Paris, le 11 décembre 2012
Journée d’études organisée par le centre Jean-Mabillon (EA 3624) avec le soutien des Archives nationales.

- Caroline Bourlet (IRHT), Isabelle Bretthauer (Université Paris-VII), Julie Claustre (Université Paris-I), Le marché de l'acte à Saint-Germain-des-Prés (1270-1440)
- Olivier Guyotjeannin (École nationale des chartes), Le recours à l'officialité (XIIIᵉ-XIVᵉ siècles)
- Valentine Weiss (Archives nationales-Département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime), La gestion domaniale à Saint-Germain-des-Prés au XVIᵉ siècle : continuité et ruptures
- Valentine Weiss (Archives nationales-Département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime), Le cas d'un conflit de censive à Saint-Germain-des-Prés au XVIᵉ siècle
- Diane Roussel (Université de Reims), L'écrit judiciaire à Saint-Germain-des-Prés au XVIᵉ siècle, une pratique sociale
- Marc Smith (École nationale des chartes), Les signatures des actes notariés : essai de socio-typologie graphique (XVIᵉ-XVIIᵉ siècles)
- Fanny Mion-Mouton (Enssib), L'hôpital des Incurables et l'écrit (XVIIᵉ-XVIIIᵉ siècles)
- David Feutry (Université de Besançon), Les clientèles du faubourg Saint-Germain au XVIIIᵉ siècle
- Marie-Françoise Limon-Bonnet (Archives nationales-Minutier central des notaires de Paris), Christine Nougaret (École nationale des chartes), L'écrit dans l'écrit. Papiers d'affaires et personnels dans les inventaires après décès dressés dans le quartier Saint-Germain (première moitié du XIXe siècle)
Caroline Bourlet (IRHT), Isabelle Bretthauer (Université Paris-VII), Julie Claustre (Université Paris-I), Le marché de l'acte à Saint-Germain-des-Prés (1270-1440)
Dans le prolongement des travaux entrepris dans le cadre des colloques Tabellions et du cycle thématique de deux ans du séminaire sur Paris au Moyen Âge (« Les acteurs de l’écrit » 2010-2012), il a été procédé au dépouillement systématique des fonds d’archives de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, dont le champ chronologique a été étendu jusqu’au milieu du XVᵉ siècle afin de nous permettre d’étudier l’offre d’actes aux périodes où dans Paris, la juridiction gracieuse du Châtelet semble l’avoir emporté sur celle des officialités. D’une part, le bourg de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés reste une entité différente de Paris au Moyen Âge, même si les économies et les règles sociales des deux villes voisines sont symbiotiques. D’autre part, le chartrier de l’abbaye comporte de nombreux actes touchant aux censives et possessions de l’abbaye hors de la zone urbanisée autour de Paris. Nous appuyant sur les six centaines d’actes émanant des juridictions autres que les officialités, nous proposons d’identifier l’offre d’actes, de préciser les caractères formels des écrits émanés des différentes juridictions et de préciser la géographie et la sociologie des notaires et des clientèles. Retrouve-ton les caractères formels des actes du Châtelet de Paris dans les actes des juridictions extérieures ? Peut-on retrouver un personnel commun aux différentes juridictions ? Qui passe des actes et pour quels types de transactions ? La localisation des contractants et des biens entraîne-t-elle des choix spécifiques de juridiction ?
Olivier Guyotjeannin (École nationale des chartes), Le recours à l'officialité (XIIIe-XIVe siècles)
Le thème retenu s'inscrit dans une recherche menée parallèlement dans les chartriers de trois institutions ecclésiastiques parisiennes au profil et à l'implantation variés : Saint-Magloire (fonds accessible dans la précieuse édition d'Anne Terroine et Lucie Fossier, et présenté au colloque sur Les officialités dans l’Europe médiévale et moderne, Troyes, 27-29 mai 2010), Saint-Germain-des-Prés (dépouillements achevés, confiés à Isabelle Bretthauer), chapitre cathédral de Notre-Dame (dépouillements en cours). Il s'agit en premier lieu de voir en quoi, au fil du XIIIe siècle, la chronologie du recours aux divers acteurs de la juridiction gracieuse ecclésiastique (officialités épiscopale et archidiaconale) peut varier d'un client à l'autre ; en deuxième lieu, de mener une analyse fine sur le personnel des clercs jurés d'officialité, désignés par leur signature dans la seconde moitié du siècle, pour préciser leur profil et dégager d'éventuels phénomènes de spécialisation des clientèles ; et en troisième lieu, de mesurer le mélange de stéréotypie et de micro-variations des formulaires, de baliser finement l'introduction de clauses savantes et de pratiques communes avec l'art notarial, d'analyser enfin la transmission de ces modèles rédactionnels aux notaires royaux du Châtelet, passant par des canaux variés : circulation des hommes, captation des clauses par translation du latin au français…
Le dossier germanopratin est riche, de 1225 à 1300, de 171 actes d’officialités (à se limiter aux originaux trouvés dans les séries L et S des Archives nationales), à rapporter aux 92 actes de Saint-Magloire (1232-1300). Même si l’abbaye était exempte et dotée de toutes les compétences et institutions judiciaires afférentes à cet état, l’officialité épiscopale jouait un rôle écrasant, pesant largement sur la vie de la censive. Les actes se répartissent comme suit, suivant une distribution chronologique très proche de celle de Saint-Magloire : 150 actes émanés de l’officialité épiscopale (87 %), 18 des officialités archidiaconales périodiquement relancées (10 %), 3 de l’officialité abbatiale (le chartrier conserve aussi 2 actes du prévôt de l’abbaye).
