople à la fin du XIXe siècle. Du portrait des cinq ambassadeurs qui s’y succédèrent, il est possible de déduire la figure archétypale du « bon diplomate » aux yeux des Capucins, fondée sur l’appartenance à un milieu aisé et cultivé, mais surtout sur des vertus associées par essence à la pratique diplomatique, telles que la loyauté et la rectitude. Les ambassadeurs successifs peuvent être répartis en deux groupes : trois héritiers de la diplomatie impériale, fondant leur action sur une politique de mise en scène de la présence française, furent suivis de deux représentants de la pratique républicaine, privilégiant une approche plus concrète et plus performante.
Chapitre II
L’élaboration et la réalisation du protectorat, entre le Palais et sa chapelle
Traditions anciennes et législations récentes. — Il convient de donner une définition à l’expression « protectorat français en Orient » fréquemment utilisée dans les sources. Il s’agit en grande partie d’une construction historique échafaudée au cours du XIXe siècle pour justifier un droit d’ingérence accordé par l’Empire ottoman à la France pour les questions touchant aux catholiques latins en Orient. Ce privilège prit une importance renouvelée à l’heure des concurrences impérialistes européennes et, au moment où le protectorat français apparaissait affaibli par les offensives étrangères contre lui, il connut en réalité une forme d’âge d’or qui contribua à une diffusion importante de la langue et de la culture françaises dans l’Empire.
Constantinople, lieu privilégié des manifestations de la mission religieuse française. — Les Capucins furent les témoins des manifestations du protectorat dans l’un de ses « espaces sacrés ». À Constantinople résidait en effet une grande partie des hiérarchies ecclésiastiques latines et orientales de l’Empire et la vitalité des privilèges français dépendait largement de la capacité de la diplomatie à mettre en scène son protectorat devant ces autorités religieuses. Les archives de Saint-Louis donnent ainsi à voir la réalisation quotidienne du protectorat, fondée sur des actions ponctuelles dont savaient profiter les religieux. L’ambassade sut tirer parti de l’ouverture de Saint-Louis aux catholiques indigènes pour doubler son protectorat institutionnel sur les latins d’une action discrète auprès des catholiques orientaux, sujets ottomans, dans le cadre d’une politique officieuse baptisée « patronat sur les Églises orientales ».
Aumôniers des protecteurs du catholicisme en Orient. — Saint-Louis jouait un rôle important dans le dispositif du protectorat français, en tant que chapelle de l’ambassade : c’est là que les diplomates républicains orchestraient la représentation de leur statut de protecteurs des catholiques, en recevant des honneurs liturgiques qui leur étaient réservés.
Chapitre III
La question d’Orient vue depuis le cœur de l’Empire
Péra, théâtre de la diplomatie des puissances. — Les Capucins résidaient au milieu des différentes légations européennes où se jouait la Question d’Orient. Ils en percevaient les échos par plusieurs canaux, notamment celui de la presse francophone, mais aussi grâce aux confidences des diplomates français. Leur vision de l’actualité politique de la région révèle que les craintes du Quai d’Orsay concernant l’état de l’« homme malade de l’Europe » avaient tendance à alimenter des fantasmes repris dans l’opinion publique, tels que la crainte du panislamisme, des complots des confréries musulmanes ou encore d’une guerre sainte prêchée par le sultan-calife.
Deux décennies cruciales pour le sort de l’Empire vues depuis les archives des Capucins. — Les deux décennies étudiées furent marquées par trois crises diplomatiques majeures. Deux de ces crises concernaient l’Europe du Sud-Est : il s’agit de la guerre serbo-bulgare et de l’insurrection de Crète. Ces évènements firent l’objet de l’attention des frères de Saint-Louis, qui avaient surtout un intérêt particulier pour la Bulgarie : la congrégation de la Propagande cherchait à affermir le catholicisme bulgare et les Capucins prirent part à ces projets sous l’égide de Mgr Menini, archevêque capucin de Philippopoli.
