Sommaire
- Introduction
- Sources
- Première partie
- Des colonies à Bordeaux : les gens de couleur, une identité transatlantique (1763-1792)
- Chapitre premier
- Bordeaux, une dynamique atlantique
- Chapitre II
- Les passagers de couleur à Bordeaux, profil prosopographique
- Chapitre III
- Traverser l’Atlantique : des parcours variés
- Deuxième partie
- L’expérience métropolitaine, prolonger son séjour à Bordeaux
- Chapitre premier
- La domesticité, cadre de travail prédominant des minorités noires à Bordeaux
- Chapitre II
- Les gens de couleur en dehors des maisons
- Chapitre III
- Les voies de la liberté : intimité, fortunes et solidarités
- Chapitre IV
- Entre rejet et intégration
- Conclusion
- Pièces justificatives
- Annexes
Introduction
L’arrivée de minorités noires en France n’est pas un phénomène nouveau et ne se limite pas aux vagues d’immigration du siècle passé en lien avec la colonisation française en Afrique. Les gens de couleur constituent ainsi une part visible de la population européenne dès le XVIe siècle, alors que l’esclavage se développe en parallèle dans les colonies du Nouveau Monde. L’étude des populations noires sur le Vieux Continent durant l’Ancien Régime a été particulièrement précoce en Grande-Bretagne et en Espagne, tandis que la France s’est intéressée plus tardivement à cette question. Alors que la recherche s’est concentrée dans un premier temps sur la capitale du royaume et sur le port négrier français par excellence, Nantes, de nombreux ports atlantiques devaient également être étudiés sous le prisme de la question noire. Bordeaux, dont la redécouverte du passé négrier est assez récente, a longtemps été délaissé ; ce port méritait pourtant qu’on s’y attarde. Véritable « porte océane » ouverte sur le monde, la ville de Bordeaux est un espace de circulations intenses dans lequel les gens de couleur ont toute leur place. Cette étude se concentre sur la deuxième moitié du XVIIIe siècle, alors que les liens entre Bordeaux et les colonies atteignent leur apogée.
Il convenait dans un premier temps de revenir sur les conditions qui ont permis l’épanouissement des populations noires à Bordeaux au XVIIIe siècle : port de commerce et port négrier, la ville se trouve à la croisée de nombreuses dynamiques qui favorisent la venue de gens de couleur. Il s’agissait ensuite de quantifier cette population minoritaire, une étude qui souffrait jusque-là de sources partielles : cette question s’est accompagnée d’une recherche approfondie afin de proposer un portrait prosopographique reflétant la complexité et la diversité de ce groupe. Il a ensuite fallu s’attacher à l’étude d’expériences plus individuelles afin d’exposer les raisons multiples à l’origine de cette traversée de l’Atlantique par les populations noires. Après avoir étudié les circulations des passagers de couleur dans le port de Bordeaux, il est apparu nécessaire d’approfondir les conditions de leur séjour sur le sol bordelais ; cette recherche s’est d’abord intéressée aux cadres de travail des minorités noires au sein de la domesticité mais aussi de l’artisanat bordelais. Il convenait également de se pencher plus particulièrement sur les parcours des libres de couleur à Bordeaux, qui nous sont bien connus grâce à leur mention dans de nombreux actes notariés. Cette étude s’est conclue par un questionnement sur l’intégration de ces non-Blancs au sein de la population bordelaise et sur la continuité de leur présence par-delà la période révolutionnaire.
Sources
Bien que largement minoritaires au sein de la population bordelaise au XVIIIe siècle, les gens de couleur nous sont connus grâce à de multiples sources. Si les informations demeurent éparses, le croisement de plusieurs fonds d’archives et une recherche minutieuse permettent de proposer une vision d’ensemble de leur présence à Bordeaux. La première source à avoir fait l’objet de nos dépouillements est constituée par les rôles d’équipage et de passagers : conservés en plusieurs versions, ces derniers permettent de mieux comprendre la place des gens de couleur au sein des circulations internationales à la veille de la Révolution. Ce dépouillement s’est couplé de sondages au sein de différents fonds des archives départementales et municipales afin d’éclairer le séjour de ces minorités à Bordeaux ; la reprise des données offertes par les recensements de 1777 et 1807 s’est avérée nécessaire et d’autres fonds ont également fourni des informations inédites. Les registres paroissiaux de Saint-André et Saint-Seurin ont notamment permis d’approfondir la participation des gens de couleur à plusieurs cérémonies chrétiennes tandis que le sondage des études notariales bordelaises a éclairé, grâce à une cinquantaine d’actes, le quotidien de cette population à Bordeaux. L’étude ne s’est pas limitée à des sources manuscrites : le dépouillement des journaux bordelais entre 1759 et 1792 a permis d’étoffer nos connaissances sur la présence noire à Bordeaux à travers le marché du travail.