Après des débuts très modestes, les années 1230 voient la densification des actes de juridiction gracieuse et la diversification des négoces, que dominent les opérations sur les rentes. Au mieux de sa forme dans les années 1260-1270, l’officialité allonge ses actes, en démultipliant les clauses, en puisant terminologie (instrumentum publicum, tabellio…) et renonciations progressivement plus complexes au droit savant et à la pratique des notaires publics (royaux et apostoliques) avec qui, par-delà la spécificité des habillages diplomatiques et sigillographiques, les contacts sont aussi denses que discrets.
On ne saurait trop insister, pour sa capacité de révélation, sur l’introduction de la « signature » (en fait la simple écriture, souvent très abrégée et sous le repli de l’acte, du nom du « notaire » prenant la responsabilité de l’acte avant scellage par l’official). Le processus en fait ne peut avoir été imposé d’en haut, tout au plus recommandé, voire adopté au terme d’une diffusion de proche en proche. Les deux premières signatures apparaissent en 1255 (comme à Saint-Magloire) et 1256 ; la pratique se densifie dès la seconde moitié des années 1250, mais ne touche alors qu’une moitié des actes. Elle devient quasi systématique au fil des années 1270-1280, tout en laissant de rares vides. Son témoignage est tout aussi capital pour définir les contours du groupe des rédacteurs d’actes. Il apparaît clairement que, le succès aidant, le groupe primitif des « clercs notaires jurés », adjoints de l’official, préparant des actes courts, au formulaire strict, a été remplacé ou épaulé par des rédacteurs au profil plus large et au statut plus lâche, écrivains publics plutôt « agréés » par l’official qu’agrégés à ses bureaux. Leur nombre élevé, au moins 55 individus sur 45 ans, la marge laissée aux variations de formulaire, la variété du recours aux clauses savantes, les grandes disproportions dans leur activité, sont autant de caractéristiques essentielles, relevées du reste dans les actes de Saint-Magloire (6 notaires seulement se retrouvent dans les actes des deux chartriers).
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Valentine Weiss (Archives nationales-Département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime), La gestion domaniale à Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle : continuité et ruptures
La gestion domaniale de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, grand propriétaire foncier parisien, offre jusqu’à la fin du XVe siècle un certain nombre de caractéristiques propres avec un corpus très désordonné qui fait de cet établissement le plus difficile à étudier après Saint-Magloire. Une répartition par office, une campagne de reliure au XVIe siècle et une organisation parfois alphabétique des registres qui évolue vers une répartition par recettes et dépenses caractérisent la comptabilité de cette abbaye. Au début du XVIe siècle, cette gestion évolue peu, comme en témoignent deux comptes de receveurs de l’abbaye, l’un de l’infirmier et pitancier Guillaume Guerry en 1509-1510 et l’autre tenu par le chevecier Henri de Crusy pour l’abbé Guillaume V Briçonnet en 1511-1512. À la suite de la réforme monastique mise en place en 1513 à Saint-Germain-des-Prés, la gestion domaniale va être complètement modifiée. Le premier registre de 1514-1515 de Ravaud du Mesnil, receveur de l’abbaye et bourgeois de Saint-Germain, est tenu pour l’ensemble de la mense conventuelle : il n’y a plus qu’un seul registre tenu par un laïc et non plus par office comme on le voyait au Moyen Âge, même si les revenus de l’abbé, du pitancier, du trésorier, du chantre, du sous-chantre, du cenier et du prévôt sont successivement énumérés en des chapitres distincts.
Les registres sont conservés jusqu’en 1548 avec deux receveurs, Ravaud du Mesnil puis Maurice Moye. Après 1548, la comptabilité est inexistante dans les archives. Un seul registre subsiste, celui de 1595 tenu par un laïc, Claude Locquet, sieur de L’Espine, fermier amodiateur. Il présente, en fin de manuscrit, un acquit de sa veuve, Arthuze Bailly.
La propriété des deux receveurs Ravaud du Mesnil et Maurice Moye est connue : ils vivent à proximité de l’abbaye, l’un étant propriétaire de l’Écu de France, de la maison du Mouton et de l’Image Sainte-Catherine, rue de la Boucherie, dans la grande rue Saint Germain, l’autre, Maurice Moye, habitant rue Saint Supplice (auj. des Canettes) à l’angle de la rue du Four dans deux maisons contiguës. Il donnera à son fils, qui est curé, la maison de l’Image Saint-Claude.
