Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Une maison de joaillerie familiale entre deux guerres
- Chapitre premier
- Le 9, rue de la Paix envers et contre tout, une affaire familiale inébranlable (1870-1914)
- Chapitre II
- Des succursales dans l’impasse
- Chapitre III
- De la pierre à l’écrin : genèse d’un bijou Mellerio
- Deuxième partie
- À la conquête de la clientèle : la stratégie commerciale de la maison Mellerio (1870-1914)
- Chapitre premier
- Se faire connaître
- Chapitre II
- Mettre à profit l’art de vivre de la Belle Époque
- Chapitre III
- Suivre et devancer les modes
- Troisième partie
- La clientèle de la joaillerie Mellerio au début de la Troisième République (1870-1914)
- Chapitre premier
- L’éclipse des élites traditionnelles
- Chapitre II
- L’avènement d’une nouvelle élite
- Chapitre III
- Une clientèle internationale
- Conclusion
- Pièce justificative
- Annexes
Introduction
L’univers doré de la place Vendôme et de la rue de la Paix, quartier-écrin du luxe à la française, ne cesse de fasciner. Les joyaux scintillants dans les vitrines sont peut-être les trésors les plus apparents que recèlent ces boutiques. Les archives privées de ces maisons sont des trésors d’une tout autre nature mais non moins précieux. Témoins des évolutions de style et du goût, elles content sur plusieurs décennies le destin croisé de ces entreprises de luxe aux prises avec les actualités politiques, les mutations sociales et les fluctuations économiques avec lesquelles celles-ci se doivent de composer. La richesse de ces fonds privés contraste avec la carence de travaux de recherche sur le sujet. Il faut attendre les années 1990 pour que les premières études sur des maisons de joaillerie voient le jour. Historiens de l’art et de la mode s’approprient alors le sujet tandis que les historiens tardent à s’en emparer. Ce n’est qu’en 2009 que paraît l’unique étude consacrée à la maison Mellerio, Mellerio dits Meller, histoire d’une maison de joaillerie au XIXe siècle (1830-1870), menée par Marie-Émilie Vaxelaire. La maison, située aujourd’hui au numéro 9 de la rue de la Paix, a fêté en 2013 son quatrième centenaire. Colporteurs originaires de Craveggia dans la vallée piémontaise du Val Vigezzo, les Mellerio s’installent en France en 1515. Trois siècles plus tard, ils sont les premiers joailliers à s’établir rue de la Paix, jouissant des faveurs de l’impératrice Joséphine, avant d’être nommés fournisseurs de la reine Marie-Amélie. Sous le Second Empire, Mellerio figure parmi les maisons de joaillerie les plus courues de la capitale, comptant au nombre de ses clients le couple impérial lui-même.
La présente étude suit les premiers pas de cette maison de joaillerie en république, à une période charnière de son histoire, durant les cinquante ans qui séparent la chute du Second Empire de la mobilisation générale de 1914. En 1870, Mellerio dits Meller perd sa clientèle au moment même où la dissolution de la cour des Tuileries disperse les hauts dignitaires et met fin aux fastes de la cour impériale. En 1914, la maison est plus florissante qu’elle ne l’a jamais été. Comment est-elle parvenue à conquérir une nouvelle clientèle ? En ce tournant du siècle où la tenue régulière des expositions universelles, le développement de la publicité, l’amélioration des moyens de communication permettent aux commerçants de toucher une plus large clientèle, où le déplacement vers la rue de la Paix des grandes maisons de joaillerie autrefois concentrées au Palais-Royal est le vecteur d’une concurrence accrue, les dirigeants de la maison Mellerio dits Meller ont à prendre des décisions essentielles, lourdes de conséquence pour le devenir de leur affaire familiale. Comment font-ils face à ces enjeux cruciaux qui naissent du bouleversement de la société ?
Sources
Le fonds privé de la maison Mellerio dits Meller, conservé au 9, rue de la Paix, constitue l’essentiel du corpus de sources. Ces archives, inexplorées jusqu’à ce jour pour la période 1870-1914, sont de nature très diverse : livres d’atelier, livres de commandes, registres de comptes, correspondance sortante, dessins de joaillerie, photographies et bijoux. Les quatre-vingt-trois registres, les 200 000 lettres, les milliers de dessins conservés pour la période constituent un ensemble extrêmement riche, cohérent et presque intègre. Les actes de création de la société et les registres matricules des membres de la famille Mellerio conservés aux archives de Paris, leurs inventaires après décès conservés au Minutier central des Archives nationales ainsi que des sources imprimées telles que presse mondaine, almanachs, bottins et écrits du for privé sont venus étoffer l’ensemble.