Première partie
Des colonies à Bordeaux : les gens de couleur, une identité transatlantique (1763-1792)
Chapitre premier
Bordeaux, une dynamique atlantique
Les liens entre Bordeaux et les colonies deviennent de plus en plus étroits au fil du XVIIIe siècle : ce port s’impose en effet très vite comme le premier port français de commerce avec les îles et notamment Saint-Domingue. Le dynamisme économique de Bordeaux est également renforcé durant la seconde moitié du siècle par la traite négrière : la ville rattrape alors son retard et devient un port de traite français de premier plan. Ses relations économiques étroites avec le Nouveau Monde entraînent l’émergence de multiples circulations au sein du port, qui devient le point de départ de nombreux immigrants aquitains ou de négociants bordelais cherchant à s’établir dans les colonies. Ces circulations sont propices à l’importation en métropole des codes coloniaux, dont les gens de couleur sont partie intégrante et constituent sans doute la partie la plus visible : esclaves ramenés d’Afrique ou des plantations, libres de couleur issus de familles métissés, etc. Bordeaux se trouve ainsi à la croisée de plusieurs phénomènes liés à la colonisation et à la traite négrière.
Chapitre II
Les passagers de couleur à Bordeaux, profil prosopographique
Si la présence de passagers de couleur à Bordeaux a été maintes fois rappelée, la quantification de cette minorité demeurait compliquée en raison de sources incomplètes. Contrairement à la majorité des autres ports français, Bordeaux souffre de larges sous-enregistrements à l’Amirauté de Guyenne, qui devait en théorie enregistrer toutes les personnes de couleur débarquant en métropole : l’utilisation des rôles de passagers et le relevé des mentions de couleur ont néanmoins permis d’affiner notre perception de ce phénomène pour la seconde moitié du XVIIIe siècle et l’on peut raisonnablement estimer qu’environ deux mille cinq cents personnes de couleur sont passées par le port de Bordeaux entre 1763 et 1792. Elles sont cependant loin de constituer un groupe homogène : si le profil le plus récurrent est celui d’un jeune homme noir, esclave et créole, les registres de passagers se font le reflet de situations variées. Les passagers diffèrent entre eux par leur statut juridique, leur origine géographique, leur âge, leur sexe, la perception de leur couleur de peau… autant de nuances qui empêchent de fait toute généralisation.
Chapitre III
Traverser l’Atlantique : des parcours variés
La présence de minorités noires sur les navires bordelais aux lendemains de la guerre de Sept Ans est donc bien réelle, ce phénomène cachant toutefois des réalités très disparates qui reflètent la complexité de ce groupe. Une grande majorité des passagers de couleur étaient des domestiques, bien souvent sous le statut d’esclaves ; ils étaient issus de l’habitation coloniale et accompagnaient leur maître en métropole. Il pouvait aussi s’agir de libres mettant leurs talents au service d’un voyageur pour se faire payer leur retour dans les colonies. Les libres de couleur ne sont donc pas en reste : même s’ils sont moins nombreux que les esclaves, leur venue sur le sol aquitain est motivée par des raisons extrêmement variées, comme l’apprentissage d’un métier ou le retour sur les terres paternelles dans le cas de passagers métissés. Le dépouillement des rôles d’équipage a également permis de mettre en valeur l’existence d’un phénomène inédit et rare, celui des engagés de couleur : comme leurs homologues blancs, ils ont profité des derniers feux de l’engagement pour financer leur traversée vers les îles contre un travail gratuit durant trois ans. Sur les navires bordelais, d’autres passagers de couleur sont devenus de véritables professionnels de la navigation, officiant comme interprètes, marins ou encore officiers non mariniers. Le navire semble avoir été un espace privilégié pour l’évolution et l’indépendance financière des minorités noires, qui étaient rémunérées à égalité avec leurs homologues blancs. Pour beaucoup de ces passagers et marins de couleur, Bordeaux ne demeure cependant qu’une étape : de nombreux esclaves sont revenus aux îles sitôt que le bref séjour de leur maître en métropole se terminait tandis que d’autres passagers ne concevaient le port de Bordeaux que comme une étape avant de rallier l’arrière-pays aquitain ou la capitale.
