Paris, le 9 décembre 2014
Journée d’études organisée par le centre Jean-Mabillon (EA 3624) avec le soutien des Archives nationales.
- Marie-Françoise Limon-Bonnet, Alexandre Cojannot (Archives nationales-Minutier central des notaires de Paris), Placards funéraires du Minutier central des notaires de Paris
- Damien Berné et Béatrice de Chancel Bardelot (Musée national du Moyen Âge), Des églises aux musées : le corpus des inscriptions funéraires parisiennes originales
- Gérard Nahon (École pratique des hautes études), Les stèles hébraïques de Paris
- Marc Smith (École nationale des chartes), Observations sur l'épigraphie funéraire chrétienne de Paris entre Moyen Âge et époque moderne
- Laurence Croq (Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense), Imprimés et manuscrits, les écrits du « post mortem » à Paris au XVIIIᵉ siècle
- Nicolas Buat (Archives de Paris), L’inscription du cadavre dans les registres d’écrou des prisons parisiennes : aux origines de la Morgue (XVIIᵉ-XVIIIᵉ siècle)
- Élisabeth Arnoul (Centre Roland-Mousnier), Le scripteur à l’épreuve de la mort des siens : l’exemple du livre de raison de Louis et Pierre de l’Estoile, 1544-1595
- Christine Nougaret (École nationale des chartes) Vision et présence de la mort dans les testaments des Poilus parisiens (1914-1922)
Marie-Françoise Limon-Bonnet, Alexandre Cojannot (Archives nationales-Minutier central des notaires de Paris), Placards funéraires du Minutier central des notaires de Paris
La mise en ligne des quelque 8 000 placards après décès récupérés dans les liasses de minutes des notaires de Paris a été l’un des prétextes à la journée d’étude du Centre Jean-Mabillon qui, plus généralement, poursuit ses explorations sur l’écrit à Paris du Moyen Âge à la Grande Guerre.
De quoi s’agit-il ? D’abord d’une opération de conservation préventive et de mise à disposition d’une collection, dans laquelle archivistes et conservateurs se sentent à l’aise. Le volume du corpus, très modeste par rapport à d’autres ensembles confiés au Minutier central beaucoup plus considérables par leur importance et leur complexité, comme la nature même de ces documents (qui par leur taille ne sont pas sans poser des problèmes de communication au quotidien dans une salle de lecture), tout comme le fait que les contenus étaient directement assimilables à une source généalogique, sont autant d’arguments qui ont permis à la collection de concourir à un appel d’offre de numérisation lancé par le ministère de la Culture en 2011.
À partir de ce corpus désormais en ligne, nous nous interrogerons sur la nature même de l’objet « placard faire-part ou billet de décès ». Partant de l’étude des caractéristiques externes de ce type de document (dimensions, support, objet d’affichage, rapport entre l’écrit et l’image...), on s’attachera à leur formulaire et leurs qualités informatives, avant de proposer des pistes quant à leur utilisation en histoire sociale ou en histoire culturelle, en histoire des mentalités ou encore en histoire de l’art... Quels sont les défunts ou les strates sociales concernés par cette pratique d’affichage ? À quel titre les notaires en sont-ils destinataires ? Peut-on se prononcer sur une intensification ou au contraire sur une disparition progressive de cet usage ? Beaucoup de questions se posent alors que, paradoxalement, comme le montre la relative pauvreté de la bibliographie existante, ces collections assez communes d’affiches mortuaires, comme bien des archives imprimées d’ailleurs, restent peu exploitées en tant que telles, peut-être parce que trop peu mises en valeur à ce jour.