Première partie
Une maison de joaillerie familiale entre deux guerres
Chapitre premier
Le 9, rue de la Paix envers et contre tout, une affaire familiale inébranlable (1870-1914)
La gestion de la société. — Entre 1870 et 1914, la maison Mellerio connaît deux raisons sociales, cinq actes de société et trois générations de Mellerio à sa tête : de 1843 à 1883, les frères Jean-François et Antoine, de 1883 à 1910, leurs fils respectifs Raphaël et Louis et enfin, à partir de 1910, les trois fils de Raphaël, Maurice, Charles et Bernard. Artistes accomplis, commerçants avisés, les associés se répartissent les tâches en fonction de leurs aptitudes. Lombards à leur arrivée en France au XVIe siècle, ce n’est qu’en 1872 que les Mellerio obtiennent la naturalisation française. Royalistes, profondément chrétiens, les Mellerio engagent le savoir-faire de leurs ateliers au service des causes qui leur sont chères.
Le personnel de la maison Mellerio. — Les ateliers de la maison sont situés 13, rue Monsigny (2e arrondissement) jusqu’en 1894, date à laquelle ils sont transférés au troisième étage du 9, rue de la Paix. Sous la houlette du chef d’atelier, douze ouvriers œuvrent dix heures par jour à l’élaboration des joyaux vendus dans la boutique. Des apprentis, initiés à la profession, leur viennent en renfort. Pour répondre aux nombreuses demandes de leurs clients, les associés font appel à une trentaine de fabricants indépendants qui, sur dessins estampillés Mellerio, exécutent certaines commandes. Huit commis et un comptable viennent parfaire les effectifs.
Une route vers le succès semée d’embûches. — La déclaration de guerre de juillet 1870, la proclamation de la république en septembre et le siège de Paris durant l’hiver 1870 compromettent la prospérité de la maison Mellerio. La disparition brutale de sa clientèle, les quolibets adressés à l’encontre de cette profession mal considérée durant les premières années du régime républicain, la crise économique de 1873 : rien n’est épargné à la société qui doit revoir du tout au tout sa production afin de l’adapter à la société nouvelle, qui n’a plus les mêmes attentes qu’autrefois. Ce n’est qu’en 1897 que la maison renoue avec le succès d’antan, entamant une phase de prospérité inégalée que viennent interrompre les ordres de mobilisation générale de l’été 1914.
Chapitre II
Des succursales dans l’impasse
La maison du quai Voltaire. — En sus de l’adresse rue de la Paix, la maison Mellerio peut compter sur deux autres enseignes pour écouler les créations exécutées dans les ateliers de la rue Monsigny puis de la rue de la Paix. La première est parisienne. Fondée en 1800, la boutique du 25, quai Voltaire est spécialisée dans la vente d’orfèvrerie, essentiellement religieuse. Après en avoir confié la gérance à leur frère cadet Joseph pendant huit ans, Jean-François et Antoine décident, devant le bilan désastreux de ces années, de lui soustraire l’affaire en 1875. En dépit de la bonne volonté du nouveau gérant qui s’attache à diversifier l’offre proposée quai Voltaire, en soumettant notamment des bijoux pour corbeilles de mariage, et à créer des dépôts en province, la succursale ne survit pas à la crise économique du début des années 1870, qui vient aggraver le passif déjà conséquent de la boutique. La boutique du quai Voltaire ferme définitivement ses portes en 1880.
Mellerio hermanos. — La seconde adresse, fondée en 1849 par Jean-François carrera de San Jerónimo à Madrid, est espagnole. Comme pour la succursale du quai Voltaire, la boutique ne possède pas d’ateliers en propre. Tous les articles sont réalisés à Paris et importés ensuite en Espagne. Mellerio doit alors composer avec trois types de contraintes : une législation française sur les métaux précieux très contraignante, des frais de douane, et enfin les fluctuations incessantes du taux de change que connaît alors l’Espagne, variations à mettre sur le compte de la mauvaise santé économique du pays en proie aux crises politiques et économiques. Alors que leurs concurrents français essaiment des succursales dans des pays pleins de promesses, au Royaume-Uni, en Russie et aux États-Unis, les associés Mellerio s’escriment à conserver leur peu florissante succursale madrilène, trop absorbés dans cette lutte pour constater que les plus grandes fortunes industrielles se trouvent ailleurs qu’en Espagne.