Deuxième partie
L’expérience métropolitaine, prolonger son séjour à Bordeaux
Chapitre premier
La domesticité, cadre de travail prédominant des minorités noires à Bordeaux
Bordeaux ne se limite cependant pas à un point de transit et le port voit à la fin du XVIIIe siècle l’installation durable des minorités noires au sein de son espace urbain. Minorités travailleuses, les gens de couleur sont surtout employés au sein des grandes maisons bordelaises : le recensement de 1777 permet ainsi de mettre en évidence qu’environ 5 % des domestiques à Bordeaux sont des non-Blancs. Signe de prestige et de réussite aux îles, l’emploi de serviteurs de couleur, qu’ils soient esclaves ou libres, fait partie des marques d’ostentation des élites bordelaises. Tandis que les hommes ont généralement une fonction de représentation (valet, postillon), les femmes entrent dans l’intimité des familles en revêtant le rôle de nourrice. Si ces domestiques, bien souvent esclaves, restent la plupart du temps plusieurs dizaines d’années au service d’une même famille, la mobilité n’est pas exclue de leur service : la vente et l’échange d’esclaves au sein de plusieurs familles bordelaises sont ainsi attestés. Les domestiques libres bénéficient d’une plus grande autonomie : profitant du système d’annonces qui émerge à Bordeaux à partir de 1759, ils peuvent régulièrement changer d’employeur et éventuellement améliorer leur position. L’attachement à une famille reste cependant la règle et les liens développés entre le maître et ses domestiques de couleur sont multiples et particulièrement visibles lors de plusieurs événements symboliques – le plus important reste probablement la cérémonie de baptême, durant laquelle le maître se fait bien souvent le père spirituel de l’esclave et fait entrer le domestique au sein d’un réseau familial bordelais. L’affranchissement des esclaves constitue une autre étape de la relation avec le maître, servant bien souvent à récompenser la fidélité et les services du domestique de couleur : cet affranchissement, majoritairement devant notaire ou par testament, prend des formes très variées, allant d’une liberté complète à une liberté différée, qui nécessite que l’esclave serve encore plusieurs années le même maître. Le point d’orgue de la relation entre maître et serviteurs intervient au moment des dispositions testamentaires : les domestiques, qu’ils soient esclaves ou libres, ne sont pas oubliés par les élites bordelaises et plusieurs d’entre eux bénéficient de dons en argent pour récompenser leurs services. Ces domestiques de couleur, employés dans les plus belles maisons bordelaises, se concentrent majoritairement dans le nouveau centre économique de Bordeaux, né des transformations urbaines impulsées par le marquis de Tourny.
Chapitre II
Les gens de couleur en dehors des maisons
Le cadre de travail des gens de couleur ne se limite cependant pas à celui de la domesticité et Bordeaux s’impose aussi comme un espace privilégié pour l’apprentissage puis l’exercice d’un métier artisanal. La ville bénéficie en effet de deux sauvetats, celle de Saint-André et surtout celle de Saint-Seurin, qui permettent d’évoluer en dehors des contraintes du cadre corporatif en se plaçant sous l’autorité ecclésiastique. Cette organisation urbaine donne l’occasion à de nombreux jeunes gens de couleur d’entrer en apprentissage : tandis que les esclaves sont surtout formés à la cuisine ou à la perruquerie, les libres de couleur ont accès à un éventail plus large de métiers, allant de l’artisanat du cuir à la chirurgie pour les plus nantis d’entre eux. La plupart de ces apprentissages se font de manière informelle et la signature de contrats d’apprentissage semble avoir été réservée à la fin du siècle aux apprentis métissés. Une fois leur apprentissage terminé, beaucoup de ces jeunes rentrent aux îles afin de mettre leurs talents au service d’une plantation ou de fonder leur propre commerce. Une minorité d’entre eux sont cependant amenés à rester à Bordeaux, où ils exercent leur métier sans trop de difficulté. Le secteur d’activité privilégié de ces non-Blancs exerçant en dehors des maisons est la cuisine : bien souvent affranchis, les cuisiniers noirs accèdent à une véritable autonomie financière en vendant leurs services au plus offrant. Les plus fortunés d’entre eux parviennent par la suite à fonder leur propre commerce de bouche en tenant une auberge ou un hôtel, dont le plus fier représentant est sans aucun doute Casimir Fidèle, tenancier du très couru Hôtel de l’Empereur. L’autre grand secteur d’activité est celui de la perruquerie : exerçant majoritairement dans le quartier Saint-Seurin, les perruquiers de couleur font aussi concurrence aux maîtres de la corporation des barbiers-perruquiers en proposant leurs services à des particuliers, sans tenir boutique, dans le centre historique de Bordeaux soumis au régime corporatif. D’autres artisanats sont également pratiqués par les gens de couleur : la couture est ainsi prédominante chez les femmes, tandis que les hommes pratiquent majoritairement l’artisanat du cuir et du bois. Quelques privilégiés parviennent à exercer un métier plus reconnu socialement, en devenant forgeron ou, mieux, négociant.