Damien Berné et Béatrice de Chancel Bardelot (Musée national du Moyen Âge), Des églises aux musées : le corpus des inscriptions funéraires parisiennes originales
Les inscriptions funéraires, largement majoritaires dans ce que l’on connaît de l’ancienne épigraphie parisienne, ont presque entièrement disparu du paysage de la ville depuis 1793, en contraste frappant avec d’autres grands centres urbains de la chrétienté. Elles sont transmises pour l’essentiel par les transcriptions d’anciens d’érudits, comme documents biographiques. Les originaux conservés dans plusieurs musées constituent un corpus dont les contours restent à retracer. Le parcours de ces épaves mérite d'être reconstitué, de leur description in situ par Gaignières à leur dispersion dans les musées parisiens, en passant par une première tentative de re-contextualisation par Alexandre Lenoir dans son musée des Monuments français. Il importe ensuite de ce demander dans quelle mesure ce corpus est représentatif de ce qui a existé et ce qu'il révèle du rapport entre le texte et l'image dans l'évocation du défunt.
Gérard Nahon (École pratique des hautes études). Les stèles hébraïques de Pari
Marc Smith (École nationale des chartes), Observations sur l'épigraphie funéraire chrétienne de Paris entre Moyen Âge et époque moderne
Les épitaphes des églises et cimetières de Paris, peu conservées, souvent mutilées, attendent une étude archéologique, formelle et graphique qui permette de reconstituer ou du moins d’évoquer le développement et la diversité de ce genre épigraphique. En croisant les restes épars avec les témoignages indirects, on peut esquisser une histoire des formes de présentation de l'écriture funéraire (seule ou associée à une représentation figurée ou symbolique) : formats, mises en page et typologie des écritures répondent à l'évolution du formulaire comme à la sociologie des inhumés, selon des traditions qui s'entrecroisent, particulièrement dans la longue transition des formes médiévales au modèle classique réinventé par la Renaissance.
Laurence Croq (Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense), Imprimés et manuscrits, les écrits du « post mortem » à Paris au XVIIIᵉ siècle
Le but de cette intervention est de faire un inventaire critique des sources du post mortem dans une optique d’histoire sociale de la mort, à la jonction des travaux de Pierre Chaunu (basés sur les testaments), de Madeleine Foisil (sur le cimetière des Saints-Innocents) et de Jacqueline Thibaut-Payen (sur la réglementation des inhumations). Le témoignage du libraire Hardy, très attentif aux cérémonies funéraires et aux lieux d’inhumation, les testaments, les extraits d'actes d'inhumation joints aux actes de notoriété à partir des années 1740, comme les sources imprimées (placards après décès, annonces de morts et d'enterrements dans les journaux) fournissent une documentation importante que je souhaiterais compléter avec d’autres sources manuscrites peu connues.
1) Les archives des fabriques paroissiales permettent de comprendre la reconfiguration des espaces funéraires au XVIIIᵉ siècle. Au XVIIᵉ siècle, les notables sont inhumés sous le pavé de l’église dans de petites sépultures familiales, les nobles dans leur chapelle. Dans leurs testaments, les mourants demandent moins à être inhumés dans un couvent ou une église paroissiale que près de tel ou tel de leur parent ou dans une tombe familiale. Au XVIIIᵉ siècle, surtout après 1750, les tombes sous le pavé sont vidées, une grande crypte est creusée sous la nef qui accueille indistinctement tous les cercueils des hommes et des femmes qui veulent être inhumés dans l’église ; il est logique que les testateurs ne donnent plus de consigne sur l’emplacement de leur sépulture, comme Pierre Chaunu l’a remarqué, on est enterré selon son rang dans l’église ou au cimetière. Les vœux d’humilité des mourants ne sont d’ailleurs pas toujours respectés dans la bourgeoisie : ainsi Louis Pierre Regnard, commissaire au Châtelet depuis 1711, détenteur d’un banc familial dans l’église de Saint-Séverin depuis 1721, désire « être inhumé avec simplicité et sans pompe ni tenture dans le petit cimetière à l’endroit où est la tombe des Fromageau mes oncles d» (25 février 1755). Mais le placard après décès montre que son fils, conseiller au Châtelet depuis 1746, l'a fait inhumer dans l'église.