En matière d’audition, les deux receveurs bourgeois rendent leurs comptes, non pas à l’abbé, comme cela se faisait jusqu’à la réforme, mais au vicaire, grand prieur de Saint-Germain-des-Prés. Ainsi, le compte de Ravaud du Mesnil de 1516-1517 est rendu le 23 août, en latin, devant Michel de Nève, vicaire de l’abbé Guillaume Briçonnet, accompagné du paraphe du vicaire et de la signature du receveur lui-même qui souscrit la clôture de son registre. Vicaire et receveur apposent leur paraphe en même temps que d’autres religieux de l’abbaye. Pour l’audition du compte de Maurice Moye de 1530-1531, il en va de même : il est rendu, comme annoncé dans l’incipit, le 15 avril 1531 devant le vicaire Simon Clou dont le nom figure dans la formule d’audition sous forme de paraphe avec Placide Legier qui sera vicaire à deux reprises. La signature de Maurice Moye ne figure pas ici, mais dans le registre de 1537-1538 avec celui du vicaire, Pierre Gouscon, le 31 janvier 1539. Dans les comptes de ce receveur, il faut noter deux caractéristiques : avant l’incipit du compte figurent les lettres de provision signées des deux notaires et, après la formule de clôture, un long paragraphe énumérant les religieux présents atteste des sommes définitives pour l’année et porte la signature des deux notaires, Jean Dupré et Raymond d’Orléans pour le compte de 1530-1531, Jean et Claude Boreau à partir de celui de 1537-1538. Les auditeurs présents sont des religieux liés aux différents offices claustraux, par exemple pitancier ou cellérier, parfois l’abbé, mais de moins en moins sous le régime des abbés commendataires qui s’occupent fort peu de comptabilité, sauf en 1538 où l’abbé François de Tournon, soucieux de récupérer les revenus domaniaux, se mêle de désigner le vicaire alors que ce dernier est, selon la réforme, désigné par le chapitre général de Chezal-Benoît.
La décoration des registres caractérise la comptabilité domaniale de Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle. Dans la même veine que le livre du pitancier de 1259 qui commence par deux superbes enluminures illustrant la remise du livre à l’abbé et le roi fondateur, Childebert Ier, l’enluminure à l’incipit du compte de Ravaud du Mesnil représente une Piéta entourée des deux patrons de l’abbaye, saint Germain avec sa crosse et saint Vincent reconnaissable à sa palme de martyr et son livre. Le compte du chevecier Henri de Crusy de 1505-1506 présente trois lettres figurées ; un religieux de l’abbaye et plus curieusement, le profil droit d’un personnage à bonnet que l’on observe plus souvent dans des comptes de collèges comme ceux de Beauvais ou surtout de Fortet de la fin du XVe siècle. Les lettres figurées des manuscrits de Maurice Moye se reproduisent d’année en année et ont pour thème de prédilection, soit un profil droit, soit des oiseaux de proie fonçant sur des poissons, motifs en série que l’on retrouve dans les registres de Sainte-Geneviève dans les années 1546-1550.
Les reliures des registres sont, soit estampées à froid à petits fers, avec décor en forme de gril de Saint-Laurent, à la parisienne, comme pour le compte d’Henri de Crusy de 1505-1506, soit à décor Renaissance à motifs de vases, comme pour le registre de comptes de Guillaume Guerry en 1509-1512 ou celui de Ravaud du Mesnil en 1514-1517.
Le registre de 1523-1524 est assez exceptionnel. Dernier compte conservé de Ravaud du Mesnil, receveur depuis 1514, il présente, outre la miniature à l’incipit, des titres courants pour les différents offices, au verso les offices concernés et au recto les lieux concernés, Paris ou Saint-Germain, et se caractérise par une alternance de pieds de mouches bleus et rouges pour les noms de rues et les articles.
Les tables offrent peu de variante par rapport au Moyen Âge et sont conçues selon le même classement alphabétique de prénoms : les lettres L et M regroupent des articles mêlés commençant par « la vefve » ou par « maistre ». Ces tables sont portées au début des registres de Ravaud du Mesnil et de préférence à la fin de ceux de Maurice Moye.
Enfin, en matière de salaire, le paiement des receveurs du début du XVe siècle se montait à une dizaine de livres. Dans le registre d’Henri de Crusy de 1505-1506, la recette est portée en denier parisis, la dépense en tournois. Le pitancier Guillaume Guerry reçoit 20 livres tournois de gage, montant invariant. Les frais de compte (minute et double) oscillent entre 40 et 50 sous tournois, l’encre et le papier coûtant 10 sous tournois. En revanche, alors qu’il s’élevait initialement à 40 livres tournois en 1531-1532, le paiement du receveur bourgeois qui tient la totalité de la mense est passé à 50 livres tournois en 1538-1539 avec des frais de compte de 10 livres tournois pour la minute et le double. Par ailleurs, à la différence des registres médiévaux, il n’est fait aucune mention de quelconques clercs chargés de leur rédaction.
La gestion domaniale a par conséquent des caractéristiques propres au XVIe siècle qui voit l’abandon de la répartition par office des registres domaniaux, le passage d’un receveur choisi parmi les officiers de l’abbaye à des receveurs bourgeois qui apportent à leur registre un soin particulier tant dans la reliure que dans les enluminures ou les lettres ornées.