Chapitre III
Les voies de la liberté : intimité, fortunes et solidarités
Ces métiers, exercés à la fois par des esclaves et par des libres quoique dans des proportions différentes, ne révèlent donc pas de ligne de fracture professionnelle entre ces deux groupes ; de fait, les libres de couleur se distinguent surtout par leur capacité à être autonomes, visible à travers plusieurs phénomènes. Le plus répandu d’entre eux consiste à se marier : même si le gouvernement, inquiet des unions mixtes, tente d’interdire ces dernières en France, ces contraintes législatives n’influent que peu sur la réalité matrimoniale à Bordeaux, la moitié des mariages contractés par des gens de couleur impliquant une personne de couleur et une personne blanche. Ces unions obéissent autant à des raisons d’amour qu’à des motivations plus pragmatiques : de nombreux domestiques affranchis choisissent ainsi de se marier à un âge très avancé, afin de créer une solidarité de vieillesse avec leur conjoint. À l’opposé de ce cas de figure majoritaire se trouvent deux configurations plus rares : les mariages de jeunes adultes et les mariages contractés passé trente ans, afin d’officialiser une union antérieure.
Étant donné ces conditions, très peu d’enfants de couleur naissent à Bordeaux de cellules familiales légitimes et la majorité de ces Bordelais afro-descendants sont des enfants naturels, dans une proportion qui demeure encore difficile à évaluer. L’étude des contrats de mariage a également permis de lever le voile sur le niveau de fortune de ces minorités. Le montant des apports au mariage est en effet très varié, allant de l’absence d’économies à plusieurs milliers de livres, révélant la grande diversité des situations. Les meilleures fortunes nous sont par ailleurs particulièrement bien connues grâce aux dispositions testamentaires en faveur des élites métissées. Les femmes de couleur ne sont pas mises à l’écart de ce phénomène : nombre d’entre elles sont rentières et savent faire fructifier leurs économies et leurs biens afin de maintenir leur indépendance financière. La constitution d’une petite fortune permet à certains libres de couleur d’investir dans la pierre ; Saint-Seurin est un espace de choix et plusieurs d’entre eux placent leur argent dans ce quartier en pleine construction, dynamisé par la proximité du cours de Tourny. Certains vont même plus loin et n’hésitent pas à se livrer à la spéculation immobilière : Casimir Fidèle et Marie-Louise Charles, dont les cas sont particulièrement bien documentés, sont ainsi des figures majeures de l’investissement urbain par les libres de couleur. L’étude du bâti révèle que les maisons et appartements acquis par ces élites de couleur, comportant plusieurs pièces et des installations hygiéniques de base, les placent au rang des artisans aisés de la ville et leur fournissent un certain confort de vie. La plupart des libres de couleur ne parviennent cependant pas à se porter acquéreur d’un bien et font le choix de la location ou de la sous-location : phénomène très mal connu des archives, cette réalité n’est perceptible que lorsque de grosses sommes d’argent entrent en jeu. Les libres de couleur ont enfin su mettre en place des réseaux de solidarité afin de s’entraider dans plusieurs actes de la vie courante : le cas le plus commun consiste à être le parrain d’enfants de couleur nés à Bordeaux ou le témoin d’un mariage impliquant des personnes de couleur. Des cas plus rares de tutelle ou de solidarité économique ont également été relevés. Certains de ces hommes libres, mentionnés plusieurs fois dans les archives, semblent tenir un rôle de référent de la communauté noire bordelaise, comme Bernard Rigolet ou l’aubergiste Louis Belard Saint-Silvestre. Cette solidarité de groupe n’est cependant pas le seul cadre relationnel des libres de couleur, qui nouent également des liens professionnels ou personnels avec les Blancs.
