Même les personnes qui ne connaissent pas les épopées médiévales ont probablement entendu le récit du neveu de Charlemagne, Roland, et de sa mort héroïque dans les montagnes pyrénéennes. Elle aurait même été chantée aux soldats de Guillaume le Conquérant, à la veille de la bataille d'Hastings.

Jeudi 23 mai 2024

  • École nationale des chartes, 65 rue de Richelieu, Paris 2e
  • 18h-19h30

Près de 1000 ans plus tard, elle est toujours reprise dans des cours universitaires ou réinventée dans des romans fantastiques populaires. Lorsqu'on évoque la Chanson de Roland, on pense d'abord à sa version courte et archaïque. Pourtant, elle a été presque entièrement perdue et n'est conservée que dans un seul manuscrit, bon marché et d'aspect amateur, copié quelque part près d'Oxford dans la première moitié du XIIe siècle. Pourquoi ne conservons-nous qu'un seul manuscrit de cette illustre version, alors que nous possédons 10 manuscrits des versions rimées ultérieures, dont certaines ont été copiées en Italie près de 200 ans plus tard ?

Il ne s'agit pas d'un cas isolé de texte perdu, ou presque, depuis les livres bibliques perdus jusqu'à la majorité de l'Histoire de Rome de Tite Live, en passant par l'épopée de Beowulf ou le roman Iseut de Chrétien de Troyes.

Cela soulève une question importante sur la transmission de la culture et des textes : quel est le rôle du hasard et des facteurs sociaux, culturels, textuels ou matériels dans la transmission de la culture et dans la survie, l'évolution ou l'extinction des œuvres littéraires ?

Les philologues, comme les biologistes et les linguistes, ont adopté depuis le XIXe siècle l'arbre généalogique comme métaphore pour représenter les relations entre les différents documents contenant une œuvre donnée, telles qu'elles peuvent être déduites des innovations (erreurs, mutations) qu'ils présentent. Depuis au moins Joseph Bédier en 1928, il a été observé que ces arbres présentent des formes très particulières et très déséquilibrées, difficilement explicables intuitivement.
Ce problème des « arbres déséquilibrés » est également présent en biologie, où il a fait l'objet de beaucoup d'attention et de recherches.

Pour répondre à cette question de longue date, un nouveau projet de recherche, appelé LostMa, démarre à l'École des chartes et sera présenté au cours de cet exposé. Il adopte une méthodologie entièrement révisée, combinant l'expertise philologique avec la modélisation mathématique et les simulations informatiques, l'analyse des données philologiques et l'intelligence artificielle pour l'analyse des manuscrits.

Ce projet vise à évaluer le rôle des facteurs sociaux et culturels, tels que les changements dans la production des livres, l'autorité, ou les différents contextes des cultures insulaires ou continentales. Enfin, il espère ainsi mieux comprendre la « vie et la mort » des artefacts culturels et les pièces manquantes du puzzle qui sous-tendent la plupart de nos connaissances sur les cultures du passé.

English version

Even persons not familiar with medieval epics are likely to have heard the tale of Charlemagne's nephew, Roland, and his heroic death in the Pyrenean moutains. It was even supposedly sung to the soldiers of William the Conqueror, on the eve of the battle of Hastings. Almost 1000 years later, it is still included in university courses or reinvented in popular fantasy novels.
When we think of the Song of Roland, we think first of the short, archaic version. Yet, it was almost completely lost, and is kept in a single, cheap and amateurish-looking manuscript, copied somewhere near Oxford in the first half of the twelfth century.

Why do we keep only a single manuscript of this illustrious version, while we keep 10 manuscripts of the later rhymed versions, some copied in Italy almost 200 years later?

This is not an isolated case of lost, or almost lost text, from the lost Biblical books, to the majority of Livius History of Rome, the epic of Beowulf or Chrétien de Troyes's Iseut novel.

This raises an important question about the transmission of culture and texts: What is the role of chance and of social, cultural, textual or material factors in the transmission of culture and in the survival, evolution or extinction of literary works?

Philologists, like biologists and linguists, have adopted since the 19th century the genealogical tree as a metaphor to represent the relations between the different documents containing a given work, as it can be deduced from the innovations (errors, mutations) they present. It has been observed since at least Joseph Bédier in 1928, that those trees present very peculiar and very unbalanced shapes, that are hard to explain intuitively.
This problem of "unbalanced trees" is actually also present in biology, where it has been the subject of much attention and research.

To answer this long-standing question, a new research project, called LostMa, is starting at the École des chartes, and will be presented during this talk. It adoptsa completely revised methodology, combining philological expertise with mathematical modelling and computer simulations, the analysis of philological data, and artificial intelligence for manuscript analysis.
It aims to assess the role of social and cultural factors, such as book production changes, authoriality, or the different contexts of insular or continental cultures. Finally, by this, it hopes to gain a deeper understanding of the 'life and death' of the cultural artefacts, and the missing pieces of the puzzle that underly most our knowledge of the cultures of the past.
 

Intervenant(s)

Inscription à l'événement

Vos informations

Partager sur les réseaux sociaux

À venir