Contact : valentine.weiss@culture.gouv.fr
Valentine Weiss (Archives nationales-Département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime), Le cas d'un conflit de censive à Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle
L’étude d’un plan de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, connu comme étant le « plan du monastère », illustre l’étude de la comptabilité domaniale du début du XVIe siècle. Ce plan, qui comporte, au verso, des pliures et, au recto, des indications topographiques et manuscrites, est en effet un plan de censive, ce qui présente un certain nombre de problèmes, notamment l’identification du dossier d’origine dont il a été extrait. Le plan illustre un conflit relatif au Pré aux Clercs remontant au XIIIe siècle entre l’Université et l’abbaye, et qui resurgit en 1548 à l’occasion de la construction d’une infirmerie.
La date approximative portée sur le plan est corroborée par la représentation de l’hôtellerie du Chapeau rouge, postérieure à 1539, et celle de la porte papale, close par arrêt de 1551. L’arrêt définitif de cette affaire va se dérouler de 1548 à 1551. Le plan de Truschet et Hoyau, contemporain, montre les différents éléments du plan de 1548 : moulin, chapelle, abbaye, hôtellerie, pilori. Dom Bouillart, en 1724, dans son Histoire de l’abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés, l’a utilisé et commenté en le redessinant, mais en le datant à tort de 1368. Albert Lenoir, en 1867, dans sa Statistique monumentale, lui attribue la date de 1541 en raison d’un conflit similaire à propos de la construction d’un mur, puis Adolphe Berty, en 1876 dans le tome III de sa Topographie historique du vieux Paris, reprend les mêmes éléments en le datant correctement.
Le conflit de 1548 est lié à la construction par l’abbé d’une infirmerie perpendiculaire au cloître et ayant vue sur le Pré aux Clercs. L’infirmerie et le mur construit en 1541 sont alors contestés par les écoliers et par l’Université. Le principal du collège de Presles va même inciter les écoliers à exprimer leur point de vue par la force et, au début du mois de juillet 1548, ces derniers vont pratiquer deux brèches dans le mur, brèches qui sont figurées sur le plan.
Le conflit porté devant le Parlement par les deux protagonistes est mentionné dans deux inventaires de titres de Saint-Germain-des-Prés, de 1652 et de 1790. La layette E du premier, relative aux foires de Saint-Germain, indique, sous la cote E 84, un arrêt du Parlement de 1548 et, sous la cote E 86, un arrêt de 1551. Consulté dans l’espoir de déterminer le dossier d’origine du plan, l’inventaire des titres de 1790 livre plus de précisions : l’arrêt de la cour de juillet 1548, l’« appointement de réception des figures » en 1550 et l’arrêt du Parlement du 14 mai 1551, qui clôt l’affaire, sous les cotes 5.5.8, 5.5.10 et 5.5.11. Les documents originaux correspondant aux mentions énoncées ci-dessus se retrouvent parfois dans l’un ou l’autre fonds des deux parties en présence.
Par arrêt du Parlement du 10 juillet 1548, deux commissaires appointés trois jours plus tôt et des anciens désignés par accord des deux parties se rendent sur place pour identifier les limites du Pré aux Clercs et déterminer si le chemin est public ou s’il relève de la censive de Saint-Germain-des-Prés. Ils sont accompagnés de « Guillaume Rondel pour painctre, Nicolas Girard pour arpenteur juré avec Nicollas Girard, son filz, pour porter les cordeaulx et fiches » et il est expressément stipulé que le peintre figurera l’infirmerie à l’origine de l’affaire, « ainsi qu’elle est de present », de manière à ce que le Parlement puisse juger en connaissance de cause.
L’arrêt du Parlement du 21 janvier 1549 (n. st.) est important. Il mentionne que les écoliers ayant empêché la réalisation de la figure, le prévôt des marchands et le lieutenant criminel doivent dépêcher archers et sergents pour accompagner les commissaires et veiller à ce « qu’il soit procedé et continué au faict de ladite figure » et qu’il en sera référé au roi. Ce dernier, dans des lettres closes du 23 janvier 1550 et du 22 juin 1550, demande au Parlement de faire cesser les désobéissances des écoliers en employant la « main roidde » contre eux en cette affaire et d’expédier le procès de ceux inculpés d’excès au Pré aux Clercs.
L’arrêt du Parlement du 18 juillet 1550 indique qu’à cette date le plan en question est fait et reçu par la Cour qui a désormais matière pour statuer sur le fond. La réalisation du plan dont la confection a été ordonnée le 10 juillet 1548 est donc effectuée entre le 21 janvier 1549 et le 18 juillet 1550.
L’arrêt définitif du 14 mai 1551 récapitule tous ces arrêts et mentionne « les peintres » sans faire état de leur identité, la « figure » qui devait être jointe à l’enquête et sa réception par le Parlement. Il statue que le chemin est public et royal, que toutes les allégations de Saint-Germain-des-Prés sont fausses et non avenues. L’Université obtient donc gain de cause, ce qui explique la part réduite de cette affaire dans l’œuvre de Bouillart, l’historien de l’abbaye et, au contraire, la transcription intégrale des deux arrêts de 1548 et de 1551 par Du Boulay, l’historien de l’Université.
