
Historien des pouvoirs aux XVIe-XVIIe siècles en Europe, je m’intéresse aux administrateurs chargés de l’écrit politique et à leurs pratiques transnationales, en période de guerre civile et de conflits géopolitiques de forte intensité. Je porte mon attention sur la matérialité du travail des bureaux européens, la circulation et l’hybridation des savoirs et des modèles politiques entre puissances alliées et adverses, la culture administrative des secrétaires et l’histoire des représentations, notamment iconographiques, des pouvoirs politiques à l’époque moderne. Je m’interroge ainsi sur la fabrication et la diffusion des normes à partir des bureaux des secrétaires d’État des autorités publiques, en étant particulièrement attentif à leurs outils de travail, leurs procédures, la circulation de leurs écrits. J’envisage les bureaux et la documentation à la disposition d’administrateurs d’un type nouveau comme chaudron d’une nouvelle gouvernementalité administrative, en période de dissensus politico-religieux de forte intensité. Mes projets post-doctoraux portent sur l’histoire culturelle de l’État et de ses administrations, en empruntant aux problématiques de l’anthropologie de l’écriture, aux questionnements issus du tournant archivistique et aux méthodes forgées et popularisées par les humanités numériques.
Ancien membre de la Casa de Velázquez, j’ai eu l’occasion de moissonner d’importants volumes de correspondances dans les dépôts espagnols ainsi que dans les dépôts anglais et français en lien avec la résolution des conflits religieux et géopolitiques à la fin du XVIe siècle. J’exploite actuellement les données issues de cette collecte et développe un projet de recherche centré sur l’histoire matérielle et culturelle de l’État. Je m’attache, par exemple, à faire l’histoire de la circulation et de l’hybridation des savoirs marchands, des savoirs savants et des savoirs politiques à l’époque moderne. Je prends appui pour ce projet sur les trajectoires individuelles des acteurs de la diplomatie officielle et officieuse des autorités publiques, en portant mon attention sur les transfuges, les traîtres et les agents au service de plusieurs autorités. Je développe ce projet lors de mon séjour post-doctoral à l’université de Neuchâtel et j’en détaille les contours dans la suite de ce dossier.
Je travaille également à la livraison de ma thèse de doctorat aux éditions Champ Vallon (publication acceptée, 2021). Deux autres projets éditoriaux m’occupent en parallèle. Il s’agit d’abord de l’édition des actes du colloque « Minorités, migrations, mondialisation en Méditerranée, XIVe-XVIe siècles » aux éditions Garnier (publication acceptée, 2021). Je travaille ensuite à un court essai sur les liens entre la croissance des administrations de l’époque moderne et la guerre civile. Ce projet de livre, qui devrait être accueilli aux Presses universitaires suisses, fera la part belle aux analyses iconographiques des représentations du pouvoir de l’écrit au XVIe siècle (publication en cours, 2021).
J’enseigne l’histoire depuis onze ans et l’histoire moderne aux niveaux Licence et Master depuis sept ans. Je suis très attaché à la diffusion des savoirs disciplinaires à un public large afin de nourrir la demande sociale qui stimule nos activités de recherche. Dans cette visée, j’anime un carnet de recherche Hypothèses, une plate-forme de podcasts et je suis responsable pour le Centre européen des études républicaines du séminaire « Les Savants et les Politiques », séminaire dont les débats sont publiés aux Presses universitaires de France dans la collection du même nom.
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Projets en cours
Projet doctoral :
Ma recherche doctorale s’intitule : « Volontés d’État. Pouvoirs des « bureaux », correspondances et reconfigurations de la société politique : le département de Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, secrétaire d’État (vers 1560-1610) ».