Chapitre III
De la pierre à l’écrin : genèse d’un bijou Mellerio
La quête des métaux et pierre précieuses. — La maison Mellerio a recours à une dizaine de fournisseurs, lapidaires, diamantaires français, anglais, allemands et espagnols. Au début de la Troisième République, les pierres précieuses montées sur platine remportent tous les suffrages. Au gré des découvertes de gisements, les diamants mais aussi dans des proportions moindres, les rubis connaissent un engouement spectaculaire. Les pierres fines sont remises au goût du jour par les pionniers de l’Art nouveau. Au début du XXe siècle, la maison Mellerio parvient à se forger une réputation d’expert en perles alors que les élégantes de la Belle Époque n’ont plus d’yeux que pour les sautoirs, colliers de chien et rangs de perles.
La création du bijou. — Bijoutiers, joailliers, orfèvres, les Mellerio proposent des articles extrêmement variés sur une large échelle de prix. Fait peu commun dans le commerce de bijoux précieux, ils indiquent sur les articles les prix en « chiffres connus », transparence garantissant une relation de confiance avec le client. Le bénéfice perçu par la maison sur les créations n’est jamais supérieur à 15 %.
Bijoux brisés, bijoux démodés. — Les transactions ne se limitent pas à la vente de créations : la maison se propose de placer auprès de sa clientèle des bijoux d’occasion dont d’aucuns souhaiteraient se défaire.
La livraison des bijoux. — Les clients parisiens voient ensuite se présenter à leur domicile les coursiers Mellerio portant leurs précieux paquets. Le développement du réseau ferré et des voies maritimes initié sous le Second Empire et poursuivi sous la Troisième République encourage les élites provinciales et étrangères à commander des effets depuis leur pays d’origine. La maison Mellerio sait tirer parti de cette conjoncture favorable, même si la politique française d’import-export ne joue guère en sa faveur.
Deuxième partie
À la conquête de la clientèle : la stratégie commerciale de la maison Mellerio (1870-1914)
Chapitre premier
Se faire connaître
Une renommée en héritage. — La maison Mellerio, plus ancienne maison de joaillerie établie rue de la Paix, n’a nul besoin d’être introduite auprès du beau monde parisien : son passé glorieux est la plus probante des garanties. Pour élargir son cercle de clients, ce n’est pas à la presse, qui connaît pourtant un âge d’or, que les directeurs confient le soin de promouvoir leur savoir-faire : le démarchage et l’envoi par la poste de « bijoux à condition », échantillons d’articles, sont pour eux les voies les plus propices à l’élargissement du cercle de leurs fidèles.
Mellerio à la conquête de l’international : un rendez-vous manqué ? — La maison Mellerio cherche à séduire des représentants du monde diplomatique, ambassadeurs idéals de leurs créations, eux qui sont amenés à être sans cesse en représentation auprès des élites étrangères. Le moyen le plus sûr de partir à la conquête de l’international reste les apparitions aux expositions universelles : Mellerio participe avec succès à celle de Vienne (1873) et de Paris (1878). L’expérience n’est guère réitérée après 1878, les directeurs considérant l’entreprise trop coûteuse.
Profiter du renouveau chrétien et légitimiste. — C’est grâce à ses créations-phares en orfèvrerie religieuse que la maison Mellerio se démarque de ses confrères, associant son nom aux plus grandes commandes du tournant du siècle. Elle qui a remporté le grand prix de l’exposition internationale d’orfèvrerie religieuse organisée à Rome en 1870, est sollicitée dès 1872 pour réaliser ses deux premières couronnes : celles de la Vierge et de l’Enfant de Notre-Dame de la Délivrande (Calvados). Dès lors, les plus grands sanctuaires ont recours au savoir-faire de la maison lorsqu’un couronnement solennel décrété par le pape se profile. Les couronnes de Notre-Dame de Lourdes, de l’archange du Mont-Saint-Michel, de la Vierge de la Médaille miraculeuse mais aussi l’ostensoir de la basilique de Montmartre figurent parmi ses plus prestigieuses réalisations. Elle sait tirer profit du grand réveil religieux de la fin du siècle, exploitant un marché innovant : celui du commerce de bijoux religieux ou à la symbolique légitimiste qu’elle fait vendre à des prix modiques dans des dépôts en province, une opération qui lui assure facilement l’adhésion d’une clientèle catholique et royaliste.