À l’occasion de ces multiples conflits entre l’Université et Saint-Germain-des-Prés, plusieurs mémoires sont rédigés, en particulier un opuscule publié anonymement par Du Boulay à Paris en 1675 sous le titre de Mémoires historiques sur la propriété et seigneurie du Pré aux Clercs. Dans sa réédition de 1737, conservée dans le fonds de l’Université, Pourchot indique curieusement qu’à la suite de l’arrêt de 1551, un bornage est réalisé. Il est indiqué sur deux plans conservés dans le fonds de l’Université et dans la série N, factice, provenant très probablement de Saint-Germain-des-Prés, par 37 bornes, avec une différence pour les bornes 34 à 36.
Il convient de remarquer que malgré les recherches dans les différents dossiers, celui d’origine n’a pu être réellement identifié pour ce plan de censive qui correspond à la période des receveurs bourgeois et à l’abbatiat très controversé de François de Tournon. L’auteur du plan est le peintre Guillaume Rondel, bien connu par ailleurs, mais pour lequel ce type d’activité était jusqu’alors inconnu.
Contact : valentine.weiss@culture.gouv.fr
Diane Roussel (Université de Reims), L'écrit judiciaire à Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle, une pratique sociale
Instance judiciaire encore très active au début de l’époque moderne, le tribunal seigneurial de Saint-Germain-des-Prés offre au chercheur une masse documentaire sans équivalent quand les archives des autres juridictions parisiennes s’étiolent ou ne subsistent plus qu’à l’état d’épaves pour le XVIe siècle [pour une présentation des fonds judiciaires parisiens au début de l’époque moderne, voir Diane Roussel, Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Seyssel, 2012]. L’objectif de cette étude est d’interroger les sources germanopratines non pas sous l’angle habituel de l’histoire de la criminalité mais comme le lieu d’une interaction entre l’institution et la société : pratique administrative exercée par les praticiens du droit et les détenteurs du pouvoir judiciaire, l’écrit judiciaire est l’un des indices et des instruments du triomphe de la « justice savante », érudite, technique et officielle sur les modes « rustiques » de règlement des conflits [A. Manuel Hespanha, « Savants et rustiques. La violence douce de la raison juridique », dans Ius commune, n° 10, 1983, p. 1-48] ; il est aussi le produit d’un échange, certes inégal, entre l’institution judiciaire et les habitants du faubourg, une pratique sociale et culturelle qui participe de l’entrée des sociétés traditionnelles dans le monde de l’écrit.
Le fonctionnement de la justice seigneuriale de Saint-Germain-des-Prés configure les formes de l’écrit. Portés devant la justice, les différends ordinaires deviennent des récits soumis aux règles et aux contraintes d’une procédure inquisitoire façonnée par la pratique d’un tribunal de proximité, c’est-à-dire pour l’essentiel mu par les plaintes que lui adressent les justiciables pour régler leurs conflits ordinaires. L’institution sollicitée réalise une opération de mise en conformité de la parole populaire à ses propres besoins et principes. Le greffier apparaît ici comme un personnage central de cette médiation. Il n’est toutefois pas le seul à contribuer à la standardisation de la narration : les justiciables eux-mêmes vont au-devant des attentes de l’institution, selon les ressources dont ils disposent en fonction de leur position de locuteur (plaignant, défenseur, témoin de l’accusation). En outre, le recours à la justice apparaît comme une pratique socialement différenciée : gens du « bon commun » des métiers et de la boutique et officiers du faubourg usent de la plainte en justice comme d’un outil de distinction.
Le saisissement de la justice officielle constitue le premier pas d’une démarche de judiciarisation des conflits ordinaires, mais qui n’est pas le seul moyen de règlement des conflits. De même qu’entre oral et écrit les frontières sont poreuses, les liens entre justice institutionnelle et modes extra-judiciaires sont nombreux. Par nature, les formes extra-judiciaires sont plus difficiles à pister pour l’historien puisque la documentation judiciaire ne les évoque qu’exceptionnellement et ne donne pas les raisons du très fort taux d’évaporation des affaires en cours de procédure ; ce phénomène, typique des justices inférieures, est l’indicateur vraisemblable d’un recours fréquent aux formes de l’accommodement privé. En prolongeant les remarques formulées par Alfred Soman, qui observait la montée en puissance au cours du XVIe siècle de la composition privée pour les crimes mineurs à Paris [Alfred Soman, « L’infra-justice à Paris d’après les archives notariales », dans Histoire, économie et société, 1, 1982, p. 369-375], on peut se tourner vers les archives notariales du faubourg pour étudier les conditions de l’accommodement privé dans les premières années du XVIIe siècle. L’accord notarié entre les parties en conflit interrompt le procès en cours par la reconnaissance publique des torts respectifs valant réparation d’honneur et/ou par le règlement de dommages financiers versés à la victime. Le juge et le notaire incarnent ainsi deux facettes, certainement plus souvent complémentaires que concurrentes, de la fonction régulatrice des instances judiciaires et permettent d’approcher la culture judiciaire de la société germanopratine.