2) Les inventaires après décès, liquidations de communauté et autres actes établis après un décès devant un notaire (Minutier central) et parfois un commissaire de police livrent de multiples informations : les montants du deuil porté par la veuve ; le lieu d’inhumation et les frais qui y sont liés.
- Si c’est Madame qui survit, le montant du deuil accordé à la veuve ou les achats de deuil qu’elle a fait sont prélevés sur la succession du mari. Le montant du deuil tend à augmenter fortement dans la première moitié du XVIIIᵉ siècle, puis dans les années 1730 il est codifié à une année du douaire. Il y a aussi une tendance très nette à la démocratisation du port du deuil dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle, celui-ci était quasiment réservé aux notables, il se diffuse dans la petite bourgeoisie.
- le lieu d’inhumation, le montant et la nature des frais funéraires.
Voici ainsi la liste des dépenses faites pour l’enterrement du prévôt des marchands Bignon décédé le 8 mars 1772 : son corps a été présenté à Saint-Eustache, mais enterré dans le caveau familial à Saint-Nicolas du Chardonnet (compte d’exécution testamentaire d’Armand Jérôme Bignon rendu par sa veuve) :
1ᵉʳ chapitre de dépenses
920 £. 7 s. remboursés à M. Navier secrétaire du sr Bignon qui avait payé cette somme aux receveurs des convois tant de la paroisse St Eustache à laquelle le corps a été présenté que de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où il a été inhumé.
958 £. 10 s. au sr Lavoie Pierre, épicier cirier, pour la cire du convoi.
415 £. au sr Laisné, me sellier, pour loyer de char et équipage de deuil qui ont servi aud. convoi.
1 986 £. 10 s. au sr Fleury, juré crieur, dont 1 678 £ 10 s. pour tentures tant à St-Eustache qu’à St-Nicolas-du-Chardonnet à l’occasion des convois, et 308 £ pour une litre au-dessus du caveau où est déposé le corps.
114 £ 16 s. au fripier pour le loyer des habits de deuil des officiers et gens le jour du convoi.
766 £. au sr Langlumé, marchand mercier, pour ses fournitures de crêpes et gants au convoi.
Et 24 £ pour avoir sonné 3 fois par jour pendant 40 jours en la paroisse de Saussaye(?).
510 £ messes du bout de l’an.
Soit juste pour l’enterrement à Paris 5 131 £ ; dans mon étude sur le prix de la mort, la somme maximale que j’avais trouvée est de 2383 £ (mais sans transport du corps d’une paroisse à une autre). Le document est établi trop peu de temps après le décès pour qu’y figure le coût du monument funéraire, s’il y en a eu (je renvoie sur ce thème pour le XVIIᵉ siècle au travail de Claire Mazel).
Ces données sur les frais funéraires sont aussi indiquées de plus en plus souvent par les notaires à la fin des inventaires après décès, comme dans l’inventaire après décès de Jacques Reveillon, bourgeois de Paris, décédé le 8 juin 1764. Le défunt occupe une petite chambre dans la rue Montorgueil, paroisse Saint-Eustache, 20 juin 1764. L’inventaire contient la mention de deux quittances, la
1ʳᵉ et 2ᵉ de frais funéraires données par Dubois prêtre commis pour les convois au sr Reveillon fils de la somme de 55 £ et par le sr Angot commis de Mrs les doyens chanoine et chapitre de l’église au cimetière des Sts-Innocents donnée au sr Reveillon 7 £ 10 s. toutes deux du 9 juin.
Les frais d’enterrement montent à 62 £ 10 s. et le défunt a été enterré dans le cimetière des Saints-Innocents. Un mois plus tard, les Affiches, annonces et avis divers du 21 juin 1764 annoncent : « Enterrement du 9. De Jacques Reveillon bourgeois de Paris, âgé de 79 ans, décédé rue de la Cossonnerie. À Saint-Eustache », laissant croire que le père du marchand mercier et manufacturier Reveillon a été enterré dans l’église.