Chapitre II
Mettre à profit l’art de vivre de la Belle Époque
La rue de la Paix, artère du luxe : entre émulation et concurrence. — La rue de la Paix est progressivement devenue synonyme de luxe dans la seconde moitié du XIXe siècle. La situation de la maison Mellerio au cœur de la rue de la Paix comporte un risque : la proximité de concurrents majeurs. Mais ce n’est là que le revers du privilège incommensurable pour des joailliers de figurer au nombre des enseignes de cette artère si renommée, que se pressent d’investir élites françaises et étrangères attirées par les vitrines de ces maisons raffinées : Worth, Paquin, Guerlain, Mellerio, Cartier, etc.
Paris en fête. Quand les joyaux sont de sortie. — À compter de la fin des années 1890, le chiffre d’affaires de la maison ne cesse de croître pour atteindre plus de deux millions de francs à la veille de la Grande Guerre. La conjoncture économique favorable et la trépidante vie mondaine parisienne y sont pour beaucoup. Lors de la grande saison parisienne, initiée au début du mois de juin, les sorties à l’Opéra, au théâtre, les bals, les réceptions privées se succèdent à un rythme effréné dans un déploiement de pierreries. Les manuels de savoir-vivre codifient pour chaque occasion les parures de rigueur, des codes auxquels se plient anciennes comme nouvelles élites, prêtes à des dépenses conséquentes pour tenir leur rang et briller en société.
Le temps des villégiatures : ouverture d’une boutique à Biarritz. — Lorsque s’achèvent les beaux jours d’été, les affaires rue de la Paix deviennent très calmes, Paris étant désertée pour les lieux de villégiature, relais automnaux de la vie mondaine. En 1891, Raphaël et Louis Mellerio décident d’ouvrir une boutique saisonnière à Biarritz. D’éminents visiteurs de passage dans la plus réputée des stations balnéaires comme la duchesse de Parme ou encore la reine Nathalie de Serbie sont séduits par les articles Mellerio vendus rue Mazagran puis place de la mairie. C’est le gérant de Madrid, secondé par deux employés, qui est responsable de la boutique biarrote. Cette entreprise permet de rapporter jusqu’à 100 000 francs à la société pour les trois mois que dure la saison mondaine.
Chapitre III
Suivre et devancer les modes
De fructueuses collaborations. — Un des atouts des associés Mellerio réside dans leur capacité à déceler le talent et leur propension à s’entourer des artistes les plus ingénieux de leur temps : Oscar Massin, Lucien Falize, René Lalique font leurs armes dans les ateliers Mellerio. Ils collaborent avec des grands noms de l’orfèvrerie comme Armand-Caillat, Poussielgue ou Christofle. Leur succursale de Madrid est le seul établissement en Espagne à proposer à la vente des articles des maisons réputées Poussielgue et Christofle. Mellerio exploite à merveille le talent, le savoir-faire, les intuitions et les découvertes d’artistes de génie, contribuant par ces fructueuses collaborations à enrichir son propre style et se démarquer dans le paysage de la joaillerie française.
Suivre les modes. — En matière de mode, le monde a les yeux rivés sur Paris, et particulièrement sur la rue de la Paix. Les requêtes des clients sont limpides : étrangers comme clients provinciaux réclament aux joailliers les bijoux les plus nouveaux. Si le succès de certains bijoux ne se dément pas pendant un demi-siècle, comme les sautoirs de perles ou encore les bijoux en or mat, les styles se renouvellent sans cesse et les bijoux de la veille doivent subir de subtiles transformations pour être conformes au goût du jour. Les joailliers doivent se plier aux caprices de la mode, dont ils sont à la fois tributaires et artisans, pour répondre aux attentes des clients du moment.
Des créations emblématiques. — La maison Mellerio ne se contente pas de suivre les modes, elle cherche à les devancer et les initier, osant s’engager sur des chemins inexplorés. Elle fait preuve de grande fantaisie en imaginant des bijoux originaux, puisant son inspiration dans la diversité de la faune et de la flore et dans les loisirs à la mode, poussant le raffinement jusqu’à magnifier des objets du quotidien, recherchant la difficulté technique à travers des bijoux transformables d’une complexité prodigieuse, imprimant sa marque par des créations singulières qui contribuent à sa notoriété : le fameux paon Mellerio mais aussi des sautoirs de perles sans pareils. Elle figure parmi les premières maisons à proposer au tournant du siècle des motifs d’un genre nouveau, que l’on qualifiera d’« Art nouveau », et, quelques années avant la Grande Guerre, des formes tout à fait novatrices qui contiennent déjà en germe l’esthétique de l’Art déco qui prévaudra après-guerre.