De manière plus anecdotique, les sources criminelles peuvent être révélatrices de la place de l’écrit et de sa valeur symbolique dans l’espace social germanopratin. Le faubourg Saint-Germain évolue dans l’orbite culturel de la capitale et connaît des taux d’alphabétisation élevés selon les estimations que l’on peut tenter d’après les signatures des témoins. Aux portes de Paris, l’écrit n’a donc pas le caractère sacré, voire magique, qu’il peut revêtir dans les sociétés rurales les plus reculées ; il demeure cependant le support d’un pouvoir réel, voire une arme. Les diverses formes de contestation des décrets et commandements de justice délivrés par les sergents peuvent éclairer les effets de l’écrit officiel et légitime dans la société germanopratine, la fragilité de sa reconnaissance mais aussi, en creux, sa capacité à créer du droit. Lorsqu’il est illégitime, l’écrit public prend la forme de « placard diffamatoire » condamné par la justice ; cette pratique est cependant encore très marginale au début de l’époque moderne à Saint-Germain-des-Prés.
Contact : diane.roussel75@gmail.com
Marc Smith (École nationale des chartes), Les signatures des actes notariés : essai de socio-typologie graphique (XVIᵉ- XVIIᵉ siècles)
L’histoire de la signature s’est volontiers attachée à sa valeur plus qu’à sa forme. Quant à l’examen sériel des signatures comme indice sociologique d’alphabétisation, il s’est limité à les évaluer sur une échelle de plus ou moins grande habileté, comme si elles dérivaient d’un modèle d’écriture commun. Or au début de l’époque moderne les modèles sont multiples, en particulier dans la période à cheval sur les XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, remarquable d’inventivité, véritable moment « maniériste » dans l’écriture comme dans les autres arts. Et les divers types alors enseignés et employés se répartissent largement en fonction de paramètres sociaux qui restent entièrement à découvrir. Les signatures, même en faisant la part de la stylisation et de l’ornementation propres à une marque individuelle, reflètent la typologie commune : ainsi la documentation notariale – choisie pour l'occasion dans les études du faubourg Saint-Germain-des-Prés ou proches de celui-ci – grâce à la signature obligatoire des parties et des témoins, et aux renseignements fournis sur les individus concernés, offre une clé d’interprétation unique du paysage graphique de la première modernité.
Fanny Mion-Mouton (ENSSIB), L'hôpital des Incurables et l'écrit (XVIIe- XVIIIe siècles)
Au cours de l'époque moderne, et principalement au XVIIIe siècle, une véritable évolution se fait jour dans le domaine de l'utilisation de l'écrit dans les hôpitaux. Les liens entre l'institution hospitalière et l'écrit peuvent s'envisager de plusieurs façons : méthodologiquement et historiquement.
Méthodologiquement, le travail du chercheur se trouve modifié par la place grandissante qu'occupe l'écrit dans l'hôpital de l'époque moderne, et dans la société des XVIIe et XVIIIe siècles. De plus en plus variés, les types de documents auquel l'historien peut avoir accès l'incite à élargir sa conception de l'histoire hospitalière. Dans le cas de l'hôpital des Incurables, qui nous intéresse ici, il est possible, au moyen des sources écrites variées qu'offre le fonds (conservé aux Archives de l’Assistance publique de Paris), d'étudier ainsi l'hôpital, non seulement dans sa dimension d’institution ou de lieu d’accueil et de soins, mais également comme un objet d'histoire ouvert, prisme à travers lequel se reflète la société toute entière. Une population très nombreuse et très hétérogène, qui rassemble toutes les catégories sociales, gravite autour de l'hôpital des Incurables. Afin de procéder à l'identification de ces acteurs de l'hôpital, l'historien a à sa disposition divers types de documents : quittances de fourniture, dossiers de malades, écrits administratifs, plans ou gravures, relevés de comptes... L'exploitation, au Minutier central des notaires de Paris, d'actes notariés (inventaires après décès, baux de location...) se rapportant à ces individus permet, par la suite, de déterminer plus précisément leurs niveaux sociaux, pratiques et usages familiaux, politiques, commerciaux et culturels et d'identifier de possibles liens entre eux. De plus, l’étude des actes notariés, croisée avec celle des archives courantes de l’hôpital permet d’envisager un suivi longitudinal des familles et de mettre en lumière la continuité et la multiplicité des liens qui les unissent à l’hôpital, souvent durant plusieurs générations.
La considération de tous ces types de documents permet de développer notre connaissance d'aspects méconnus de l'histoire de l'hôpital, mais aussi de considérer l'utilisation de l'écrit dans l'hôpital comme un objet d'étude à proprement parler. Afin de permettre une gestion facilitée des aspects administratifs, en particulier concernant l'attribution des baux locatifs et l'entrée des malades dans l'établissement, l'hôpital des Incurables de Paris semble être, sur ce point, particulièrement précoce, en mettant en place très tôt un système de formulaires pré-imprimés. Dès 1713, l'hôpital se dote notamment de dossiers de malades afin de formaliser l'entrée de chaque malade. Ces dossiers rendent compte d'un début de bureaucratisation de l'administration de l'hôpital et d’une organisation très pointilleuse des démarches d'admission. À l'instar des administrateurs, les receveurs et les économes des Incurables veillent à l'introduction, à l'utilisation régulière du formulaire d'entrée et à la constitution minutieuse des dossiers de nominations des malades. Cette importance renouvelée de l'écrit a des conséquences sur la gestion des archives de l'hôpital, conservées, classées et tenues par un archiviste, qui devient un personnage de plus en plus important de l'administration hospitalière. Les administrateurs sont conscients du rôle politique, administratif et financier de leurs archives, mais aussi de leur importance patrimoniale et mémorielle. Cette politique consciencieuse se traduit par un soin particulier apporté aux conditions et lieux de conservation des documents. Outre la place de l'archiviste, l'importance de l'écrit dans la gestion de l'hôpital induit des transformations administratives. L'utilisation systématisée de l'écrit et du formulaire imprimé fait du travail d'administrateur de l'hôpital une tâche plus ardue, demandant des compétences plus précises et une organisation du travail du bureau en conséquence. D'autres acteurs de l'hôpital, comme le receveur et l’économe, voient leur position renforcée par l'importance de l'écrit.