La question arménienne. — La troisième de ces crises eut lieu entre 1894 et 1896, période dite des « massacres hamidiens ». Les frères de Saint-Louis, isolés dans le quartier européen, n’eurent qu’une vision déformée des tueries qui dévastèrent les communautés arméniennes de l’Empire. Les Capucins d’Anatolie, au contraire, se trouvèrent au cœur des massacres et apportèrent leur soutien aux autorités consulaires françaises qui tentèrent de protéger les populations. La comparaison entre ces différentes manières d’appréhender la crise permet de mettre en évidence le poids des propagandes et des discours contradictoires qui altérèrent profondément la manière dont fut perçue la question arménienne.
Quatrième partie
Le séminaire oriental et ses élèves
Chapitre premier
Le grand projet des capucins : un collège apostolique à Péra
Les Capucins, la mission et l’enseignement. — La congrégation des frères Mineurs capucins n’avait pas de vocation traditionnelle à l’enseignement, particulièrement dans son histoire missionnaire, et de nombreux ordres enseignants avaient déjà développé leur réseau d’écoles au sein de l’Empire ottoman. Toutefois, les Capucins constatèrent l’importance de l’éducation comme prélude à la mission, et développèrent un discours qui faisait de l’instruction une première conversion et qui conduisit donc à la création de nombreux établissements scolaires. Par ailleurs, fonder une école permettait de demander à des œuvres comme les Écoles d’Orient et au Quai d’Orsay des subventions annuelles, qui assuraient la stabilité financière des missions.
Collège apostolique ou séminaire oriental ? — Une fois arrêtée la décision de fonder un établissement d’enseignement à Saint-Louis, il fallut en déterminer la nature. Il y avait déjà à Constantinople un grand nombre d’écoles tenues par les missionnaires et les clergés locaux et les Capucins choisirent une direction originale, en fondant un collège apostolique, c’est-à-dire un petit séminaire destiné à former un clergé indigène dans son rite propre. Au fur et à mesure que mûrit la pensée des frères quant à leur œuvre et que se développa matériellement le collège, celui-ci tendit à s’agrandir pour devenir un établissement réunissant petit et grand séminaires.
Les modèles d’enseignement. — L’enseignement était en grande partie inspiré du modèle sulpicien du petit séminaire de Paris, modèle qui avait joué un rôle important dans la formation de la plupart des Capucins. Toutefois, les spécificités de l’œuvre, destinée à former des missionnaires et des clercs instruits et capables à leur tour de fonder des écoles et d’enseigner, conduisirent les frères à compléter ce modèle par des formes d’enseignement plus dynamiques et plus éclectiques.
Chapitre II
Le séminaire oriental de Péra
Une tête de pont de l’orientalisme romain ? — Le séminaire de Saint-Louis faisait partie d’un ensemble de fondations datant de la fin des années 1870 et du début des années 1880, toutes destinées à la formation d’un clergé oriental appelé à conserver son rite et ses coutumes afin qu’il pût prendre lui-même en charge la mission catholique auprès des orthodoxes. Cette conception renouvelée de la mission au sein de l’Empire ottoman était portée par Léon XIII, selon la maxime « régénérer l’Orient par l’Orient ». Le pape développa une activité importante, surtout dans les années 1890, en direction des chrétiens orientaux, dans le but de faire revenir à Rome les Églises orthodoxes d’Orient, tout en leur garantissant la conservation de leur rite et de leurs traditions. Cependant les initiatives missionnaires individuelles telles que Saint-Louis précédèrent et anticipèrent bien souvent l’unionisme dans sa forme romaine et les perspectives du pape, de la Propagande et des congrégations dans ce domaine ne coïncidaient pas systématiquement.
Fonder une école, bâtir un séminaire. — Une fois défini le projet de séminaire oriental, il fallut le réaliser concrètement, financer et construire ses locaux, et surtout lui donner une place à Constantinople et dans l’Empire, en mettant en scène ses réussites pour lui forger une réputation d’excellence.
Une éducation mixte : conjuguer les langues, les rites et les spiritualités. — L’enseignement des rites orientaux et des langues locales était un enjeu problématique à Saint-Louis dans la mesure où il apparaissait fondamental aux Capucins que leurs séminaristes fussent en mesure d’incarner auprès des communautés qu’ils auraient à convertir le prestige du catholicisme oriental favorisé par Rome, qui en reconnaissait et légitimait les spécificités rituelles et canoniques. Dans cette perspective, la maîtrise des langues et des rites locaux n’avait pas réellement vocation à être acquise pour elle-même et était plutôt un instrument utilisé pour gagner la confiance des orthodoxes jaloux de leurs traditions.