Troisième partie
La clientèle de la joaillerie Mellerio au début de la Troisième République (1870-1914)
Chapitre premier
L’éclipse des élites traditionnelles
Les derniers feux du Second Empire. — Sous le Second Empire, la maison Mellerio a connu des heures fastes : la cour brillante des Tuileries poussait ses membres à se pourvoir en parures de grand prix. Napoléon III et Eugénie figuraient parmi les plus grands acquéreurs de bijoux de la joaillerie Mellerio. Au début de la Troisième République, la clientèle de la joaillerie se renouvelle. Même si des icônes du Second Empire comme la princesse Mathilde ou la comtesse de Castiglione restent fidèles à la maison en dépit de la tournure des événements, elles font partie des rares fantômes d’une époque révolue à revenir hanter la boutique du 9, rue de la Paix.
Le retour d’exil des princes de sang. — Si la proclamation de la république a entraîné la dispersion de la clientèle de la cour des Tuileries, le nouveau régime rappelle leurs anciens locataires. La famille d’Orléans est admise à nouveau en terre française, les lois d’exil formulées à l’encontre des Bourbons étant abrogées le 8 juin 1871. Mellerio, ancien fournisseur de la reine Marie-Amélie, voit avec satisfaction les petits-fils de la reine commander pour leurs partisans des bijoux symboliques ou encore des parures sophistiquées portées à l’occasion des mariages princiers.
Mellerio dits Meller, joaillier de famille. — Les membres de l’aristocratie ne désertent pas les salons Mellerio mais leurs acquisitions se font plus timides. Ces grandes familles, majoritairement parisiennes, ne dérogent pas à l’acquisition de la traditionnelle corbeille de mariage, des commandes ambitieuses assurées pour Mellerio. Mais le règne de ces familles est passé et les difficultés financières les assaillent ; un constat qu’est à même de faire le comptable de la maison qui a toutes les peines du monde à recouvrer les créances de cette clientèle insolvable.
Chapitre II
L’avènement d’une nouvelle élite
La haute banque parisienne, première cliente de la maison Mellerio. — Au début de la Troisième République, une nouvelle élite en quête de légitimité investit les salons Mellerio. Elle voit dans l’acquisition de bijoux somptueux un moyen de se raccorder à un monde passé, à une élégance tout aristocratique, à une élite à laquelle elle appartient en vertu de ses capitaux davantage que de son sang. Ces grands notables, qui sont désormais détenteurs du capital économique, du capital social comme du capital culturel, sont issus du milieu de la haute banque, du milieu des affaires ou des grands corps de l’État. La haute bourgeoisie parisienne est surreprésentée dans les registres de la maison : 42 % de la clientèle contre seulement 17 % de clients issus de la notabilité provinciale. Entre 1870 et 1914, ce sont les représentants de la haute banque parisienne qui, prenant le relais des souverains d’antan, deviennent les plus grands clients de la maison Mellerio : les membres de la famille Rothschild ou encore Maurice et Clara de Hirsch dépensent des sommes exorbitantes en joyaux, gratifiant les joailliers de visites hebdomadaires.
Les nouveaux venus du commerce et de l’industrie. — Les industriels et grands négociants qui connaissent à la fin du XIXe siècle une fulgurante ascension sociale se mettent à investir les boutiques de luxe, franchissant en nombre la porte du 9, rue de la Paix à partir des années 1880. Leurs inclinations se portent inlassablement sur les pièces les plus ostentatoires et les plus modernes, une manière pour eux de briller dans la haute société.
Les célébrités parisiennes à leur zénith. — Les créations Mellerio séduisent également les personnalités incontournables du Paris de la Belle Époque, qui cueillent les lauriers de leur gloire récemment acquise : hommes politiques, artistes, écrivains, demi-mondaines.
Chapitre III
Une clientèle internationale
Une clientèle européenne déjà acquise. — Durant la Belle Époque, on vient de Rome, de Berlin, de Madrid, de Saint-Pétersbourg, de Vienne, de Londres à Paris dans le seul but de dépenser de l’argent et de trouver à se divertir. Ce sont tout naturellement les Espagnols qui sont les plus nombreux à se présenter au 9, rue de la Paix, eux qui connaissent bien les joailliers grâce à la succursale madrilène. Les aristocrates russes, dévorés par la passion des pierres précieuses, sont les plus grands adeptes des joailleries de la rue de la Paix. Après les Espagnols, ce sont eux que l’on retrouve le plus fréquemment dans les registres Mellerio. Tenichev, Youssoupov, Romanov : les plus grandes familles de l’Empire ont goûté aux réalisations de la maison. Boucheron soustrait progressivement ces familles à l’emprise de Mellerio après avoir inauguré avec succès une succursale à Moscou en 1898-1899.