Nicolas Buat (Archives de Paris), L’inscription du cadavre dans les registres d’écrou des prisons parisiennes : aux origines de la Morgue (XVIIᵉ-XVIIIᵉ siècle)
Les registres d’écrou des prisons parisiennes d’avant la Révolution, notamment ceux de la Conciergerie et du Grand Châtelet, témoignent d’un Ancien Régime dont certaines conceptions anthropologiques ou fictions juridiques n’ont plus cours aujourd’hui. On y découvre des accusés bien vivants, mais contumaces, condamnés à être brûlés en effigie, tandis que d’autres, morts avant leur procès, sont promis à un châtiment plus rude encore, leur cadavre traîné sur une claie.
Bien que ces deux aspects soient symboliquement complémentaires, nous limiterons notre enquête au second d’entre eux, qui commence par l’incarcération du cadavre.
I. Les procès à cadavre.
Le cadavre est-il encore une personne ? Sujet ou objet de droit, le statut du corps humain a évolué selon les questions qu’on lui posait. Notre droit civil a longtemps ignoré le corps avant qu’une conception plus ouverte ne s’impose, notamment à travers les questions liées à la bioéthique, abondamment débattues entre juristes.
Le droit pénal comporte moins d’ambiguïtés : « L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu », affirme le Code d’instruction criminelle de 1808. Cependant, sous l’ancien régime, le corps mort pouvait conserver cette qualité de « support public d’une procédure » que Michel Foucault décernait d’abord au corps vivant de l’accusé. Le titre XXII de l’ordonnance criminelle de 1670 est en effet entièrement consacré à « la manière de faire le procès au cadavre ou à la mémoire du défunt », notamment en cas de suicide ou de duel.
Le juge commis à cet effet nomme un curateur au cadavre, de préférence parmi les proches parents du défunt, chargé d’en défendre la mémoire afin qu’il ne soit condamné sans avoir été entendu. Dans la suite de la procédure, le curateur représente le cadavre en personne, à cette différence qu’il subit les interrogatoires debout, et non sur la sellette. À la fin du procès, la condamnation sera rendue contre le cadavre seulement, ou contre sa mémoire.
La peine infligée au cadavre consistait à le traîner sur une claie, la face tournée contre terre, suivant un parcours qui passait ordinairement par le lieu du crime pour aboutir à une potence. On y suspendait le cadavre par les pieds, on l’y laissait un temps fixé par le jugement, après quoi on l’envoyait au charnier. La condamnation comportait en outre la confiscation des biens et l’amende.
II. De la Conciergerie au Grand Châtelet : naissance de la Morgue.
La Conciergerie jouait un rôle d’autant plus curieux que l’on y amenait les cadavres qui avaient déjà subi une condamnation en première instance, pour qui le curateur interjetait appel devant le Parlement. Les cadavres judiciaires n’étaient cependant pas tous coupables. À la Conciergerie aboutissaient aussi les cadavres de noyés, de morts par accident ou par violence découverts sur le territoire ressortissant à la juridiction du bailli du Palais.
Henri Malo, auteur en 1897 d’un inventaire sommaire de la série AB des archives de la Préfecture de police, notait que le premier cadavre mentionné dans les registres du greffe de la Conciergerie y avait été amené le 12 novembre 1638, et le quarante-deuxième et dernier le 10 novembre 1723. Le dépôt des cadavres avait lieu au guichet que l’on qualifiait justement de morgue, puisqu’il s’agissait de l’endroit où, au moment de l’écrou, les prisonniers étaient soumis à une inspection rigoureuse.