Je porte mon attention sur un ensemble de sources très disparates afin de réaliser une histoire problématique de l’État, saisi à travers l’inflation documentaire des « papiers d’État », née des troubles. Cette inflation documentaire suppose la refonte des cadres traditionnels de la société politique et l’implantation, au cœur de l’État, d’un personnel aux horizons d’attente neufs pour soutenir cette réformation qui s’inscrit dans les conceptions politiques nouvelles des derniers Valois. Une approche de l’État par la pratique et la consistance concrète de l’ouverture des paquets de correspondances, la préparation et la collection de formulaires de listes de relais de postes, les ratures et brouillons des lettres montre un projet politique mouvant, s’affrontant à la rugosité et aux malheurs des temps. Les innombrables décisions prises par les commis de chancellerie révèlent une histoire politique ouverte et potentielle. Sans faire l’économie d’une réflexion sur la notion problématique qu’est l’État moderne dans la récente historiographie, je centre l’analyse sur la jonction des intérêts d’une société politique qui lie son destin matériel au prince et la déclinaison des pratiques de ce groupe dans l’action de gouvernement. L’institution, au cœur du gouvernement du royaume, des secrétaires d’État m’apparaît alors centrale ; cette innovation politique préfigure les transformations de la « monarchie administrative » des XVIIe-XVIIIe siècles et dessine les contours d’un nouveau groupe élitaire, aux pratiques et aux savoirs nouveaux et largement empiriques.

Un acteur en particulier me semble rendre raison des profonds bouleversements de l’entourage royal : Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy. L’analyse de ses pratiques professionnelles et de ses conceptions politiques s’insère dans le courant récent de l’étude européenne des acteurs institutionnels. Je tente ainsi de lier pratiques et événements, discours et cadres mentaux en dépliant ce qui fait la matière dense de la vie et des écrits du secrétaire de quatre rois de France (1567-1617). L’étude conjointe de l’édifice de papiers produit, d’une trajectoire politique et des réformes de l’entourage du roi dans les décennies 1580-1590 semble alors fructueuse pour faire une histoire problématique de l’État. Je tente ainsi de comprendre comment Villeroy fonde, en fait et en droit, de nombreuses innovations politiques qui, sur près de cinquante ans, s’adossent à la configuration d’un imaginaire royal profondément renouvelé.
Pour faire l’histoire de ce moment politique saisi à travers l’inflation documentaire des papiers d’État, je souhaite inclure dans un corpus aux dimensions vastes des sources disparates.
La diversité et les contiguïtés de ces souces m’intéressent pour les actes qu’ils accomplissent. Dans ce programme, je me propose de réaliser des sondages des séries de correspondances politiques actives entre le monarque et certains de ses secrétaires. Ce matériau permet de restituer, sur des séquences longues, les conceptions de la pensée politico-religieuse des derniers Valois et du premier Bourbon. Les mutations et les horizons d’attente du groupe des « lettrés d’État » résident également dans la saisie des correspondances entre les départements, mais aussi avec les différents acteurs du pouvoir engagés dans les opérations de guerre et de négociation.
Les sources normatives rendent très sensible l’effort de réformation voulu par le dernier Valois : je cherche à lier, par une approche comparatiste, les textes qui traitent de l’organisation de l’administration attachée directement au service du roi et ceux qui structurent les nouvelles institutions de pénitence et de piété démonstrative. Les sources discursives – mémoires d’État, relations longues, traité de correspondance – sont l’élément fondamental qui permet de lier sources épistolaires et sources de la pratique, afin de résorber les ténèbres qui envahissent les cabinets des départements des secrétaires du roi fin XVIe-début XVIIe siècles.
La trame générale de ces chantiers est en outre constituée par l’analyse des transferts de savoirs administratifs entre les monarchies anglaise, espagnole et française. J’observe comment les « bureaux » des secrétaires Villeroy, Pérez (Espagne) et Walsingham (Angleterre) entrent en interaction par l’intermédiaire de leurs agents diplomatiques lors des crises et des négociations politiques internationales. J’observe l’émergence d’une « science d’Etat » à l’échelle européenne et les évolutions homologues des pratiques administratives à la faveur des nombreux contacts que les agents des trois monarchies entretiennent.
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