Miroir de l'évolution administrative et sociale de l'hôpital des Incurables de Paris, l'écrit et notamment les actes notariés, offrent à l'historien une vision renouvelée de l'histoire de l'établissement. Ils mettent notamment en valeur la professionnalisation des différents métiers des gestionnaires de l'hôpital, visible dès le XVIIe siècle, et avérée au XVIIIe siècle, qui augure du passage d'un hôpital de charité à un hôpital dirigé de façon administrative.
Contact : fanny_mionmouton@hotmail.fr
David Feutry (Université de Besançon), Les clientèles du faubourg Saint-Germain au XVIIIe siècle
Si le notaire est un homme du quotidien par son emploi régulier et presque systématique, c’est parce qu’il joue bien plus qu’un rôle dans l’authentification des actes. Il est aussi au cœur de l’information et des réseaux, notamment d’argent. En s’interrogeant sur les clientèles des notaires du faubourg Saint-Germain, qui s’étend d’est en ouest de l’abbaye de Saint-Germain des Prés aux Invalides, il s’agit de poser les premiers jalons d’une réflexion sur la question complexe du choix du notaire. Pourquoi choisir un notaire plutôt qu’un autre ? Le corollaire de cette question renvoie à la notion de « clientèle », appliqué chez les notaires du faubourg Saint-Germain : l’ensemble des clients réguliers ou occasionnels des notaires constitue une clientèle dont il est possible de délimiter grossièrement les contours sociaux, afin de dresser une sorte de profil sociologique de la fréquentation de chaque étude, ce que Jean-Paul Poisson avait déjà essayé de mettre en avant dans certains de ses articles, en s’intéressant au profil sociologique de la clientèle des notaires au XXe siècle. Pour cette étude centrée sur le XVIIIe siècle, il ne faudrait pas pourtant se méprendre sur le choix qui est dans la majorité des cas, opportuniste, aléatoire ou simplement géographique. Il semble cependant que pour les élites urbaines, ce choix revête un caractère particulier qu’il s’agit d’expliquer, notamment dans ce quartier devenu à la mode et de plus en plus investi par la noblesse de cour ou de robe.
La première étape est évidemment de préciser les conditions de l’élaboration de l’échantillon, en soulevant toutes les limites d’un tel raisonnement. L’échelle du quartier ne permet pas de saisir les choix qui dépassent ce cadre restreint. Afin de donner une pertinence au propos, il a été choisi d’étudier les études I, VIII, XXVII, XLIV, XLVI, CVI, concentrées toutes autour de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et donc placées dans une situation de concurrence. Les dépouillements ont été réalisés pour trois années : 1730, 1750 et 1770, afin d’essayer de saisir les changements éventuels dans la clientèle des notaires.
L’exploitation des résultats montre dans un premier temps une activité nettement différenciée entre les études, allant du simple au triple : alors que l’étude XLVI ne traitait que 327 actes dans l’année 1730, l’étude I en donnait 927. Cette différenciation s’expliquait par la temporalité propre de l’exercice de l’activité de chaque notaire : avec l’ancienneté, il se constituait une clientèle fidèle et régulière. La différence majeure et la plus importante concerne le public de ces notaires. Alors qu’ils sont voisins, parfois distants de quelques maisons, ils sont loin de tous attirer la même clientèle. Après analyse des répertoires et des minutes, il est indéniable que toutes les études n’accueillent pas le même public. On peut distinguer en 1730 les études à forte présence noble, notamment les études I et VIII. À l’inverse, l’étude XXVII, ne comprend pratiquement aucun nom de la haute noblesse. Il s’agit d’une étude largement populaire ou mixte, ou se côtoient les petits officiers, boutiques ou simples travailleurs. C’est bien l’exception du quartier.
Le corollaire de cette différenciation sociale est la nette distinction des actes faits par chacun des notaires. Dans les études I et VIII, celles de la haute noblesse, on trouve une surreprésentation des actes économiques : en 1730, 30 % des actes du notaire Le Prévost concernaient les constitutions, obligations et quittances, faites souvent par la haute noblesse de cour, souvent débirentière d’ailleurs. Plus de 40 % des actes concernaient les procurations données par la noblesse pour signer des actes en leur nom ou des baux, notamment à ferme.
À l’inverse, dans l’étude XXVII, nettement moins élitiste, les actes économiques sont bien moins nombreux (moins de 10 %), alors que certains actes, comme les apprentissages représentent plus de 5 %, les contrats de mariages représentent 10 % de son activité.