La morgue de la Conciergerie finit par s’effacer devant celle du Châtelet, plus exactement la basse geôle du Grand Châtelet, que l’on appelle « la Morgue » à partir du moment où, au XVIIIᵉ siècle, elle accueillit tous les cadavres ramassés dans Paris. Toujours proche de la rivière, la Morgue quitta un Châtelet promis à la démolition pour être installée en 1804 quai du Marché-Neuf. Formant un établissement indépendant, elle prit finalement le nom d’Institut médico-légal (IML) lors de son dernier déménagement en 1923, du quai de l’Archevêché vers la place Mazas.
Administrativement, l’inscription des cadavres se poursuivit dans les registres du Châtelet jusqu’au 14 décembre 1797, auxquels succédèrent les registre de l’IML qui forment la série LA des archives de la Préfecture de police à compter du mois de nivôse an VI.
La série des registres d’écrous du Grand Châtelet se poursuit sans interruption à partir de 1669. Elle comporte cependant un registre isolé (AB 135), antérieur, qui couvre l’année 1651. Le dernier registre des écrous du Grand Châtelet (AB 232) contient exclusivement des inscriptions de cadavres à partir du fol. 171v, un procès-verbal du 3 septembre 1792 constatant que la prison avait été vidée de ses occupants.
La fonction médico-légale est à chercher dans d’autres archives. Il s’agit des « Registres des rapports des médecins » (Arch. nat., Y 10637 à 10644, couvrant les années 1673-1789), que P. Serna a déjà exploités dans son étude du duel sous l’Ancien Régime. L’examen du registre Y 10637 (1673-1713) suffit à montrer que l’articulation entre les deux séries (PP/AB et AN/Y) n’est pas entièrement satisfaisante.
III. L’indexation des cadavres.
Il est d’autre part curieux de noter la façon dont les cadavres sont répertoriés dans les registres d’écrou. Dans le registre isolé de 1651, le plus ancien, les cadavres sont indexés à la lettre U ou D selon que l’on en trouve un ou deux.
On constate à la lettre U que cette façon de faire est commune à tous les anonymes morts ou vifs (Un quidam avec une chemisette rouge, Un homme qui n’a voulu dire son nom…). On remarque également que les individus sont indexés d’après leur prénom. Le phénomène était général : K. Béguin a signalé que les rôles de paiement des rentes de l’Hôtel de ville de Paris furent longtemps émis dans l’ordre des prénoms.
Jusqu’en avril 1684 à la Conciergerie, et décembre 1687 au Grand Châtelet, les détenus sont enregistrés à la lettre de leur prénom. Une fois adopté l’ordre moderne (nom/prénom) les cadavres anonymes ne sont plus indexés. On assiste à une inversion de l’ordre des signifiés, un système nom/prénom (Dupont Jean) se substituant au système nom/surnom (Jean Dupont) qui prévalait jusqu’alors. Ce nouvel usage social témoigne à sa façon du grand tournant des années 1680.

Un corps mort… Ung enfant mort… Ung corps mort… : entre janvier et la mi-février 1651, la basse geôle du Châtelet a accueilli sept corps non identifiés, dont ceux de deux petits enfants. L’indexation à la lettre U présente cependant un caractère trop exceptionnel pour avoir un intérêt statistique. Il faudrait ajouter ici les Deux corps morts inscrits à la lettre D le 23 janvier 1651. L’écrou lui-même peut renseigner sur les circonstances de la mort ou de la découverte du corps, même si les registres du XVIIᵉ siècle sont généralement plus pauvres en informations que ceux du XVIᵉ.