Vers d’autres horizons. — Notables britanniques, aristocrates austro-hongrois, élites belges et hollandaises se présentent chez Mellerio au gré de leurs séjours dans la capitale française, qui jouit alors d’une réputation inégalée de capitale du luxe. Les magnats américains, les visiteurs du lointain comme les maharajas font des apparitions certes rares dans la boutique mais toujours remarquées.
Mellerio dits Meller, joaillier des rois. — La France est une république ; Mellerio se met alors au défi de séduire les souverains étrangers. Qu’elles soient de passage à Paris dans le cadre d’une visite officielle, en route vers leur destination de villégiature ou encore en séjour incognito, les têtes couronnées ne résistent guère au plaisir de déambuler le long de la rue de la Paix. C’est ainsi que Mellerio peut compter au nombre de ses clients l’impératrice d’Autriche, la reine d’Italie, la reine du Portugal, le roi des Belges, le roi des Bulgares, des grands-ducs de Russie. Elle entretient une relation privilégiée avec les Bourbons d’Espagne mais aussi avec la maison impériale du Brésil et la couronne des Pays-Bas, desquelles elle obtient le diplôme de fournisseur en 1873 et 1888.
Conclusion
L’intégrité et la richesse exceptionnelle du fonds privé de la maison Mellerio permettent de toucher du doigt la répercussion des grands bouleversements politiques, économiques, sociaux et culturels du tournant du siècle sur une industrie de luxe. Si la société Mellerio ne connaît que peu de changements structurels au travers des trois générations qui se succèdent à sa tête, elle doit s’adapter aux attentes d’une nouvelle clientèle dominée par des élites montantes dont les goûts diffèrent de ceux des élites traditionnelles. Si certains choix posés par les directeurs, comme le refus d’exporter leurs produits dans des succursales implantées au sein d’États en plein essor économique, le mépris pour la publicité ou la désertion des expositions internationales, ont contribué à affaiblir son hégémonie sur une clientèle internationale séduite par d’autres maisons de joaillerie, Mellerio est parvenu à tenir son rang et à s’affirmer comme une maison de premier ordre en dépit des épreuves infligées aux commerçants par la conjoncture économique peu porteuse des années 1870-1890. L’exigence dans la quête des matériaux précieux, l’excellence du savoir-faire des ateliers, la coopération avec des artistes exceptionnels, la recherche de l’originalité et de la perfection ont guidé les équipes du 9, rue de la Paix durant toute la période, de sorte qu’à la veille de la guerre, la maison est parvenue à convaincre souverains, prélats, banquiers, magnats de l’industrie, négociants, rentiers, artistes et courtisanes. L’engagement de son art au service de la chrétienté, la création des dépôts de province, la fondation d’une boutique éphémère à Biarritz ont contribué à étendre son rayonnement au-delà de la capitale. Sa présence rue de la Paix est un atout supplémentaire : les élites du monde entier ont à la Belle Époque les yeux rivés sur Paris, arbitre du bon ton ; or Paris se met au diapason des artisans de la rue de la Paix. De démunie qu’elle était à l’issue du siège de Paris, la maison Mellerio est à la veille de la première guerre une maison de joaillerie de premier plan, experte tant en orfèvrerie qu’en joaillerie, instigatrice de styles nouveaux et unanimement révérée, tant par ses pairs que par sa clientèle.
Pièce justificative
Récit de l’entrevue accordée par le comte de Chambord à Jean-François Mellerio (28 septembre 1873) (archives Mellerio dits Meller, correspondance particulière 1868-1883).
Annexes
Répertoire alphabétique des 8 063 clients de la joaillerie Mellerio, réalisé à partir des vingt registres de clients de la maison pour la période 1868-1917. — Arbre généalogique de la famille Mellerio. — Schéma des différents types de registres conservés par la maison Mellerio et de leur place au sein du processus de création d’un bijou. — Cartes de la clientèle à l’échelle mondiale, nationale et parisienne. — Carte des dépôts provinciaux Mellerio. — Photographies. — Dessins de joaillerie.