Chapitre III
Les élèves de Saint-Louis
Vivre au séminaire Saint-Louis. — La vie au couvent faisait partie de la formation des élèves, dans la mesure où l’internat de Saint-Louis était le lieu d’apprentissage des manières et des usages français, qui étaient censés contribuer au prestige des futurs missionnaires tout autant que la qualité de leur formation intellectuelle et spirituelle. Le « style français » était également appris grâce à la fréquentation d’externes issus des meilleures familles de Péra et admis en petit nombre au collège.
Origines et parcours des élèves : étude de la réussite de l’œuvre à l’épreuve de ses résultats. — Durant la période étudiée, trente séminaristes furent ordonnés prêtres à leur sortie de Saint-Louis et de nombreux autres élèves intégrèrent des ordres religieux latins ou orientaux. Les statistiques, ramenées à celles des autres instituts orientaux et des séminaires français, étaient donc encourageantes. Cependant, l’origine et la carrière de ces séminaristes doivent faire relativiser la réussite de l’œuvre au regard de ses ambitions : une grande partie des prêtres étaient des Levantins du rite latin, ce qui tendait à faire de Saint-Louis un séminaire diocésain pour le délégué apostolique de Constantinople et pour les évêques latins de Smyrne et de l’Archipel. Par ailleurs, une fois ordonnés, les anciens élèves étaient souvent intégrés au clergé diocésain de leur rite, dans la mesure où les évêques préféraient garder auprès d’eux ces prêtres bien formés et très compétents, plutôt que de leur confier des missions éloignées et dont le succès paraissait bien incertain.
Ambitions, succès et limites du modèle missionnaire et éducatif des pères. — Bien que dès le début du XXe siècle le projet d’union des Églises que la mission de Saint-Louis devait servir fut considéré irréalisable à court terme, le pape Pie X ayant en ce domaine des orientations bien différentes de celles de son prédécesseur, il est certain que le séminaire contribua par ailleurs à affermir le catholicisme dans la région de Constantinople, lui donnant de nombreux évêques et un patriarche. Le séminaire perdura jusque dans les années 1970 et les derniers élèves connurent le concile Vatican II et ses réalisations en matière d’œcuménisme. Ainsi le succès de Saint-Louis tient aussi à la longévité de son œuvre et à la fidélité avec laquelle les Capucins conservèrent les préceptes établis par le père Marcel pour la formation de ses séminaristes. Au-delà de l’espérance de l’union des Églises, ses ambitions quant à la diffusion du modèle du « bon prêtre » à la française eurent de réelles conséquences au sein du clergé local.
Conclusion
L’œuvre des missionnaires de Saint-Louis apporte plus d’enseignements sur les conceptions occidentales de l’Orient et de ses communautés chrétiennes que sur l’Empire ottoman lui-même. Dans la portée que les Capucins tentèrent de donner à leur apostolat, il est possible de deviner une « France au Levant » et une « Rome au Levant », territoires imaginés par les discours européens dont le poids diplomatique était tel qu’ils gagnaient une valeur performative : l’Orient chrétien avait parfois tendance à se conformer à l’idée que s’en faisaient les diplomates parisiens et romains. Si l’œuvre des Capucins de Saint-Louis s’inscrivait dans ce paradigme, il faut toutefois souligner que les missionnaires n’étaient pas des instruments aveugles au service des politiques romaines et françaises et qu’ils déployèrent également une action autonome fondée sur leurs propres conceptions de la mission et sur leur expérience. Cette action se précisa à mesure que diminuait l’influence du protectorat et de l’idée d’union, et le séminaire Saint-Louis, après avoir perdu son rôle d’avant-poste du Quai d’Orsay et de la Propagande, demeura une composante essentielle du catholicisme d’Istanbul et de sa région, donnant à son clergé plusieurs générations de prêtres et d’évêques jusque dans les années 1970.
Pièces justificatives
Édition critique des Chroniques de Saint-Louis et des journaux du père Marcel de Montaillé.