Chapitre IV
Entre rejet et intégration
La question de l’intégration et, a contrario, celle du rejet des minorités noires dans la société bordelaise sont perceptibles grâce à plusieurs phénomènes. La maîtrise de l’écrit est l’un des premiers critères qui permet aux gens de couleur de s’émanciper et de marquer leur autonomie en indiquant un niveau plus ou moins poussé d’alphabétisation. Les études notariales témoignent également de l’assimilation de certaines minorités noires à la population blanche grâce à un effacement de la mention de couleur dans certains contrats : si ce sont surtout les personnes métissées qui ont bénéficié de ce privilège, certains Noirs ont également pu voir disparaître la mention de leur couleur dans les actes notariés pour peu qu’ils aient une fortune bien établie. Le plurilinguisme des Afro-descendants, maîtrisant le français mais aussi les dialectes locaux, a également facilité leur intégration. Parallèlement à ces marques d’assimilation, certaines personnes de couleur ont fait face à un racisme que l’on retrouve aussi bien envers les esclaves qu’envers le négociant métis Jean-François Février. Les tensions, rares, sont cependant moins le fruit de préjugés raciaux que de la turbulence propre à un groupe majoritairement jeune et masculin : les rixes sont ainsi le délit le plus fréquent au sein de la population noire. Certains cas de marronnage dans le port de Bordeaux témoignent également des relations difficiles entre les maîtres et leurs esclaves. Les troubles demeurent cependant épisodiques et la meilleure preuve de l’intégration de ces minorités noires à Bordeaux reste encore leur présence pérenne au-delà de la Révolution. Le recensement de 1807 confirme en effet la présence d’une population noire toujours importante sous l’Empire, marquée par la coexistence d’anciens arrivants installés dès l’Ancien Régime et de nouveaux immigrants qui rejoignent la France suite aux troubles révolutionnaires dans les colonies ; ces derniers font face à une certaine précarisation et sont pour une grande part logés au sein du couvent de la Chartreuse. Des solidarités se mettent en place entre ces deux groupes pour surmonter les difficultés. L’assimilation des populations noires semble plus facile dans l’arrière-pays aquitain : moins concentrés dans l’espace, les gens de couleur trouvent plus facilement à s’établir et à se marier. Toute une partie du sud-ouest de la France continue ainsi à être irriguée par l’arrivée de minorités noires : on trouve notamment beaucoup d’élites métissées revenant s’établir sur les terres paternelles et nouant des alliances matrimoniales avec la bourgeoisie et la noblesse locales.
Conclusion
La présence noire à Bordeaux à la fin du XVIIIe siècle est donc réelle : bien que minoritaires au sein de la population, les gens de couleur, souvent en relation avec les élites de la ville, sont nettement visibles au sein de l’espace urbain. Loin d’être en retrait en raison de leur couleur de peau, les non-Blancs participent pleinement au dynamisme économique de la ville en travaillant pour les élites bordelaises ou en exerçant un artisanat. L’amoindrissement du préjugé de couleur et l’absence de hiérarchie raciale en métropole permettent aux gens de couleur de prendre des initiatives individuelles afin de s’établir et de s’intégrer dans l’espace urbain. L’histoire que nous avons voulu retranscrire ici est donc moins celle d’un groupe homogène que celle d’une multiplicité d’expériences personnelles. Comme dans les colonies, où les relations entre Blancs et Noirs ne sauraient être analysées sous un prisme uniquement bipartite, l’établissement en métropole de gens de couleur recouvre un large spectre de réalités. Les présences noires à Bordeaux à la veille de la Révolution sont donc plurielles : esclaves, libres, affranchis, domestiques, artisans, rentiers et négociants… Ces individus, s’ils sont rassemblés par leur origine africaine, n’ont pas tous été conditionnés par leur couleur de peau et suivent des trajectoires variées. Ce beau sujet reste encore largement à explorer et de nombreuses archives modernes et révolutionnaires bordelaises attendent d’être analysées sous le prisme de la question noire.
Pièces justificatives
Affranchissement de Dominique Toscan par François Castaing. — Contrat d’apprentissage entre Jean-Martin Bergot et Pierre d’Étan aîné. — Contrat de mariage entre Louis Lafleur et Rosalie. — Contrat de vente entre Casimir Fidèle et Marie-Louise Charles. — Contrat de mariage entre Jean-François Février et Nancy Draveman.
Annexes
Liste des passagers de couleur à l’arrivée de Bordeaux. — Liste des passagers de couleur au départ de Bordeaux. — Liste du personnel navigant de couleur sur les navires bordelais. — Recensement des Noirs esclaves en 1777. — Recensement des libres de couleur en 1777. — Liste des baptêmes de néophytes africains à Bordeaux. — Liste des enfants de couleur nés à Bordeaux. — Liste des mariages célébrés à Bordeaux impliquant des personnes de couleur. — Contrats d’apprentissage de jeunes hommes de couleur. — Recensement des gens de couleur en 1807. — Fiches biographiques.