Il est certain que la fréquentation de certains personnages a induit la rédaction de certains actes. Mais à l’inverse, il est certain que la pratique même et l’offre de certains notaires attira les particuliers. Dans ces cas, le notaire dépassait son simple rôle d’exécutant chargé d’authentifier les actes. Il multipliait les services, lui permettant par la même occasion d’éliminer la concurrence des autres notaires, cantonnés aux activités traditionnelles. Le notaire joua au cours du siècle le rôle d’un banquier, avec des services très précis et très prisés pour la haute noblesse.
Contact : dfeutry@laposte.net
Marie-Françoise Limon-Bonnet (Archives nationales-Minutier central des notaires de Paris), Christine Nougaret (École nationale des chartes), L'écrit dans l'écrit. Papiers d'affaires et personnels dans les inventaires après décès dressés dans le quartier Saint-Germain (première moitié du XIXe siècle)
En 2007 Claire Dolan mettait en évidence la présence de registres domestiques dans les inventaires après décès des parlementaires aixois, apportant par la même à la connaissance des écrits personnels des sources nouvelles, non conservées dans les fonds d’archives privées.
Cette démarche de recherche, conduite pour le milieu du XVIIe siècle, a inspiré les deux auteurs de la présente communication, qui ont souhaité l’adopter pour le XIXe siècle, afin de repérer les papiers personnels de quantité d’anonymes qui n’ont pas laissé d’archives, et d’évaluer la place de la mémoire écrite dans leur vie et leur patrimoine.
Les auteurs ont choisi de soumettre à ce questionnement un corpus significatif d’inventaires après décès produits dans la première moitié du XIXe siècle par les notaires du faubourg Saint-Germain, quartier de grande diversité où toutes les strates de la société sont encore représentées au début de la Monarchie de Juillet, comme le montrent les enseignements sociologiques de la communication (les prisées s’étirent de 57 Fr. pour une brodeuse, à 62 687 Fr. pour un ancien caissier de la Compagnie des Indes), avant une hausse remarquable de la bourgeoisie aisée dans ce secteur de Paris. 163 inventaires après décès, sélectionnés par tranche chronologique décennale de 1810 à 1850, ont été analysés. Ils proviennent de deux études du 10e arrondissement ancien de Paris situées pour l’une au carrefour de la Croix-Rouge (étude XXIX) et pour l’autre rue du Bac (CVII).
Premier constat, l’inventaire après décès est loin d’être systématique : environ 15 % des décès sont suivis de cette démarche. L’inventaire est un acte conservatoire, destiné à préserver le patrimoine, qui répond à un contexte juridique précis : présence d’enfants mineurs, conjoint survivant, dettes importantes présumées, etc.
Deuxième constat, l’inventaire obéit à un formalisme juridique bien précis, à la suite de la loi de ventôse an XI : il décrit pièce par pièce du domicile du de cujus les biens meubles qui s’y trouvent, avec leur prisée, éléments qui ont été très exploités par les historiens de la culture matérielle, et se termine par la liste des « titres, papiers et enseignements » du défunt, énumération délaissée ordinairement par les historiens.
L’analyse de l’échantillon montre que la quasi-totalité de ces inventaires comporte une partie consacrée aux papiers (123 sur 135 dans la seule étude XXIX), mais ce ne sont pas tous les papiers du défunt. Il s’agit visiblement de ceux qui sont jugés utiles par le notaire au règlement de la succession. Ils sont énumérés d’ailleurs dans un ordre d’importance décroissante par rapport à cette dernière, le contrat de mariage constituant toujours la première cote lorsqu’il s’agit d’un défunt laissant un conjoint, les créances ou mémoires non acquittés, constituant les dernières, y compris ceux des frais de maladie ou des frais funéraires. Les papiers sans rapport avec la succession sont écartés. La place faite aux écrits du for privé tels qu’on les désigne aujourd’hui est de facto limitée : nuls journaux, mémoires, autobiographies, mais quelques correspondances et livres de comptes. Les papiers d’affaires, quand ils existent, renvoient à l’actif ou au passif de la succession, qu’il s’agisse de la location d’une écurie ou de l’inventaire d’un fonds de commerce d’un magasin de nouveautés.
Par contre, cette énumération fait surgir des typologies qui viennent enrichir la palette des écrits pour soi, utiles à conserver pour la défense de ses intérêts (polices d’assurance incendie, livrets de caisse d’épargne, bons du Trésor, cartes d’électeurs, etc.) et témoigne des mutations accélérées de la société sous la Monarchie de Juillet.
En conclusion, si la quête des écrits du for privé au travers des inventaires après décès s’avère décevante, il n’en reste pas moins que l’analyse de ces inventaires met en évidence le rôle de l’homme de droit – le notaire – chargé, et de constituer la preuve, et d’en assurer la conservation au travers de l’acte authentique auquel le Code civil a bel et bien donné une définition juridique en l’établissant comme le degré suprême de la preuve avec lequel aucun écrit privé ne saurait rivaliser (art. 1317 et suiv. du Code civil des Français, 1804).
Contact : marie-francoise.limon@culture.gouv.fr, christine.nougaret@culture.gouv.fr