Élisabeth Arnoul (Centre Roland-Mousnier), Le scripteur à l’épreuve de la mort des siens : l’exemple du livre de raison de Louis et Pierre de l’Estoile, 1544-1595
Le livre de raison de la famille de L’Estoile est un petit carnet relié maroquin de 17 x 9,5 cm comportant 24 feuillets de parchemin, conservé à la Bibliothèque nationale de France (Nouv. Acq. fr. 12871). Moins connu que les nombreux volumes des Mémoires-Journaux du célèbre magistrat et chroniqueur parisien Pierre de L’Estoile, ce manuscrit a toutefois été publié in extenso en 1942 dans le Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France par Philippe Lauer, conservateur du département des manuscrits, qui en fit alors l’acquisition. Ce document autographe, qui couvre les années 1544-1595, présente le plus grand intérêt pour les historiens de la vie privée, et nous révèle des évènements de la vie quotidienne d’une famille de robe parisienne du XVIᵉ siècle.
Louis de L’Estoile en commence la rédaction en y consignant, après quelques lignes de mentions généalogiques, la naissance, le 27 juillet 1544, de son premier fils, qui ne survivra que huit jours. Comme il était d’usage, son fils, Pierre de L’Estoile (contrairement à Montaigne, qui regrettait, pour sa part, de ne pas avoir imité son propre père dans la tenue d’un livre de raison), en a poursuivi la rédaction à partir du feuillet 4, en mentionnant le décès de son père survenu le 24 août 1555, après avoir inscrit en première page : « Papier de feu Loïs Delestoile, mon père, continué par moi, Pierre Delestoile, son fils ». Le mémorialiste avait lui-même évoqué ce document dans ses Mémoires, précisant que dans le tiroir du grand bureau de son cabinet étaient enfermés, notamment, « le papier de feu [son] père et le [sien], les révolutions de [sa] nativité et autres mémoires particuliers ».
Mémorial des naissances et des baptêmes de leurs enfants, le livre de raison recèle également des témoignages de deuils, fréquents. Depuis 1569, année de son mariage, où il entreprend de compléter régulièrement le livre de raison de son père, jusqu’au 15 décembre 1595, date où ce volume s’achève, Pierre de L’Estoile y fait état d’une vingtaine de décès de proches (père, sœurs, enfants, épouse, marraine, beaux-frères, beau-père, belle-mère, oncle, amis, etc.). Ces déclarations de décès sont accompagnées de commentaires parfois détaillés sur les circonstances de la mort, dont l’expression du chagrin n’est pas exclue. Le scripteur, à l’épreuve de la disparition des siens, « touché au vif de la main de Dieu », doit supporter le lourd tribut des maladies et, plus généralement, de la forte mortalité de son siècle, et sublimer par la pratique religieuse la mélancolie des Temps.

Christine Nougaret (École nationale des chartes), Vision et présence de la mort dans les testaments des Poilus parisiens (1914-1922)
Le raccourcissement des délais de communication des archives, découlant d’une nouvelle législation en 2008, et la collecte d’archives qui en a résulté permettent l’accès à de nouvelles sources comme les minutes notariales de la Grande Guerre. La communication, qui s’inscrit dans le programme sur l’écrit parisien et par ailleurs dans une recherche sur les écrits du for privé, s’attache aux testaments des Morts pour la France conservés au Minutier central. Les résultats présentés sont la première étape d’une enquête plus vaste dans les fonds des notaires parisiens.
Trois études ont été systématiquement dépouillées entre 1914 et 1922, apportant une moisson de 150 testaments, tous olographes. L’examen diplomatique de ceux-ci permet dans un premier temps d’expliquer la procédure d’enregistrement de ces testaments, qui bénéficient de dispositions particulières liées au statut des Morts pour la France et au cas complexe des disparus. Dans un deuxième temps, on met en évidence les spécificités formelles de ces testaments écrits dans le contexte de la mobilisation, du combat au front ou du retour temporaire à l’arrière : l’urgence de la situation se répercute sur les caractères externes et internes de ces documents. Enfin dans un troisième temps, l’examen du contenu des testaments permet d’y déceler la possibilité d’une mort imminente, sentiment bien présent dès le 2 août 1914, et qui interroge sur la nature du consentement général à la guerre, thèse encore dominante dans l’historiographie.